Bruxelles veut dénoncer sans braquer Ankara

mis à jour le Vendredi 25 octobre 2013 à 17h45

Liberation.fr | Marc SEMO (à Ankara)

ANALYSE + DOCUMENT L’UE publie son rapport annuel sur la Turquie, alors qu’elle souhaite rouvrir les négociations d’adhésion.

Dans ce genre d’exercices, la forme compte presque autant que le fond. Publié aujourd’hui, le rapport annuel de la Commission européenne sur la Turquie dresse, comme pour chaque pays candidat, le bilan annuel des réformes exigées pour une adhésion à l’Union européenne (lire ci-dessous l'intégralité du rapport, en anglais). L’enjeu est particulièrement délicat cette année, alors que Bruxelles espère relancer des négociations commencées en octobre 2005 mais enlisées depuis, sans pour autant taire les critiques en matière d’atteintes aux libertés. Ni fermer les yeux sur la répression au printemps des manifestations contre l’autoritarisme croissant du Premier ministre islamo-conservateur, Recep Tayyip Erdogan.

«Le mouvement de Gezi est un tournant qui a montré la force de la société civile turque, qui veut profiter des libertés acquises ces dernières années dans le cadre du processus d’adhésion», estime Jean-Maurice Ripert, chef de la délégation de l’UE à Ankara. Le texte du rapport se veut «équilibré». Il s’agit de dire les choses sans pour autant braquer encore un peu plus les autorités turques après des mois de tension.

«Forces obscures». A ses interlocuteurs du gouvernement turc qui le pressaient de relancer les négociations, le commissaire à l’Elargissement, Stefan Fühle, rappela, début juin, qu’avant «de parler du futur», il fallait «évoquer le présent». Il avait en effet rencontré les occupants du parc Gezi à Istanbul. Ce parler vrai irrita d’autant Ankara que, peu après, les députés de Strasbourg votaient le 12 juin une résolution très ferme contre la répression, s’attirant les foudres d’Erdogan : «Qui es-tu, Parlement européen, pour prendre une décision sur la Turquie ?» Les Vingt-Sept d’alors décidèrent aussi de renvoyer à cette fin octobre leur décision sur l’ouverture du chapitre 22 des négociations d’adhésion (les politiques régionales) qui devait marquer la relance du processus après trois ans d’immobilisme. Les autorités turques vitupéraient sur les complots de «forces obscures» internes et externes contre leur pays. Le ministre des Affaires européennes, Egemen Bagis, clamait ne plus croire à une adhésion pleine et entière de son pays à l’UE.

Kurdes. Depuis, le ton a changé. «Les autorités turques ont fini par comprendre à quel point leur image internationale est écornée par les événements du printemps», souligne un diplomate occidental. Erdogan annonçait le 30 septembre, un «paquet de réformes démocratiques» présentées comme «historiques». Elles prévoient notamment la libéralisation du port du foulard dans les administrations publiques et offrent aussi quelques concessions aux Kurdes. Jugées comme un pas dans la bonne direction par l’Union européenne, elles ont en revanche déçu l’opposition et les Kurdes.

L’ouverture de négociations de paix avec la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et son leader, Abdullah Ocalan, n’en représentent pas moins aux yeux des auteurs du rapport «un véritable tournant». Ce processus débuté en mars est aujourd’hui au point mort. Dans un message envoyé lundi depuis sa prison, Ocalan n’en a pas moins clamé qu’il gardait espoir dans ce processus de paix «qui a une grande signification». Entre répression et velléités réformistes, les autorités turques font le grand écart avant une année cruciale avec les municipales en mars suivies de la présidentielle à l’automne. Les Européens gardent un ton mesuré dans l’espoir de rester audibles à Ankara.

Turkey Rapport 2013 by Libération

Turkey Rapport 2013