Accusée par Washington d'«entretenir le terrorisme», la Syrie promet d'aider à stabiliser l'Irak

23 novembre 2006
BAGDAD ENVOYÉ SPÉCIAL

Arrivé dimanche à Bagdad pour rétablir avec une certaine pompe les relations diplomatiques entre son pays et l'Irak, Walid Al-Moallem, le ministre syrien des affaires étrangères, venait tout juste de signer les documents afférents sous les caméras et de quitter la capitale irakienne, mardi 21 novembre, lorsqu'on a appris l'assassinat de Pierre Gémayel à Beyrouth.

Aussitôt pointés du doigt - avec l'Iran - par un George Bush désormais sur la défensive, les Syriens, invités par Tony Blair à "aider" Bagdad à stabiliser la situation irakienne, venaient de faire une promesse en ce sens, dans la perspective d'une normalisation.

S'il était impossible d'évaluer immédiatement les conséquences de l'assassinat, un haut diplomate irakien confiait mardi soir que "si l'un des acteurs de la région cherchait à envenimer un peu plus les relations entre Washington et Damas pour entraver celles que la Syrie veut resserrer avec nous, cela ne marchera pas". "Nous avons besoin des Syriens, comme des Iraniens, des Saoudiens et des Jordaniens, qui sont tous nos voisins, pour stabiliser notre pays", ajoutait-il.

Toujours compliquées et heurtées, les relations entre l'Irak et la Syrie, alors tous deux gouvernés par des régimes baassistes rivaux, s'étaient envenimées dès le début de la guerre déclenchée, en 1980, par Saddam Hussein contre l'Iran khomeiniste. En opposition à l'ensemble des puissances occidentales, Europe et Amérique comprises, qui soutenaient alors l'Irak, Damas s'était solidarisé avec l'Iran et lui avait même fourni des armes, suscitant la rupture des relations diplomatiques en 1982, à l'initiative de Bagdad. En 1991, la Syrie avait également participé, à la demande du président Bush senior, à la coalition multinationale qui avait chassé les armées de Saddam Hussein du Koweït.

Reprises en 2001 au niveau des chargés d'affaires, puis à nouveau distendues après l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis et le Royaume-Uni en mars 2003 - Damas s'était prononcé contre la guerre -, les relations diplomatiques sont donc redevenues, comme disait mardi M. Moallem, "pleines et entières".

Ce qui ne signifie pas que le voisinage est dénué de nuages. Depuis le début de l'occupation militaire, Washington et Londres reprochent régulièrement à Damas de "ne rien faire", voire d'"entretenir le terrorisme en Irak" en fermant les yeux sur le passage par son territoire de centaines de "combattants étrangers armés" qui vont rejoindre l'insurrection sunnite irakienne.

600 KM DE FRONTIÈRE POREUSE

A Bagdad, sans accuser directement le pouvoir syrien, "dont on ignore le rôle dans cette affaire", le major général américain William Caldwell, porte-parole de la coalition militaire, évaluait encore lundi "de 70 à une centaine" le nombre de "terroristes étrangers, saddamistes et djihadistes d'Al-Qaida, qui franchissent chaque mois la frontière syro-irakienne".

La Syrie, qui héberge à présent plusieurs centaines de milliers de réfugiés irakiens qui fuient la guerre civile dans leur pays, réplique régulièrement qu'elle a renforcé ses contrôles frontaliers, qu'elle a arrêté des centaines de candidats combattants et qu'il lui est impossible de surveiller l'ensemble de ses 600 km de frontière - poreuse et désertique - avec l'Irak. Damas invite également périodiquement l'armée de son voisin - et, indirectement, leurs alliés américains - à renforcer elle-même la surveillance de son côté.

Mardi, à Bagdad, M. Moellem a promis à ses "frères irakiens" que le fameux "comité conjoint de sécurité", dont la création avait déjà été annoncée, fin 2004, lors d'une visite à Damas de l'ancien premier ministre irakien Iyad Allaoui, serait véritablement activé avec des rencontres régulières entre les experts de sécurité des deux pays. Le chef de la diplomatie syrienne, qui a appelé les Américains à "établir un calendrier de retrait d'Irak, ce qui pourrait diminuer les violences", a fait savoir à ses hôtes que son pays souhaitait "un Irak stable, prospère et pacifié".

Il a répété, sans forcément convaincre tout le monde, notamment M. Blair, qui a tout de même "salué" sa visite à Bagdad, et Washington, qui attendent maintenant "des preuves" du changement promis, que la stabilité de l'Irak est "dans l'intérêt" de Damas.

Le président irakien, le Kurde Jalal Talabani, qui doit se rendre en fin de semaine à Téhéran pour rencontrer le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, a été invité à se rendre ensuite à un sommet avec Bachar Al-Assad à Damas.

Patrice Claude
Article paru dans l'édition du 23.11.06