Contesté par les républicains, Trump menace soudain Ankara de sanctions

mis à jour le Mercredi 16 octobre 2019 à 10h00

Le Figaro | Picard, Maurin | 16/10/2019

IMPUISSANTS face au chaos syrien, les États-Unis s’efforcent de réparer les dégâts induits par le retrait aussi soudain qu’inattendu des quelque 1 000 à 2 000 hommes des forces spéciales déployés dans le nord-est du pays.

 

Maniant simultanément la carotte et le bâton, l’Administration Trump priait lundi le président turc Recep Tayyip Erdogan de mettre fin « immédiatement » à l’offensive en cours contre les Forces démocratiques syriennes (FDS), et brandissait le spectre de « lourdes sanctions » contre la Turquie. Celles-ci impliqueraient une hausse de 50 % des droits de douane sur l’acier turc, une rupture des négociations sur un pacte commercial estimé à 100 milliards de dollars, et la mise au ban financière de trois ministres turcs.

Le résultat de ce discours martial et un brin tardif, après le blanc-seing préalable concédé le 6 octobre au téléphone par Donald Trump à son homologue turc, tient du cautère sur une jambe de bois. Ignorant les pressions américaines, Erdogan a déclaré que l’offensive en cours, qui a déjà jeté 160 000 personnes sur les routes, se poursuivrait « jusqu’à la victoire finale » face aux « terroristes » kurdes. Sur le terrain, les milices supplétives syriennes de l’armée turque poursuivaient leurs exactions et semblent être à l’origine de la libération de plusieurs centaines de détenus djihadistes précédemment gardés par les YPG, ces milices populaires kurdes constituant l’épine dorsale des FDS.

La relative modération des représailles américaines serait imputable à deux hommes évoluant dans l’entourage de Donald Trump : le secrétaire d’État Mike Pompeo et son collègue au Trésor, Steven Mnuchin, tous deux partisans d’une approche conciliante avec Ankara et convaincus du caractère suffisamment dissuasif de ces « menaces de sanctions ». « Les banques internationales vont à présent observer ce qu’en disent les parlementaires et si l’Administration va faire marche arrière, en ciblant les banques turques », prédit Richard Nephew, ancien diplomate expert ès sanctions à la Brookings Institution. La voie serait alors ouverte pour « écraser l’économie turque », ainsi que l’annonçait Donald Trump le 9 octobre.

Ces imprécations, tout comme l’envoi prochain à Ankara d’une équipe de négociateurs emmenée par le vice-président Mike Pence, ou les propos surréalistes mardi de Mike Pompeo évoquant un leadership américain « en première ligne », n’ont pas suffi à rasséréner les leaders républicains au Congrès, vent debout contre la « trahison » faite à l’allié kurde dans la lutte anti-djihadiste. Elles révèlent surtout une absence complète de stratégie dans le complexe jeu de go syrien, où Damas, Téhéran et Moscou opèrent en maîtres.

« Certaines personnes voudraient que les États-Unis protègent la frontière syrienne éloignée de 11 000 km, tweetait Trump lundi. (…) Je préfère me focaliser sur notre frontière sud. » La frontière syrienne, cependant, présente des dangers au moins aussi palpables que le Rio Grande. « Le groupe État islamique va pouvoir réactiver sa chaîne de commandement, ses ressources mises en sommeil et son réseau mondial, avertit Dana Stroul, du Washington Institute for Near East Policy. Il sera alors en mesure d’attaquer des cibles syriennes, mais aussi irakiennes, voire de planifier de nouvelles attaques contre l’Europe et l’Amérique. À nouveau, la sécurité des États-Unis se voit directement menacée. Mais cette fois, lorsqu’ils se tourneront vers leurs amis pour rebâtir une coalition antiterroriste mondiale, les gouvernements mettront en doute la crédibilité écornée de l’Amérique. À en juger par leur aptitude à surprendre leurs alliés et abandonner leurs partenaires, les États-Unis vont éprouver les pires difficultés à s’assurer des engagements et des contributions. Ce n’est plus l’Amérique d’abord, mais l’Amérique toute seule. »