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En Syrie, confrontation à venir entre le régime et l'armée turque?


Mercredi 16 octobre 2019 à 16h19

Beyrouth, 16 oct 2019 (AFP) — Dans le nord de la Syrie, les troupes du régime de Bachar el-Assad font désormais face aux forces d'Ankara, engagées dans une offensive contre une milice kurde. Ces déploiements, qui esquissent un nouveau partage territorial, peuvent-ils entraîner une confrontation entre les deux armées?

Pour des experts, une guerre généralisée reste peu probable, même si des accrochages limités ne sont pas à exclure.

- Où stationnent les forces?

La Turquie et des supplétifs syriens ont lancé le 9 octobre une offensive pour éloigner de sa frontière les Unités de protection du peuple (YPG), classées groupe "terroriste" par Ankara.

Ensemble, ils ont conquis une bande frontalière s'étalant sur près de 120 kilomètres.

Dans certains secteurs, ces forces ont progressé sur plusieurs kilomètres à l'intérieur du territoire syrien. Pour contrer toute nouvelle progression d'Ankara, les forces kurdes ont appelé à la rescousse le régime.

Des unités de l'armée syrienne se sont déployées dans plusieurs secteurs du nord, notamment à Minbej, Tal Tamr et aux abords d'Aïn Issa, trois villes situées à environ 30 km de la frontière.

Sur le terrain, ces nouvelles lignes de démarcation séparent surtout les forces du régime des rebelles pro-Ankara, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH).

"Les groupes rebelles affiliés à Ankara sont en première ligne, l'armée turque est principalement déployée à la frontière", d'après le directeur de l'OSDH, Rami Abdel Rahmane.

Ces déploiementss ont ébauché une nouvelle configuration territoriale, dans un secteur qui était jusqu'ici sous le contrôle des Kurdes.

Ce redécoupage n'aurait pas été possible sans le feu vert américain de facto à l'offensive d'Ankara, Washington ayant retiré ses soldats du nord syrien malgré son alliance avec les Kurdes.

"Il y a une nouvelle carte. C'est surtout le régime qui reprend à peu près tout, et la Turquie qui prend quelques miettes le long de la frontière", estime Thomas Pierret, chargé de recherches CNRS-IREMAM à Aix-en-Provence.

- Risque de guerre?

La Turquie se dit déterminée à poursuivre son offensive, mais face au régime syrien, sa marge de manoeuvre s'est réduite, estiment certains experts.

La Russie et l'Iran, alliés de Damas, "vont jouer les intermédiaires pour que chacun reste dans la zone qui lui est dévolue", résume Fabrice Balanche, expert de la Syrie à l'Université de Lyon.

Il n'exclut pas des "clashs" en raison du "flou des limites territoriales et de la présence d'éléments incontrôlés du côté turc".

Mardi soir, deux soldats syriens ont été tués près d'Aïn Issa dans des tirs de rebelles proturcs, selon l'OSDH.

Pour Thomas Pierret, "il peut y avoir des accrochages marginaux", mais pas "des affrontements majeurs".

"L'armée syrienne n'est pas de taille à affronter l'armée turque", juge-t-il.

"L'armée turque est beaucoup mieux armée" que Damas qui, depuis le début du conflit en 2011, "ne combat que des troupes irrégulières pas spécialement bien équipées", ajoute l'expert.

Les forces kurdes et les troupes du régime ont affronté ensemble mercredi les rebelles proturcs. Cette tendance pourrait se poursuivre dans l'avenir.

Les secteurs repris par le régime pourraient devenir une base arrière pour les "opérations de guérillas" des YPG, qui seront "recyclées en force antiturques" par Damas et Moscou, pronostique M. Pierret. "C'est un scénario tout à fait crédible et c'est un nouveau moyen de pression dans les mains de la Russie contre la Turquie".

- Ententes informelles?

Mais Moscou veut éviter un embrasement.

"La Russie oeuvre sans relâche pour éviter tout conflit à large échelle entre les forces d'Assad d'un côté, la Turquie et ses supplétifs de l'autre", estime Nicholas Heras, analyste au Center for New American Security.

L'Iran, la Russie --deux alliés du régime syrien-- et la Turquie ont établi le processus de négociations dit d'Astana début 2017.

Pour obtenir des concessions sur la question kurde, Ankara devra en faire sur Idleb, province du nord-ouest dominée par les jihadistes, qui se trouve dans le viseur du régime, pronostiquent les experts.

"Les Russes ont accepté finalement cette intervention turque dans le nord, en échange d'Idleb", résume M. Balanche.

Ankara et Moscou entretiennent des rapports stratégiques qui vont bien au delà du conflit syrien. Membre de l'Otan, la Turquie s'est récemment dotée du système russe de défense antiaérienne S-400, faisant fi des menaces de Washington.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan se rendra prochainement en Russie pour "une visite de travail" avec son homologue russe, selon le Kremlin. Lors d'un entretien téléphonique, les deux dirigeants ont souligné "la nécessité de prévenir un conflit entre les unités turques et syriennes".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.