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Turquie : tensions à l'ouverture d'un procès sur la mort d'un avocat kurde


Mercredi 21 octobre 2020 à 16h19

Diyarbakir (Turquie), 21 oct 2020 (AFP) — Un tribunal turc a commencé à juger mercredi, dans une ambiance tendue, quatre personnes, dont trois policiers, accusées d'être responsables de la mort par balle d'un célèbre avocat kurde en 2015.

Alors bâtonnier de l'ordre des avocats de Diyarbakir, la principale ville du sud-est en majorité peuplé de Kurdes de la Turquie, Tahir Elçi a été tué le 28 novembre 2015 d'une balle dans la tête au cours d'une fusillade entre la police et des hommes armés présentés par les autorités comme des rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Après cinq ans d'attente, le procès s'est ouvert dans une ambiance électrique à Diyarbakir, en présence de nombreux avocats, de représentants d'ONG et d'élus de l'opposition, a constaté un correspondant de l'AFP.

Trois policiers accusés d'avoir "causé la mort par négligence" et risquant entre deux et six ans de prison ont comparu par vidéoconférence.

Un quatrième homme, présenté comme un membre de PKK, est jugé par contumace pour l'"homicide de deux policiers" juste avant la fusillade ayant coûté la vie à Tahir Elçi et "atteinte à l'unité de la nation". Il risque la prison à vie.

La première audience a été marquée par de vives tensions, les avocats de la partie civile déplorant l'absence physique des trois policiers accusés, autorisés par le tribunal à ne pas s'y rendre.

"Ils rejettent toutes nos demandes et ne nous écoutent même pas", a déploré l'un des avocats de la partie civile, Baris Yavuz. "Par leur attitude, ils disent : +Laissez-moi me débarrasser de cela le plus vite possible+", a-t-il ajouté.

Lorsque la veuve de Tahir Elçi, Türkan Elçi, a pris la parole, critiquant le tribunal, le président a menacé de la faire évacuer de la salle, suscitant des protestations.

"J'ai attendu pendant cinq ans, vous prendrez bien deux minutes pour m'écouter", a déclaré Türkan Elçi.

Les avocats ont réclamé la récusation des juges actuels, une demande qui sera étudiée par un autre tribunal.

Le procès a en conséquence été renvoyé au 3 mars.

- "Obstacles majeurs" -

La mort violente de Tahir Elçi, un ardent défenseur de la cause kurde, a choqué un pays qui était alors ensanglanté par la reprise des combats entre forces de sécurité et membres du PKK, un conflit qui a fait plus de 40.000 morts depuis 1984.

Juste avant de mourir, Tahir Elçi avait d'ailleurs lancé un appel à la paix.

La lenteur de l'enquête ainsi que la disparition d'une vidéo de la fusillade et le remplacement à plusieurs reprise du procureur chargé des investigations ont suscité la préoccupation des proches de Tahir Elçi.

"Il y a eu des obstacles majeurs" à l'enquête, a déploré mercredi l'ONG Human Rights Watch dans un communiqué.

Les ONG vont "surveiller la façon dont le procès est mené, pour savoir s'il vise à faire toute la lumière sur les circonstances du meurtre d'Elçi ou à tenter de disculper à tout prix les policiers", a ajouté Tom Porteous, un responsable de Human Rights Watch.

L'an dernier, le barreau de Diyarbakir a mis en cause des policiers dans la mort de Tahir Elçi, s'appuyant sur les conclusions d'un cabinet britannique d'analyse technique selon lequel la balle mortelle ne pouvait avoir été tirée que par un membre des forces de l'ordre.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.