Ces enfants kurdes jugés comme des terroristes

mis à jour le Jeudi 11 février 2010 à 23h17

Lefigaro.fr | Laure Marchand, à Istanbul

Poursuivis par la justice turque pour avoir manifesté leur soutien au PKK, traités comme des adultes, ils peuvent être condamnés à vingt ans de prison.

La photo de Berivan qui est accrochée au mur du salon familial, au-dessus d'un bouquet en plastique, a fait la une de tous les journaux. Avec son sourire timide, cette adolescente est devenue le symbole de la montée de la répression judiciaire turque contre les enfants kurdes qui participent à des manifestations de soutien à la guérilla du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan).

La jeune fille de 15 ans a été arrêtée le 9 octobre à Batman, dans l'est de la Turquie, au cours d'un rassemblement interdit. Fin janvier, une cour criminelle spéciale l'a reconnue coupable de «crimes commis au nom d'une organisation illégale», «manifestations hors la loi» et «actes de propagande pour une organisation illégale». Verdict : sept ans et neuf mois de prison. «Ma fille est traitée comme la pire des criminelles, même un meurtrier peut s'en sortir mieux, se révolte Meryem, sa mère. Ils l'ont ramassée dans la rue et en ont fait une terroriste.»

À son procès, Berivan, ouvrière dans une usine d'emballage de vêtements, a déclaré ne pas comprendre la signification du mot «propagande». Incarcérée depuis quatre mois, elle envoie à sa «maman chérie» de longues lettres sur du papier décoré de fleurs roses. «Je voudrais n'avoir jamais été séparée de toi, c'est si dur d'être ici, sors-moi de là», supplie-t-elle dans une écriture appliquée.

 

«Une vaste comédie» 

Comme Berivan, 83 autres mineurs se trouvent dans la prison de Diyarbakir, la grande ville kurde de Turquie, déjà condamnés ou en attente de jugement. Ces deux dernières années en Turquie, selon un décompte de l'Association des droits de l'homme (IHD), 3 000 enfants sont poursuivis pour avoir pris part à des manifestations, essentiellement dans les régions de l'est du pays. Les jets de pierres et de cocktails Molotov contre les forces de l'ordre ou une simple présence à un meeting tombent sous le coup de la loi antiterroriste et sont punis de très lourdes peines de prison.

Depuis 2006, à la suite d'un durcissement de la législation, les plus de 15 ans sont jugés comme des adultes, en violation de la convention onusienne relative aux droits de l'enfant, signée par la Turquie. «Certains se voient condamnés à vingt ans de prison, sans réduction de peine, s'insurge Canan Atabay, une avocate de Diyarbakir. Prononcer de telles sentences pour des jets de pierres ressemble à une vaste comédie alors que l'avenir de ces enfants est en jeu. C'est l'arsenal législatif qu'il faut revoir de fond en comble.» L'un de ses vingt-deux clients mineurs, âgé de 16 ans, est accusé d'avoir lancé des cocktails Molotov. Il encourt jusqu'à 44 ans de prison.

 

«Ils sont tous en prison» 

Le Parlement est censé s'attaquer à la situation des «enfants terroristes» depuis novembre. Mais le projet de loi n'a toujours pas été inscrit à l'ordre du jour. Victime de l'enlisement de cette «ouverture démocratique» que le gouvernement islamo-conservateur avait promis afin de répondre aux revendications des 12 millions de Kurdes de Turquie. Même si les mesures prévues sont votées, «il sera toujours possible de condamner à une peine supérieure à dix ans» et l'option de la prison restera la norme, selon l'Association des droits de l'homme de Diyarbakir. «Ces jeunes en prison sont les enfants des Kurdes qui ont été tués ou torturés par l'État turc, dont les villages ont été rasés, estime Arif Akkaya, porte-parole d'un collectif de familles, en faisant référence au conflit qui a fait plus de 45 000 morts depuis 1984. Une telle expérience ne peut conduire qu'à leur radicalisation.»

Mehmet, 17 ans, fait partie de la génération de l'«Intifada kurde», comme les médias l'ont surnommée. Remis en liberté provisoire en novembre dernier, l'adolescent avait été arrêté en mars 2008 alors qu'il manifestait pour dénoncer les opérations de l'armée turque contre les bases arrière du PKK en Irak. «Je risque vingt-cinq ans pour des cocktails Molotov, mais dans mon dossier, il n'y a qu'une photo de moi les bras croisés», assure-t-il.

D'une voix tranquille, qui n'a pas encore fini sa mue, le jeune garçon raconte qu'il a eu le temps de réfléchir derrière les barreaux : «La seule explication que j'ai trouvée à ce qui m'arrive c'est que je suis kurde. Mon rêve est désormais de rejoindre l'organisation dans la montagne et de me battre pour mon peuple.» Et l'engagement politique ? «Regardez le résultat, ils sont tous en prison», rétorque-t-il. Depuis l'interdiction en décembre par la Cour constitutionnelle du parti pro kurde, qui était accusé de liens avec le PKK, une centaine de ses membres a été arrêtée. Plusieurs dizaines, dont huit maires, sont toujours détenues.