Cinéma : A l'Affiche «Half Moon» : la face cachée du Kurdistan nomade


Par Gérard LEFORT, mercredi 11 juillet 2007

Half Moon (Nimewang) de Bahman Ghobadi avec Ismail Ghaffai, Allahmorad Rashtiyaniâ 1h47.

Le retour d'exil d'un célèbre musicien kurde irakien et de ses dix fils.

Mamo est un vieil homme. Avec ses fils, il entreprend un long voyage qui pourrait bien être le dernier. Tous embarqués dans un bus antique sur des routes tracées au Moyen Age.
«Quelque part», le mot est faible. Puisque l'approximation géographique est un guide aveugle dans ce nouveau film de Bahman Ghobadi qui joue à saute frontière entre l'Iran, l'Irak, la Turquie et la Syrie. Autant dire en terre kurde, territoire rendu flottant par les guerres régionales, radeau de montagnes et de vallées pierreuses où quelques milliers de naufragés kurdes (ou ce qu'il en reste après leurs gazages massifs par les troupes de Saddam Hussein) bricolent leur idée de nation virtuelle.

Fil rouge. Il semble que la musique joue un rôle essentiel dans leur solidarité. C'est le sujet majeur de Half Moon, c'était déjà un fil rouge dans les précédents films de Ghobadi (dont, explicitement, dès son titre, les Chants du pays de ma mère , 2002). Mamo (Ismail Ghaffai) est en effet un musicien de grand renommée qui pendant les 35 ans que dura la dictature de Saddam Hussein fut interdit de concert en Irak et s'exila en Iran. L'interdit ayant disparu avec la chute du tyran, Kao (Allahmorad Rashtiyani), un de ses fans, décide d'entraîner Mamo vers un récital en terre natale, côté irakien, en compagnie de ses dix fils qui sont aussi ses musiciens accompagnateurs. Au début, ça ressemble à une virée festive à la façon d'une comédie à l'italienne transplantée au Kurdistan : rires et chansons, trognes inouïes et foutus caractères.

Ulysse. On encaisse cependant quelques nid-de-poule sur la (fausse) route enchantée. Primo, la fille unique de Mamo qui, elle, est interdite de voyage. Parce qu'elle est une femme ? se demande-t-on de façon un peu trop réflexe. Pas vraiment. Cette fille de tempérament est en effet l'institutrice d'une école de campagne dont elle ne veut pas abandonner les élèves. On reconnaît à cette occasion le style narratif de Ghobadi qui n'a pas son pareil pour poser des questions dont les réponses ne sont jamais là où on les imaginait.

Ainsi du caractère censément allégorique de ce «voyage de retour», antienne légendaire aussi ancestrale que cette zone indo-européenne d'où nous procédons, au Kurdistan comme ici. Il y a de l'Ulysse dans le vieux Mamo et les incidents qui contrarient son retour rouvrent les souterrains d'une Odyssée où de nouveau le chant des sirènes (une très jeune Circée à la voix de magicienne) le dispute aux envies de meurtres de quelque cyclope moderne. Mais cette familiarité est sans cesse bousculée par des impromptus poétiques, autrement enjôleurs.

Half Moon 
est certes une parabole qui, à ce titre, s'écarte sans cesse du droit chemin. Ce qui tombe à pic dans un film où de poste frontière fermé en impasse, la ligne droite est toujours un zigzag. Mais c'est aussi un film parabolique au sens où l'on dit aujourd'hui d'une antenne qu'elle l'est. Les yeux tournés vers le ciel, Half Moon capte tout, et d'abord, par fidélité à son titre, la face cachée d'un monde : cette civilisation des Kurdes nomades, ses façons qui mêlent la politesse la plus exquise, le bonheur d'être ensemble à des bouffées de violence toutes aussi extrêmes, le malheur d'avoir à se supporter.

Téléphone. Mais Half Moon dévoile aussi la face visible et aveuglante de notre monde où il paraît tout à fait naturel qu'au beau milieu d'un cul-de-sac de caillasses surgisse de la poche un téléphone satellitaire, ou que le vieux Mamo s'en remette au GPS chargé sur l'ordinateur de son fils pour savoir vers où diriger ses pas. L'effet est autant comique que glaçant. Désormais où que tu sois, la musiquette d'un (insup-)portable viendra te sonner. N'était-ce que quelque chose de céleste flotte dans ce film hanté, une onde qui n'a rien à voir avec l'électronique. Sa vraie face cachée, sa face de «demi-lune» invisible et ensorcelée qui le nimbe.

Mamo voyage au bras de la mort. Il ne la craint, ni ne la respecte. Un de ses fils s'en inquiète. «Même la mort n'est pas un malheur» , lui répond Mamo, philosophe cassant mais encourageant.

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