IRAK - Guerre civile ou union nationale ?

Info - 17 mars 2006 - Revue de presse   
 
Les Etats-Unis ont lancé jeudi 16 mars une vaste opération militaire au nord de Bagdad, alors que le Parlement irakien venait de tenir sa session inaugurale. Cette dernière s'est déroulée dans un climat de crise politique et de crainte d'une guerre civile consacrant la division du pays entre chiites, sunnites et Kurdes. Toutefois, l'espoir d'un Irak uni reste permis.

 "Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, les Etats-Unis et les dirigeants irakiens n'ont cessé de plaider pour un gouvernement central en Irak qui agirait comme une force d'union dans le pays, partageant les dividendes des revenus pétroliers et encadrant une armée loyale envers toute la nation", souligne The Wall Street Journal Europe. A l'approche du troisième anniversaire de l'intervention américaine en Irak (20 mars) et malgré les violences interethniques et interreligieuses, qui ont culminé avec l'attentat du 22 février dernier contre la mosquée chiite des deux imams à Samarra, le président George W. Bush persiste à défendre cette vision d'un Irak uni.

Cependant, poursuit le quotidien américain, "des frontières ethniques et sectaires partageant le pays en trois Etats sont en train de se dessiner". Au nord, les Kurdes, qui composent 15 à 20 % de la population irakienne, "ont déjà un statut garantissant leur autonomie, et la nouvelle Constitution irakienne leur permet d'avoir une force militaire et une grande indépendance vis-à-vis du gouvernement central. Au sein de la communauté chiite, qui représente près de 60 % de la population, des milices privées et des personnalités religieuses œuvrent pour renforcer le caractère islamique de la société. Et de nombreux dirigeants de cette communauté seraient pour l'établissement dans le sud irakien, abondant en ressources pétrolières, d'un Etat autonome à l'instar de la zone kurde. Entre les deux, coincée dans le centre du pays, se trouve la communauté sunnite, qui représente 18 à 20 % de la population. Cette région est pauvre en ressources et offre un foyer aux insurgés."  

L'armée, censée protéger tous les Irakiens, est largement perçue par les sunnites comme "une milice formée de Kurdes et de chiites", relève le journal. La marginalisation des sunnites apparaît aussi dans les discussions concernant le texte constitutionnel. Approuvé par référendum en octobre 2005, ce texte avait obtenu l'agrément des sunnites après la promesse des chiites de revoir certaines parties favorisant leur autonomie ou concernant le partage des richesses pétrolières. "Mais, récemment, un grand nombre de dirigeants chiites et kurdes se sont prononcés contre tout changement ou amendement constitutionnel."

Dans ce contexte, les Irakiens sont quotidiennement témoins de déplacements de familles qui préfèrent quitter les régions mixtes pour s'installer dans des zones homogènes d'un point de vue ethnique ou confessionnel, signale The Wall Street Journal. "De plus en plus d'hommes politiques sont conscients de cette division. Ainsi, selon le député kurde Mahmoud Othman, l'idée que ces trois communautés vivent ensemble devient de plus en plus difficile à traduire sur le terrain. En réalité, le pays s'oriente vers une division par cantons selon des lignes de séparation communautaires dans un système fédéral."

Pourtant, le président irakien, le Kurde Jalal Talabani, n'a de cesse d'appeler à l'unité du pays et "agit en faveur de la démocratie et de la paix en Irak", relève Kurdish Media. Le webzine souligne que, "s'il faut évidemment rejeter un système qui priverait les Kurdes et les chiites de leurs droits, eux qui ont déjà tant souffert, il ne faut pas non plus accepter de mécontenter les sunnites. Notre alliance doit éviter les humiliations et représenter les intérêts de tous les citoyens."

D'ailleurs, enchaîne David Ignatius dans le Washington Post, "les dirigeants irakiens semblent réaliser qu'ils sont au bord d'un gouffre. Soit ils se prennent en main tous ensemble, soit l'Irak dans sa totalité va s'effondrer. De ce fait, ils ont fait le choix de l'unité, ou du moins ils veulent en parler sérieusement." L'auteur fait l'inventaire "des signaux clairs indiquant que des tentatives sérieuses sont en cours pour former un gouvernement d'union nationale".

Ainsi, conformément à une proposition de l'ambassadeur américain en Irak, Zalmay Khalilzad, les dirigeants des différents groupes politiques et communautaires enchaînent les réunions depuis une semaine, l'objectif étant de parvenir à un accord sur la composition du cabinet ministériel. "Khalilzad a assisté à toutes ces rencontres, jouant le rôle de médiateur dans des tractations laborieuses." Selon lui, "les points de vue se rapprochent, car les différents protagonistes commencent à réaliser que, si une partie impose des lignes rouges, toutes les autres en imposeront aussi".

Les commentaires de l'ambassadeur trouvent un écho dans les propos des politiciens irakiens eux-mêmes, se réjouit l'éditorialiste en citant Adel Abdul Mahdi, le vice-président irakien et membre du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII, parti chiite) : "Nous partageons les mêmes points de vue sur les questions essentielles. Nous sommes convaincus qu'il faut travailler d'une manière consensuelle. Il me semble que nous sommes en train de construire une entente entre les différentes communautés. Le message du nouveau gouvernement sera que personne n'est au-dessus de la loi, ni les brigades Al-Badr (bras armé du CSRII), ni l'armée du Mahdi (milice de l'imam radical chiite Moqtada Al-Sadr)."

Dans le même état d'esprit, le dirigeant du CSRII, Abdel Aziz Al-Hakim, aurait "vivement demandé à l'Iran d'ouvrir le dialogue avec les Etats-Unis pour aplanir les difficultés concernant l'avenir politique de l'Irak. Khalilzad aurait lui-même commencé à explorer les modalités d'une rencontre irano-américaine."  
 
 Hoda Saliby