Chantage turc à une opération à l'israélienne en Irak du Nord

Par Ragip DURAN
QUOTIDIEN : Vendredi 28 juillet 2006 - 06:00
Istanbul de notre correspondant  


Ankara fait monter la pression pour s'attaquer aux rebelles du PKK.


Il y a certes une part de pure gesticulation pour satisfaire le nationalisme croissant de l'opinion publique turque. Mais, malgré l'opposition déclarée de Washington, les autorités d'Ankara évoquent toujours plus ouvertement une éventuelle «opération antiterroriste» transfrontalière en Irak du nord, pour attaquer les bases des rebelles kurdes turcs du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), considéré comme une organisation terroriste aussi bien par les Américains que l'Union européenne.

«Sale guerre». Depuis le printemps, le PKK a intensifié ses attaques dans le sud-est anatolien, peuplé en majorité de Kurdes (ils représentent 13 millions des 70 millions de citoyens turcs). Plus de 20 soldats ont été tués ces deux dernières semaines lors d'accrochages ou par des mines. Depuis le début de l'année, le bilan des affrontements entre l'armée et les rebelles s'élève à 600 victimes environ. Les Kurdes craignent désormais un retour de la «sale guerre» qui a fait 37 000 morts entre 1984 et 1999. Jusqu'à la capture du leader du PKK, Abdullah ÷calan, au Kenya ­ il a depuis été condamné à la prison à vie. La multiplication du nombre de « martyrs » renforce, elle, les sentiments antikurdes et chauvins, qui visent en particulier les Etats-Unis.

 Combattantes du PKK dans le Kurdistan irakien. REUTERS


«Israël ratisse l'ensemble des territoires palestiniens et opère au Liban quand un seul de ses soldats est enlevé par les terroristes, et nous ne faisons rien alors que des dizaines de nos soldats sont tués», déclarait la semaine dernière au quotidien populaire Hurriyet un ministre qui préférait rester anonyme. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, de l'AKP (Parti de la justice et du développement), issu du mouvement islamiste, n'a pas hésité à «remettre à sa place» l'ambassadeur américain qui lui exposait l'opposition de l'administration Bush à une opération transfrontalière en Irak, qui ferait encore monter la tension dans la région. «C'est au gouvernement et non aux ambassadeurs de décider sur de tels sujets», a rétorqué le leader de l'AKP soumis à la pression de médias déchaînés. «L'opinion ne peut admettre que les Etats-Unis reconnaissent le droit d'Israël à l'autodéfense et refusent ce même droit à la Turquie», écrit Asli Aydintasbas du populaire Sabah . Mais, dans les colonnes du libéral et très intellectuel quotidien Radikal, Hasan Cemal n'est pas en reste, affirmant que «pour la Turquie aussi une opération transfrontalière est un droit et la condition indispensable de sa sécurité».

Les autorités ont d'ores et déjà annoncé avoir donné les ordres pour préparer les plans et le dispositif pour une telle opération en Irak du nord, vers les monts Kandil, où se trouvent les bases du PKK. Mais Erdogan, en fait, mise surtout sur l'effet d'annonce pour calmer son opinion publique. Une intervention dans le Kurdistan d'Irak aurait en effet des conséquences dévastatrices sur les rapports de la Turquie avec Washington et même l'Union européenne. Cette région dispose d'une quasi-indépendance, et les partis kurdes irakiens sont les plus solides alliés des Occidentaux dans le pays. Président de la région, Massoud Barzani, leader du Parti démocratique du Kurdistan, tout en s'engageant à prendre des mesures contre le PKK, répétait encore mardi que «les troupes turques ne seraient pas les bienvenues» et que «les forces kurdes défendraient leur territoire».

Recours à l'Otan. En faisant monter la pression, Recep Tayyip Erdogan, après un entretien téléphonique avec George W. Bush, a réussi à obtenir un engagement pour une action concertée «afin de faire face à la menace terroriste». Le Premier ministre turc a même proposé depuis que l' «Otan soit chargée en Irak du nord de la même mission qu'en Afghanistan contre le terrorisme» . C'est une façon de rappeler à nouveau clairement les priorités d'Ankara, mais aussi de préparer l'opinion à une éventuelle participation turque à une force de maintien de la paix internationale au Sud-Liban. Une majorité de Turcs y est pour le moment hostile, estimant que les Américains adoptent un « double standard» dans la lutte contre le terrorisme.