Ankara met fin à son offensive dans le Kurdistan irakien


1er mars 2008 | SILKÉ, MERUZ, SIRYÉ, BAMARNI (Kurdistan) ENVOYÉE SPÉCIALE | Cécile Hennion

Ankara a mis fin, vendredi 29 février, à son offensive en Irak. Après huit jours d'opérations militaires contre les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), les troupes turques ont "regagné leurs bases", se retirant de la région du Kurdistan irakien - au moins provisoirement. "Les activités terroristes dans le nord de l'Irak seront suivies de près, a précisé l'armée. Aucune menace depuis ce territoire contre la Turquie ne sera tolérée."

Côté irakien, les tensions demeurent fortes dans la zone frontalière. Et la région de Zab a continué de retentir des raids aériens. Posté sur le toit de sa maison, le vieux Tafo Abdulrahman écoute, fataliste, "la petite musique turque" : des bombes larguées à rythme soutenu dans la vallée en contrebas de son village de Silké, semblant ébranler les sommets enneigés.


AFP/MUSTAFA OZER
La vaste opération de l'armée turque pour déloger les séparatistes kurdes du PKK réfugiés dans le nord de l'Irak aura duré huit jours, du 21 au 28 février.

Non loin, les habitants de Meruz ont été évacués pour céder la place à plusieurs centaines de peshmergas (armée kurde d'Irak) chargés de surveiller que les Turcs ne franchissent pas "la ligne rouge" au-delà de laquelle ils ont promis d'intervenir.

Une centaine de villages, sous contrôle du PKK, sont en deçà de cette limite, ainsi que Wharakhalé, nom de la vallée bombardée, à 10 kilomètres à l'intérieur du territoire irakien. Les peshmergas affirment qu'elle fut, la veille, le théâtre de rudes combats.

Selon le porte-parole du PKK, Ahmet Denese, interrogé par téléphone, "les troupes turques ont battu en retraite, mais 200 de leurs soldats sont bloqués à Wharakhalé, encerclés par nos combattants. Ces raids aériens visent à les sortir de là". Information impossible à vérifier, les peshmergas empêchant l'accès au front.

Les pertes déclarées par l'un ou l'autre des deux camps restent sujettes à caution. Vingt-sept soldats turcs et 240 rebelles kurdes auraient été tués, selon Ankara. Le PKK avance le chiffre de 130 soldats turcs tués, dont "beaucoup sont morts de froid", ainsi que cinq de ses combattants et douze blessés. Pour ces derniers, les contreforts montagneux de l'Irak ne recèlent aucun hôpital. Et la centaine de villages, considérés comme sympathisants des rebelles ou susceptibles de les recueillir, ont tous été désertés.

Aux premiers bombardements, leurs habitants ont pris la fuite, une fuite rendue périlleuse par la destruction de plusieurs ponts par l'armée turque.

Plus au sud, à Syrié, les familles réfugiées, indifférentes à l'annonce de la cessation des combats, creusent frénétiquement des abris dans le sol gelé. "Ils ont bombardé des ponts. Le PKK n'a pas de tanks ! Preuve que les Turcs en veulent au Kurdistan (d'Irak). Ils reviendront", rugit, sans cesser de creuser, et sous l'approbation générale, Jalal Saadullah, père inquiet d'une ribambelle de gamins.

PEUR PANIQUE

Autre source de tension, la présence de bases turques établies dans cette région avec l'accord des maîtres kurdes du nord de l'Irak, en 1997, à une époque où les rivalités interkurdes avaient dégénéré en affrontements sanglants entre peshmergas et combattants du PKK.

Le village de Bamarni a eu une peur panique, au début de l'incursion turque, le 21 février, en voyant les 350 soldats d'une de ces bases, suivis de vingt tanks, prendre la route de la montagne. Probablement pour prendre les positions PKK à revers, ou alors "pour occuper de nouveaux points stratégiques et nous envahir".

Les habitants racontent leur avoir barré la route, kalachnikov à la main, deux kilomètres plus haut, à l'appel des peshmergas. Il n'y a pas eu de clash. Les soldats ont fait demi-tour, mais leurs canons sont désormais pointés sur le village, attisant le ressentiment.

Autour des zones de combat, les villages ont été inondés de tracts, mercredi 27 et jeudi 28 février, représentant un combattant du PKK au centre d'une cible tracée en rouge, ou une jeune rebelle au visage couvert de pustules rêvant à une vie de famille tranquille...

La zone frontalière attend, avec le sentiment d'être prise en étau entre le Parti des travailleurs du Kurdistan, évoqué avec admiration ou haine tenace mais toujours comme recelant de redoutables guerriers, et la puissante armée turque, redevenue unanimement dans les esprits le grand ennemi des Kurdes.