Bilan contrasté pour l’armée turque dans le nord de l’Irak


Mardi 4 mars 2008 | RAGIP DURAN

L’intervention militaire turque menée du 21 au 29 février était la plus grosse depuis onze ans en Irak du Nord contre les bases arrières des rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Cette opération de neuf jours a été menée avec l’accord des Américains.

L’opération turque en Irak est-elle un succès ?

L’armée turque affirme que 270 «terroristes» ont été tués et que nombre d’infrastructures logistiques du PKK dans la zone frontalière ont été détruites. Le PKK assure contre toute évidence n’avoir perdu que 5 hommes mais avoir tué 130 soldats turcs. «On leur a donné une leçon et nous en donnerons d’autres si nécessaire», a affirmé hier le chef d’état-major turc Yaşar Büyükanıt. Nombre de commentateurs relativisent la portée de cette «victoire». Les services de renseignement turcs estimaient en effet qu’il y avait entre 3 500 et 4 000 combattants du PKK dans les montagnes du Nord de l’Irak dans des zones échappent à tout contrôle du gouvernement régional du Kurdistan irakien. Ankara n’en a pas moins réussi à mener une opération dans des conditions hivernales difficiles pour casser une partie des infrastructures du PKK, qui se prépare comme tous les ans à lancer une vague d’attaque à partir du 21 mars, le nouvel an kurde. «Si le PKK peut encore attaquer à partir du territoire irakien, nous devrons alors nous interroger sur l’efficacité même de l’option du tout-militaire», analyse Cengiz Çandar, chroniqueur du quotidien économique Referans. «Pour la majorité des Kurdes de Turquie le PKK reste encore une bonne référence», souligne Ümit Fırat intellectuel kurde et partisan de longue date d’une solution politique. Une partie croissante des élites turques rappelle qu’il est impossible de briser la rébellion kurde sans trouver une solutiongarantissant plus de droits culturels mais aussi économiques et sociaux à cette population qui représente un cinquième de celle du pays. Les Européens et Washington insistent aussi sur ce point.

Est-ce le signe d’un réchauffement entre Ankara et Washington ?

Les commandos et l’aviation turcs ont bénéficié en temps réels des renseignements donnés par les Américains. Massivement antiaméricaine depuis le début de la guerre d’Irak, l’opinion publique turque est convaincue que l’opération a dû s’arrêter plus tôt que prévu à cause de Washington. «Les Américains qui ont gardé le silence contre Israël dévastant la bande de Gaza ont empêché la poursuite de l’opération antiterroriste dans le Nord de l’Irak», clame Deniz Baïkal, le leader de l’opposition nationaliste de gauche. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan et les militaires nient. «Si on peut démontrer des pressions américaines, je renonce à mon uniforme», a affirmé le chef d’état-major.

Il n’en est pas moins évident que les Américains voulaient une intervention courte craignant une déstabilisation du Kurdistan irakien qui échappe au contrôle de Bagdad depuis 1991 et a été jusqu’ici épargné par le chaos. Mais Washington tente depuis quelques mois de réchauffer les liens avec une Turquie, qui, pilier du flanc sud-est de l’Otan, fut longtemps son principal allié régional. «Il est sûr que les Américains vont demander la contrepartie de cette aide», affirme Ruşen Çakır, chroniqueur du quotidien Vatan et spécialiste de la question kurde. Washington pousse ainsi Ankara à instaurer de bonnes relations avec le gouvernement central irakien mais aussi avec le gouvernement régional du Kurdistan irakien.