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"Gagner la confiance": à Grande-Synthe, la "brigade verte" au contact des migrants


Jeudi 27 mai 2021 à 09h02

Grande-Synthe (France), 27 mai 2021 (AFP) — "Habibi, mon frère", s'exclame Mohammed l'Irakien avant de claquer la main d'un agent sur un camp informel de migrants de Grande-Synthe (Nord). Malgré son uniforme marine, l'homme face à lui n'est pas policier, mais membre de la "brigade verte" municipale.

"Eux, ce sont des gens bien. Ils nous aident", lâche l'exilé, en faisant chauffer une casserole rouillée sous un abri de bric et de broc, quatre branches plantées dans la terre drapées de bâches en plastique bleu électrique.

Depuis octobre, la "brigade verte" passe huit heures par jour sur cette zone en bordure de la ville. Ici, 300 à 400 personnes survivent dans des conditions spartiates en attendant de passer en Angleterre.

Sous une pluie battante, les agents distribuent des sacs poubelles, alternant "Salam Aleykoum" et "checks" de poignet. "On essaie de faire respecter la propreté pour éviter une décharge à ciel ouvert. En même temps, ça permet de nouer un lien avec eux, de comprendre leurs attentes", explique à l'AFP leur responsable, David Bierry, ancien membre de la brigade des mineurs, détaché à sa demande.

"L'humanité, il n'y a plus que ça", tranche Mohammed. Ce matin-là, ce quadragénaire nostalgique de Saddam Hussein a tiré un chariot rempli de bouteilles de soda et de paquets de biscuits. Lorsque les roues se sont bloquées dans la boue gluante, il a accepté volontiers un coup de main.

- "Alliés" -

Du lundi au dimanche, les neuf agents - certains arabophones - se relaient pour "faire le lien avec les associations", apporter du bois, "parler", "écouter" et "faire comprendre qu'il y a quelques règles à appliquer".

"Quand on va vers eux, les liens se créent naturellement", glisse Abdel, agent de 34 ans, tandis que ses collègues regardent Mohammed étouffer un foyer. Une épaisse fumée de cendres grimpe jusqu'au drapeau kurde monté sur une tente voisine.

"On a beaucoup d'estime pour eux. Ils font un travail remarquable", confie Claire Millot, secrétaire général de l'association Salam, qui voit là des "alliés". Arnaud Gabillat, coordinateur de l'antenne d'Utopia56, est plus "réservé", juge leurs missions "floues".

Conçue au départ en appui de la police municipale pour lutter contre les incivilités, la brigade a, de fait, été happée par la prise en charge migratoire.

"Les agents ne sont pas formés pour cela mais le font avec bienveillance et empathie", salue Martial Beyaert, maire PS de Grande-Synthe. Pour lui, il s'agit de "pacifier le moment de passage des réfugiés sur le territoire", alors que l'inépuisable "question migratoire" cherche toujours une solution pérenne.

Car à Grande-Synthe, les démantèlements à répétition - au moins trois par mois - restent la norme. Le dernier a eu lieu la veille. Au sol, des vêtements trempés côtoient emballages, cartons et épluchures de légumes.

- "Au jour le jour" -

"Hier, ils ont pris toutes nos affaires", souffle Hussein, 21 ans, visage marqué et dents rongées. Ni les deux mois de périple depuis Kirkouk, ni les conditions "éprouvantes" ne l'ont fait renoncer au rêve britannique. Mais il ne comprend pas pourquoi la police les "embête".

"Eux, ça n'a rien à voir, ils sont sympas", précise-t-il à l'adresse des agents municipaux. Blason tricolore sur l'épaule, Khaled ne craint pas d'être assimilé aux CRS. "On n'est pas là pour les déloger. Ils font la différence", assure-t-il.

Mais il a conscience de marcher sur un fil. A chaque démantèlement, les agents sont pris en étau entre le respect du travail de la police et l'amertume de voir le leur "cassé".

"On leur prend le peu qu'il leur reste", se désole Abdel. "Ca fait mal au coeur (...) Tout le boulot fait pour dialoguer, du jour au lendemain on repart à zéro." Ce rituel "agaçant" lui donne l'impression "d'avancer de cinq pas et de reculer de 10". "C'est du rafistolage. Mais on n'a pas le choix."

"Gagner leur confiance, c'est très long. Chaque démantèlement remet tout en question", résume David Bierry. "Trouver un sens final? Il ne se pose "même plus la question". "J'essaye juste de reconstruire ce qui a été défait. Ici, on apprend à vivre au jour le jour."

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.