Lundi 14 octobre 2019 à 18h39
Paris, 14 oct 2019 (AFP) — Retrait américain, offensive turque, avancée des troupes de Bachar al-Assad : face au chaos du nord-est syrien, les familles de jihadistes français retenus sur place redoutent le pire et multiplient les appels aux rapatriements, qui n'ont, selon eux, jamais été aussi urgents.
"C'est un endroit instable, où la corruption est omniprésente. Si Bachar al-Assad reprend les prisons, quel sera leur avenir ?", interroge Asma*, dont le frère est, aux dernières nouvelles, en prison au Kurdistan syrien.
"Soit ils sont torturés, soit ils deviennent une monnaie d'échange, soit ils s'enfuient. C'est le plus grave. Et s'ils repartent aux mains de l'Etat islamique (EI), et que se reforme une organisation terroriste ?".
Environ 12.000 combattants de l'organisation Etat islamique (EI), dont 2.500 à 3.000 étrangers, sont détenus dans les prisons sous contrôle des Kurdes, selon des chiffres de sources kurdes. Et les camps de déplacés du nord-est syrien accueillent à peu près 12.000 étrangers, 8.000 enfants et 4.000 femmes.
Le sort de ces étrangers est, depuis l'annonce par la Turquie le 9 octobre d'une opération militaire dans le nord de la Syrie, l'objet d'invectives entre les parties au conflit qui s'accusent mutuellement de favoriser évasions et libérations pour effrayer les pays d'origine de ces jihadistes.
Comme Asma, sans nouvelle de son frère depuis des semaines, Estelle attend désespérément un signe de vie d'un proche qui était, selon ses dernières informations, dans la prison de Derik. Mais dans le fond, "je n'attends qu'une seule chose : que l'Etat les rapatrie", explique la jeune femme.
"Dès qu'on a dit que Trump partait, on s'est dit +c'est bon, ils ont compris cette fois-ci, ils vont les rapatrier+", explique-t-elle en faisant référence au retrait des troupes américaines, dont avait déjà menacé Donald Trump, et qui avait à l'époque poussé la France à préparer un plan de rapatriement - finalement annulé.
"Mais maintenant", s'interroge-t-elle, si les troupes du régime de Bachar al-Assad prennent les prisons, "je ne sais même pas s'il sera possible d'aller le chercher".
"Quand j'ai entendu que le régime arrivait, j'ai pris ça pour une bonne nouvelle", abonde Samira, dont le fils est parti en Syrie en mai 2016, "j'ai cru que le gouvernement allait les rapatrier". Mais elle n'a aucune nouvelle de lui, depuis un dernier courrier, en avril.
Une situation et des incertitudes qui inquiètent parmi les magistrats antiterroristes.
- "Livrés sur un plateau à l'EI" -
"Ca fait deux ans qu'on dit que tout ça va arriver", martèle l'avocate Marie Dosé, qui défend plusieurs familles. "Le 30 janvier, Edouard Philippe l'a dit lui-même que ce n'était pas tenable" de laisser ces français là-bas, "puis il y a eu cette volte-face. La France les livre sur un plateau à l'EI, c'est ce qu'on explique depuis le début".
A la chute du "califat" de l'EI, en mars à Baghouz, plusieurs femmes françaises ont atterri dans des camps tenus par des Kurdes. La plupart se trouvent à Al Hol, où la situation, tendue, est pour l'instant à l'expectative. D'autres, bien moins nombreuses, sont dans le camp d'Ain Issa, objet de rumeurs de fuites et d'évasions depuis des jours.
Mais selon l'une d'elles, Leïla, dont l'AFP a pu entendre un enregistrement, les gardes kurdes auraient d'eux-même "fait sortir" les quelques Françaises qui y sont.
Safia, partie en 2014 avec deux enfants (deux autres sont nés depuis), fait partie de ces quelques Françaises. Selon les derniers messages envoyés à sa soeur, Sarah, dans la journée de dimanche, après fui sous l'ordre des Kurdes, leurs tentes ont brûlé. Elles se terreraient depuis quelque part non loin du camp.
"Ils sont dans une urgence absolue, dans le désert, tous seuls, aux mains d'on ne sait qui... il faut qu'elle revienne, que les enfants soient auprès de leur famille. On préfère la voir en prison en France que livrée à elle-même", implore-t-elle.
Les autorités françaises, qui campent sur la doctrine du "cas par cas" pour les rapatriements d'enfants, n'ont évoqué depuis le début de l'offensive turque le rapatriement d'aucun de leurs ressortissants adultes.
"Mais il y a 130 femmes en tout, des gamines de 24 ans avec des enfants qui survivent ... ce ne serait pas insurmontable techniquement de les rapatrier !" s'insurge Anne, dont la fille est dans le camp Aïn Issa. "Et sur le plan sécuritaire ce serait une solution : on saurait où ils sont".
"D'accord, il y a une question de morale. Ils sont partis en Syrie", conclut Asma. "Mais ce n'est pas en les abandonnant qu'on va prévenir la radicalisation. J'ai l'impression que l'Etat français, aujourd'hui, veut juste les éliminer".
*tous les noms ont été changés
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.