Cinq parlementaires en classe découverte à Ankara

Image vendredi 04 février 2005 Par Didier HASSOUX

Visite en Turquie de Jean-Louis Debré et des quatre présidents de groupe.

Ankara envoyé spécial «Le club des cinq», comme on les surnomme à l'Ambassade de France, a débarqué hier à Ankara, pour une visite intensive et médiatisée de 72 heures, avec la ferme intention d'«entendre et comprendre» cette Turquie qui frappe à la porte de l'UE. La température locale n'a certes pas facilité les choses, mais le président de l'Assemblée, Jean-Louis Debré, accompagné des quatre présidents de groupe, Bernard Accoyer (UMP), Jean-Marc Ayrault (PS), Alain Bocquet (PCF) et Hervé Morin (UDF), non plus.

«Sans tabou». La délégation parlementaire est venue pour «poser des questions», aborder «sans tabou» les sujets qui fâchent. La place de l'islam dans la société turque, le respect des minorités (arménienne et kurde), le droit d'association, la réforme du code pénal, etc. «Nous sommes loin du langage du Quai d'Orsay», commentait un diplomate.

Dès leur arrivée sur le sol ottoman, les cinq parlementaires ont mis les pieds dans le meze. Jean-Louis Debré en tête. Lors d'une entrevue, à huis clos, avec le Premier ministre, Tayyep Erdogan, promoteur d'un islam modéré, le président de l'Assemblée nationale n'a pas hésité à rendre gloire au petit père de la nation turque, Kemal Atatürk, instaurateur d'un Etat laïc. Selon un participant au rendez-vous, «Erdogan a été bluffé». C'est lui-même qui a provoqué cette rencontre.

En juillet, le Premier ministre turc avait dîné à l'hôtel de Lassay et suggéré une réciprocité. Debré a repris l'invitation au bond et inventé cette formule inédite de voyage parlementaire en compagnie des représentants des groupes politiques.

En mettant le ministre des Affaires étrangères devant le fait accompli. D'ailleurs, la diplomatie française a déserté le Bosphore depuis des lustres. Depuis la visite de François Mitterrand, en 1992, aucun président de la République ni aucun Premier ministre n'a séjourné à Ankara. Ce qu'on nomme pudiquement à l'ambassade «une détérioration des relations franco-turques». Les Turcs «en ont assez d'être considérés comme les "bougnoules" de service», tonne ce diplomate. Ou d'entendre pérorer Nicolas Sarkozy et Philippe de Villiers sur le même thème populiste : «Si la Turquie était dans l'Europe. Ça se saurait !» Ce qui fait dire au président de l'Assemblée nationale turque, Bulent Arinc : «La Turquie de votre opinion publique n'a rien à voir avec la Turquie réelle.» Et d'espérer que l'adhésion d'Ankara à l'UE sera examinée «sans discrimination ni favoritisme». Les responsables parlementaires français donnent le sentiment de s'y employer.

Mémoire. Jean-Marc Ayrault reconnaissait que ses interlocuteurs «ont évolué», notamment à propos du génocide arménien sur lequel ils se disent disposés à effectuer un travail de mémoire. Alain Bocquet, partisan de l'adhésion, et Hervé Morin, qui s'y oppose, parlent de «bonne volonté». Le plus troublé c'est Accoyer. Le président du groupe UMP, partisan d'un «partenariat privilégié» avec la Turquie, dit découvrir à Ankara «un vrai désir d'Europe». Même s'il martèle que «les réponses sont insuffisantes», il répète, par deux fois «aujourd'hui». Comme s'il se réservait le droit de changer d'avis.

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