A Diyarbakir, l'armée turque accentue sa pression sur les militants kurdes

mis à jour le Samedi 23 mai 2009 à 11h06

Lemonde.fr | Diyarbakir Envoyé spécial | Guillaume Perrier

Le bureau d'Ali Simsek, le dirigeant local du Parti pour une société démocratique (DTP), le parti kurde, dans son fief de Diyarbakir, porte encore les stigmates de l'attaque. Une bombe lacrymogène tirée par la police a traversé la vitre et a atterri sur les fauteuils. "C'est la nouvelle politique de l'AKP (le parti de la justice et du développement, au pouvoir à Ankara), soupire Ali Simsek, en haussant les épaules. Depuis les élections municipales, il y a une volonté de punir Diyarbakir."

Le scrutin du 29 mars a vu la population de la région, majoritairement kurde, soutenir massivement le DTP et infliger une défaite cinglante aux candidats de l'AKP, provoquant la fureur du premier ministre Recep Tayyip Erdogan. "Ils ont empêché nos militants de travailler pendant la campagne électorale pour nous affaiblir, ajoute Ali Simsek. Mais leurs pressions n'ont pas fonctionné. Maintenant, le gouvernement et l'armée tentent de saper notre pouvoir local."

Dès les premiers jours d'avril, le ton s'est durci avec une vague d'arrestations lancée dans les milieux réputés proches du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), la guérilla kurde qui sévit depuis 1984. Plus de 250 militants du DTP ont été pris dans ce coup de filet qui, officiellement, visait les réseaux de soutien civils à la rébellion armée.

Pour protester, les députés du parti kurde ont organisé un sit-in nocturne dans l'enceinte du Parlement à Ankara. Et, la semaine dernière, dans un parc de Diyarbakir, environ 10 000 personnes, réunies autour du maire de la ville, Osman Baydemir, ont suivi une grève de la faim symbolique de quarante-huit heures pour réclamer "une solution démocratique au problème kurde". "C'est une réponse forte des Kurdes à l'AKP, tonne le maire de quartier Abdullah Demirbas qui y participait. Le gouvernement dit qu'il a mis l'accent sur la santé et l'éducation. Mais il a surtout construit des casernes, et des routes pour mener aux casernes."

M. Demirbas est cerné par les procédures judiciaires. "Je vais devoir ouvrir un atelier de menuiserie", plaisante-t-il. Volontiers provocateur, il énumère fièrement les 23 procès qui l'ont visé depuis cinq ans. "La plupart pour des brochures municipales éditées en kurde et en arménien." Un autre pour avoir fait ériger, devant sa mairie, une statue d'Ugur Kaymaz, un enfant tué de 12 balles par la police en 2005. Le dernier, le 7 mai, pour avoir donné une interview sur Roj TV, la chaîne proche du PKK, diffusée depuis le Danemark. Pour y avoir fait l'éloge du leader emprisonné Abdullah Öcalan, il risque deux ans de prison pour apologie du terrorisme. "M. Öcalan est dans mon coeur", surenchérit-il pourtant dans son bureau de maire.

A Ankara, chacune de ces incartades crispe un peu plus les généraux. Depuis 2007, l'armée turque boycotte officiellement les réceptions au Parlement, où siègent 21 députés du DTP. Le parti demeure, depuis deux ans, sous la menace d'une dissolution par la Cour constitutionnelle. Et Recep Tayyip Erdogan, inflexible, refuse toujours de serrer la main du leader du parti, Ahmet Türk, pourtant reçu avec égards par M. Obama, en avril.

L'armée fait également la sourde oreille au cessez-le-feu décrété jusqu'au 1er juin par le chef militaire du PKK, Murat Karayilan. "Le PKK est une réalité, mais l'Etat veut une solution sans le PKK, résume Ali Simsek. Ce ne sera pas une solution. Ils ne pourront pas séparer le DTP et le PKK, ce serait comme diviser une famille."

Le gouvernement a lâché un peu de lest sur les droits culturels, en lançant, en janvier, une chaîne de télévision publique en langue kurde. Il étudierait aussi la possibilité d'ouvrir des instituts universitaires de kurdologie et de redonner aux villes de la région leurs noms kurdes, a déclaré récemment, le ministre de l'intérieur, Besir Atalay. Mais la répression, parfois brutale, des manifestations et les arrestations de centaines de jeunes contredisent ce discours fait pour convaincre la population de Diyarbakir.

Dans plusieurs villes, des mineurs ont été condamnés à de lourdes peines, coupables d'avoir participé à des rassemblements "interdits" et d'avoir lancé des pierres sur la police. Dijwar, 16 ans, vient d'écoper de six ans et onze mois de prison pour avoir caillassé les véhicules blindés aux abords du parc de Diyarbakir, en 2008, après une manifestation du DTP.

"Ici, personne n'aime la police, justifie Dijwar d'une voix fluette. Ils nous frappent, ils nous arrêtent, ils nous tuent... Dès l'âge de 6 ou 7 ans. C'est notre condition de Kurdes." L'adolescent, qui a déjà purgé dix mois, assure que si sa peine est confirmée en cassation, il prendra le chemin de la "montagne" pour rejoindre le PKK. "Je préfère être libre que retourner en prison." Son père est désemparé : "On ne peut plus tenir les enfants. Dès le ventre de leur mère, ils connaissent la difficulté d'être kurde."