Avec la VIVA World Cup, un autre football est possible

mis à jour le Mercredi 6 janvier 2010 à 18h21

Lemonde.fr | Erwan Le Duc

"AGällivare, en Laponie, on a vu des Araméens de Syrie chanter en chœur avec des Kurdes d'Irak et des Padans du nord de l'Italie. Tant qu'on pourra montrer ça, on aura gagné notre pari." La scène peut relever du pittoresque. Imaginez maintenant les mêmes protagonistes en short sur un terrain de football, et vous aurez un tableau plus précis du pari réussi dont parle Jean-Luc Kit, membre fondateur du N.F.-Board. Celui de la VIVA World Cup, une Coupe du monde alternative qui réunit autour d'un ballon le gratin des peuples sans Etat, et a fortiori sans fédération officielle.

Avant de suivre le Mondial 2010 en Afrique du Sud, la planète football pourra, en avril, se tourner vers la petite île de Gozo, faisant partie de l'archipel de Malte. Et décrypter avec attention les performances des sélections de Laponie, du Kurdistan, de l'Occitanie ou du Tibet lors de la quatrième édition de la VIVA World Cup. Tout un programme, et une drôle d'aventure, qui est née le 12 décembre 2003 à 11 heures à La Mort subite, un pub du centre-ville de Bruxelles.

Fondé par Christian Michelis, Me Luc Misson (avocat de Jean-Marc Bosman), Thierry Marcadé et Jean-Luc Kit, le N.F.-Board est une association à but non lucratif enregistrée en Belgique et en cours d'agrément pour une reconnaissance ONG auprès de l'ONU. Cette "équipe de passionnés", comptant aujourd'hui une trentaine de bénévoles (et notamment le ministre du travail de la république de Kiribati, pays insulaire du Pacifique), s'est lancée à l'aube du nouveau siècle dans le projet d'une Coupe du monde d'un nouveau genre, avec pour seule religion celle du ballon. En rêvant que celui-ci soit fédérateur, avec des affiches telles que Provence-Laponie, Araméens-Monaco ou Padanie-Kurdistan, et surtout sans aucun agenda politique. Une gageure pour un tournoi regroupant des peuples sans Etat ?

"APOLITIQUE", LÉGALISTE MAIS DIFFÉRENT

"Le NFB est totalement apolitique et non confessionnel, et a largement prouvé sa détermination en ce sens par le passé. Sa devise revient à dire que, si c'est beau un monde qui joue [devise de la FIFA, ndlr], c'est encore plus beau si tout le monde joue !" La géopolitique du football n'est "pas le propos", confirme Jean-Luc Kit. "On aime parler de territoire géographiquement ou sportivement isolés. Sous cette forme, on peut aller assez loin. On parle de gens qui ont droit comme tout un chacun de jouer au foot, même s'ils entendent les bruits de botte."

Quitte à s'exposer à une récupération de l'événement ? "On a essayé de nous instrumentaliser, lors de la première édition de la VIVA World Cup, en 2005, prévue dans la République turque de Chypre du Nord. On a annulé le tournoi, précise Jean-Luc Kit. On est très sensibles sur le sujet. Dès lors que la politique ou la religion prennent le pas sur le football, on se retire." Le message serait dans la démarche et non dans le discours. Tout en réfutant le moindre engagement politique, cette Coupe du monde des non-alignés l'est de fait à partir du moment où se créent des sélections du Kurdistan ou du Tibet. Mais tant que ça reste du football...

Le NFB, qui est en relation avec d'autres organisations telles que l'International Island Games, le North American Indigenous Games, mais aussi avec l'Unesco et le département Sport for Development and Peace de l'ONU, se veut d'ailleurs fondamentalement légaliste. "Il ne s'agit pas d'affilier demain une Fédération française bis, nous ne voulons pas de fédérations pirates, on y fait très attention, mais on étudie tout dossier. Les relations avec la FIFA sont courtoises, on est complémentaires. Il est même arrivé, nous l'avons su, que la FIFA ait recommandé la VIVA World Cup pour la FA Tamoule. Nous faisons jouer les équipes qui sont privées de compétitions."

LE BAR DE LA GUERRE DES ÉTOILES

Au Kurdistan d'Irak, on prend la chose très au sérieux : plus de dix millions de téléspectateurs ont suivi le premier match international de l'équipe "nationale", lors de la VIVA World Cup en 2008, et la Fédération a posé sa candidature pour organiser l'édition 2012 du tournoi. "On est allés là bas en novembre et nous sommes revenus très enthousiastes, vu la volonté de tout un peuple et de tous les médias locaux à organiser un tel événement", explique M. Kit. "La Fédération irakienne a même récemment demandé à jouer ses matchs dans cette partie du pays, la plus calme de la région."

Et Jean-Luc Kit d'insister sur un principe de base : le football est un jeu. "En jouant au foot, le but n'est pas de changer la géographie de la planète, mais de rapprocher les gens quand tout est fait pour les séparer." L'univers du NFB, est plutôt constitué d'assemblées générales qui ressemblent aux scènes de bar dans La Guerre des étoiles tant la diversité culturelle est foisonnante, de troisièmes mi-temps où les arbitres chantent plus fort que les joueurs, dans un esprit qui n'est sans rappeler celui du rugby de terroir.

LE DÉFI DU DÉVELOPPEMENT

Le défi de ces irréductibles citoyens du monde tient désormais dans la capacité de la VIVA World Cup à se développer en évitant la crise de croissance. Et d'intégrer de possibles sponsors sans y laisser son âme. "L'organisation se professionnalise, avec plus de moyens, de compétences, et même des propositions d'achats des droits télé. Le tournoi monte en puissance, on parle déjà de 2014, de compétitions féminines, de tournois pour les jeunes", explique M. Kit.

En 2010, "huit équipes masculines et quatre formations féminines seront inscrites. Dix-huit candidatures ont été déposées, mais le choix des participants va se faire surtout sur le plan financier. Les équipes du Tibet ou du Groenland auront du mal à débourser 40 000 euros pour venir jouer, même si maintenant nous participons aux frais d'hébergement. L'objectif ultime est bien sûr de prendre entièrement en charge ces frais, pourquoi pas à partir de 2012. Mais nous avons fait le choix d'évoluer étape par étape – on ne veut pas grossir trop vite – et apprendre à ce rythme-là."

Tout en mentionnant l'étonnant dossier d'une sélection de la principauté de Sealand (créée en 1967 par un ancien major de l'armée britannique sur une plate-forme pétrolière située dans les eaux internationales au large des côtes britanniques), Jean-Luc Kit évoque pour finir ses affiches de rêve. "Un Tibet-Tchétchénie me plairait assez, ou un Tibet-Vatican. Plus plausible, un Kurdistan-Chypre du Nord serait aussi intéressant. Pour rapprocher des gens qui ne se sont pas toujours parlé." Et pour ensuite les faire chanter en chœur avec des Pygmées, des Indiens d'Amérique, des Lapons ou des Maoris, et des arbitres, puisque dans l'irréductible village de la VIVA World Cup, un autre football est apparemment possible.