A l'affiche : «Frères d'exil» et de sang

InfoCinéma
Par Edouard WAINTROP - mercredi 12 avril 2006

D'une parfaite âpreté, le destin d'un Kurde et d'un Turc, tous deux très jeunes immigrés largués en Allemagne.

Frères d'exil de Yilmaz Arslan, avec Xewat Gectan, Erdal Celik, Nurettin Celik. 1 h 32

C'est un film sur lequel la mort plane. Et ceci dès le premier plan où la caméra cadre de près une famille qui se lamente devant la dépouille d'un fils.

 Qui est ce gisant, qui sont ceux qui le pleurent ? Nous apprendrons plus tard que cette famille est turque, vit en Allemagne ; que les parents sont de braves commerçants mais que les fils, le mort et son frère, sont des trafiquants redoutables doublés de brutes... Off, une voix d'enfant philosophe et commente ces images. Elle parle du destin. Nous découvrirons que cette voix est celle d'Ibrahim dit Ibo, un petit Kurde qui joue le rôle du choeur dans la tragédie grecque...

Foyer de migrants. Le film commence en fait ailleurs, au fin fond de la Turquie, ou plutôt en pays kurde. La famille Harreman, qui vit difficilement de l'élevage, reçoit une lettre de son fils aîné. Emigré en Allemagne, il envoie de l'argent aux siens et demande à son père de laisser partir Azad, le deuxième fils, celui qui garde les moutons. Azad sera le principal protagoniste de Frères d'exil.

Il part donc en Allemagne, où il est hébergé dans un foyer de jeunes migrants. Il y croise Ibrahim, bien plus petit que lui, et qui a l'air tellement plus vieux que son âge. La tristesse de ce gosse l'intrigue. Il le prend en amitié. Azad se doute qu'Ibo a vécu un grand malheur et, comme il est kurde, il soupçonne le genre de désastre qu'un si jeune enfant a dû endurer.

Azad se trouve un petit boulot : il devient barbier pour ses compatriotes au fin fond d'une gargote dispensatrice de kebabs, installant son échoppe ambulante dans les chiottes. Peu à peu, il se fait un peu de fric et la vie passerait ainsi, pas reluisante mais supportable, surtout grâce à l'amitié d'Ibo puis l'amour de Mirka, si, un soir, il n'avait pas rencontré deux frères. Deux frères turcs et trafiquants.

Frères d'exil n'est pourtant pas un brûlot antiturc et prokurde. Le frère d'Azad, celui qui l'a fait venir, tout kurde qu'il peut être, est un salaud, un maquereau de la pire espèce, violent avec ses filles et assoiffé de fric. Les militants kurdes, qui encadrent les jeunes du foyer, sont d'une connerie désespérante. Les Turcs du film ne valent pas mieux, mais c'est ainsi. Le portrait de la jeune génération des immigrés d'Anatolie que brosse Yilmaz Arslan est dur et impitoyable. La mort rôde et parfois elle jaillit. Le Turc qui s'est engueulé avec Azad va mourir. Dans des circonstances atroces et pleines d'ironie. Son frère voudra le venger avec un sadisme sans limites. Azad essaiera d'échapper à cette fatalité, à l'enchaînement de la violence, avec une ténacité rare. Mais il ne pourra pas grand-chose contre son sort. C'est comme si la guerre commencée il y a des décennies au Kurdistan se poursuivait désormais en Allemagne.

Le réalisateur Yilmaz Arslan a expliqué qu'il avait eu l'idée de son film en découvrant un jour à Berlin des hommes aux vêtements déchirés, des Kurdes fraîchement immigrés. Il les avait suivis, avait découvert leur mode de survie. Et avait écrit ce scénario d'une parfaite âpreté.

Du docu à la saga. Avec, en surplomb, un fatum mortel. Et dans le style des virages fréquents. Frères d'exil commence à la Abbas Kiarostami, sèchement et avec simplicité dans les montagnes du Kurdistan. Le film se poursuit comme un documentaire sur la vie des jeunes immigrants, prend parfois des accents de comédie, parfois de saga de l'immigration, et vire au film noir.

Il souffre certes de quelques défauts. Ses flash-backs, notamment ceux qui évoquent le sort d'Ibo en Turquie, sont trop insistants. C'est quand même un bon film, qui plus est superbement joué par ses deux acteurs principaux, le petit Xewat Gectan et Erdal Celik, qui interprète Azad.

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