Ankara prépare une nouvelle intervention dans le nord de la Syrie

mis à jour le Mardi 8 octobre 2019 à 19h30

Lefigaro.fr | Minoui, Delphine

LE PRÉSIDENT Erdogan a désormais le feu vert de Washington pour intervenir dans le nord de la Syrie. Maintes fois annoncée, puis reportée, l’opération turque semblait imminente, ce lundi, alors que les premières troupes américaines quittaient cette zone frontalière particulièrement straté­gique pour Ankara.

 « Il y a une phrase que nous répétons tout le temps : on pourrait entrer (en Syrie, NDLR) n’importe quelle nuit sans prévenir. Il est absolument hors de question pour nous de tolérer plus longtemps les menaces provenant des groupes terroristes », a prévenu le dirigeant turc à l’issue de son entretien téléphonique avec Donald Trump et l’annonce du retrait américain.

Pour la Turquie, qui qualifie de « terroristes » les forces des Unités de protection du peuple (YPG), il s’agirait de mettre en place la fameuse « zone tampon » entre sa frontière et les régions contrôlées par les milices kurdes jusqu’ici soutenues par Washington dans le combat anti-Daech dans le nord de la Syrie. « Nous sommes déterminés à protéger notre (…) sécurité en nettoyant cette région des terroristes », a pour sa part précisé le ministre des Affaires étrangères turc, Mevlüt Cavusoglu.

Le retrait américain, qui a créé la surprise, était pourtant prévi­sible, selon Omer Ozkizilcik, du think-tank Seta, proche du gouvernement turc. « L’Administration américaine a toujours souhaité se désengager de Syrie. La pression turque lui a permis de préparer son retrait avant les élections présidentielles », estime-t-il. Mardi dernier, le président turc avait une fois de plus formulé son impatience face à la lenteur des décisions américaines sur l’établissement de la zone de sécurité. « Les États-Unis ont toujours considéré leur partenariat avec les YPG comme tactique, tandis que leur alliance avec la Turquie, un allié clef de l’Otan, est indispensable », poursuit le chercheur turc.

À ce stade, ni la date ni les contours d’une intervention turque n’ont été précisés ou confirmés. Selon les experts, elle devrait, dans sa forme, s’apparenter aux deux précédentes offensives dans le Nord syrien, l’une en 2016 à Syrie, contre l’État islamique, l’autre en 2018 à Afrin, contre les YPG. « Cette opération sera menée en partenariat avec les factions de l’Armée syrienne libre. La région passera alors sous le contrôle d’un conseil local, qui permettra d’empêcher Daech de revenir. Une fois la zone de sécurité établie, un demi-million de Kurdes syriens pourraient être amenés à revenir. Et cela garantira, aussi, le retour d’une partie des 3,5 millions de réfugiés syriens qui vivent en Turquie », précise Omer Ozkizilcik.

Mais l’inquiétude est percep­tible. Les populations kurdes, qui se disent lâchées par Washington, craignent que l’offensive turque ne transforme la carte du Nord syrien. « À bas l’occupation », « à bas Erdogan », ont ainsi scandé, dès ce dimanche, des milliers de manifestants massés à la frontière aux abords de la localité syrienne de Ras al-Aïn, avant de se diriger symboliquement vers une base de la coalition internationale dirigée par Washington. Dans un communiqué, les autorités de la région autonome kurde ont appelé la communauté internationale à faire « pression pour empêcher la Turquie de commettre toute agression ». Soucieuse de prévenir un risque de répression des Kurdes, l’Organisation des Nations unies déclare « se préparer au pire ». « Nous ignorons ce qui va se passer », concède Panos Moumtzis, le coordinateur humanitaire de l’ONU pour la Syrie, en affirmant être « en contact avec toutes les parties sur le terrain ». De leur côté, les forces locales kurdes ont creusé des tranchées et des tunnels dans les secteurs de Ras al-Aïn, Tal Abyad ou encore Kobané, frontaliers de la Turquie, pour se préparer à une éventuelle attaque, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).

La possibilité, évoquée dans le communiqué de la Maison-Blanche, de confier à la Turquie la responsabilité des combattants européens de l’ÉI actuellement détenus en Syrie par les Kurdes, constitue une autre source d’inquiétude. « La Turquie va continuer de se battre contre Daech et ne le laissera pas revenir, sous une forme ou une autre », insiste, via son compte Twitter, le porte-parole de la présidence turque, Ibrahim Kalin. La réalité s’avère pourtant plus complexe, au risque de se transformer en enjeu de sécurité européen. « Si les combattants de l’EI en Syrie relèvent de la responsabilité turque, alors elles sont aussi la responsabilité de l’Europe. Si Ankara échoue à retenir les combattants de l’EI en Syrie, alors ils deviendront un problème européen », souligne Soner Cagaptay, chercheur au Washington Institute for Near Policy.