Combat contre Daech : ces «frères d’armes» français tombés avec les Kurdes

mis à jour le Samedi 26 octobre 2019 à 17h33

Le Parisien | Par Nelly Terrier | Le 26/10/2019

Frédéric Demonchaux, Olivier Le Clainche et Farid Medjahed avaient rejoint les rangs du bataillon international des forces kurdes. Tous les trois ont laissé la vie dans le combat contre Daech.

Sur les vidéos d’hommage à leurs héros morts au combat contre Daech, filmées par les Kurdes pour les proches du soldat tombé et pour la diaspora, on aperçoit parfois des combattants le visage masqué d’un foulard. Ce sont les volontaires étrangers engagés dans les YPG et YPJ, ces bataillons kurdes d’hommes et de femmes qui forment le gros des rangs des Forces démocratiques syriennes (FDS).

Certains, les Turcs notamment, risquent la prison s’ils sont reconnus lorsqu’ils rentrent dans leur pays. Il y a aussi les 700 hommes du bataillon international, originaires du monde entier, qui ont transité dans ses rangs depuis sa création en 2015. Parmi eux, une trentaine de Français ont combattu, une poignée d’entre eux y est encore aujourd’hui.

Trois de ces engagés ne sont pas revenus, ils sont morts en Syrie. Frédéric Demonchaux, Olivier Le Clainche et Farid Medjahed comptent parmi les 11 000 « martyrs » kurdes, ceux qui ont mené âprement la guerre contre les fous de Daech. Des fantassins sur lesquels la communauté internationale s’est appuyée pour venir à bout des djihadistes qui terrorisaient et pillaient des villages entiers et jusqu’aux pays occidentaux pris sous le feu d’attentats.

A Bagouz (Syrie) en mars dernier, l’ultime bastion de l’EI est tombé, le monde entier a salué les Kurdes qui avaient ramené le calme dans la région et dans les Chancelleries. C’était sans compter sur le brutal retournement de Trump et ses alliés dont la France, aboutissant en cascade à la remise en cause de la frontière turco syrienne par la Turquie d’Erdogan, à des déplacements massifs de Kurdes et Yézidis fuyant les bombes turques et au retour de la menace djihadiste.

Ce jeudi, des sources officielles américaines parlaient d’une centaine de membres de l’EI, évadés de camps de prisonniers. Les Kurdes se sont-ils battus pour voir leurs efforts anéantis et leur bravoure se retourner contre eux ? Et ces trois Français morts là-bas, qui étaient-ils ?

Frédéric DEMONCHHAUX
«Mon frère a fait son devoir»

Nadège, sœur de Frédéric Demonchaux, tué à Raqqa

Le premier tué a été Gabar-le-légionnaire. C’était le 7 septembre 2017 dans Raqqa dévastée, lors d’une lente progression, armes à la main. Un djihadiste embusqué dans une cave lui a fiché une balle en plein cœur. Cette mort, la sœur de Gabar l’a apprise des compagnons d’armes : « Ils l’ont sorti à l’air libre, il est décédé juste après », raconte Nadège G.

Un mois plus tard, le 17 octobre, lorsque la capitale de l’Etat islamique tombe, la petite sœur tente de panser son chagrin : « Les Kurdes ont vengé mon frère, lui les avait aidés à terrasser Daech. »

Frédéric Demonchaux, 49 ans, avait rejoint les rangs de l’YPG juste après les attentats de Paris et de Seine-Saint-Denis en novembre 2015, deux tueries téléguidées de Syrie. « C’est cela qui lui a fait reprendre les armes, poursuit Nadège. Il voulait combattre les terroristes là-bas, empêcher que ça recommence ici. Impossible de l’en dissuader. »

En janvier 2016, l’ancien parachutiste devenu légionnaire a donc refait son paquetage. Il l‘avait déposé après quinze ans d’opérations en Afrique pour une reconversion en patron d’un paintball dans le sud de Paris. Un trompe-l’œil guerrier qui n’a pas résisté à sa colère. Acheminé par une filière clandestine via l’Irak, Demonchaux intègre le bataillon international.

« Les Kurdes l’ont appelé Gabar, raconte sa sœur. Un nom de montagne, il avait en effet une sacrée carrure. » Au milieu des autres volontaires étrangers, pour la plupart des militants internationalistes, Gabar-le-légionnaire détonne un peu. « Lui voulait casser du Daech, se souvient Nadège, défendre la révolution kurde, ce n’était pas la question. »

Pourtant, lorsque après plusieurs mois de combats Demonchaux est blessé au pied par une balle de Kalachnikov à Manbij, c’est un autre homme que Nadège découvre au moment où il rentre en France pour se faire soigner : « Il était plus serein, moins agressif, avec un immense respect pour les combattants kurdes, il avait découvert comme une nouvelle famille, un autre monde qui lui plaisait. »

Elle ajoute, encore surprise : « Son rapport aux femmes avait radicalement changé, il n’était plus le même. Etre au côté de combattantes (NDLR : les YPJ, unités féminines kurdes), dont il parlait avec admiration, l’a transformé. L’une d’entre elle a rendu son dernier souffle dans ses bras, il en a été bouleversé », murmure-t-elle.

« Gabar avait décidé qu’il resterait au Rojava lorsque la guerre serait finie, confie Ciya, un combattant irlandais qui a porté les armes à son côté. Il est mort avant, en soldat qui s’est battu contre Daech. Je l’admirais, je ne l’ai jamais vu avoir peur, il avait un vrai talent pour remonter le moral des troupes. »

Dans son testament que la sœur et le fils de Gabar ont respecté à la lettre, l’ancien légionnaire avait instamment demandé que sa dépouille reste au Kurdistan syrien. « Un jour, j’irai me recueillir sur sa tombe à Derik », espère Nadège qui craint que les récents événements ne l’en empêchent.

« C’est honteux ce qui se passe actuellement, cet abandon fait aux Kurdes, lâche-t-elle. Et maintenant, on vient nous raconter que ce sont des terroristes, alors que ce sont eux qui nous ont débarrassés des terroristes ! Mon frère ne s’est pas battu pour rien, il a fait son devoir. Et je suis fière de lui, fière de lui », répète-t-elle.

Olivier le CLAINCHE
Un camarade de Frédéric, mort à Afrine

«La première fois que j’ai vu Olivier, il m’a parlé en kurde»

Aux funérailles de Gabar dans le nord-est de la Syrie, une cérémonie où militaires et civils kurdes honorent les « martyrs », un Breton est présent : Olivier Le Clainche, 40 ans, engagé volontaire depuis trois mois. Proche des indépendantistes bretons, cet activiste et ancien animateur d’une radio locale termine juste sa formation militaire, opérateur lance-roquettes RPG7. Il s’apprête au baptême du feu pour arracher Deir ez-Zor à l’Etat islamique.

« La dernière fois que je l’ai vu, c’était à cette cérémonie, se rappelle Ciya l’Irlandais. Nous avions en commun la culture celtique, il me parlait parfois des bons moments qu’il avait passés en Irlande. C’était un vrai camarade de combat, un militant aussi, convaincu par les idéaux de la révolution du Rojava. »

Vint ensuite janvier 2018 et la terrible bataille d’Afrine. Le Clainche, devenu depuis six mois le soldat Kendal Breizh, se porte volontaire pour ce front. « Il voulait vraiment y aller, raconte Firat, un ancien camarade français. Il a enroulé sa tête dans un chèche et bruni son visage pour franchir à tout prix la partie du territoire contrôlé par Assad. Il ne rechignait jamais aux tours de garde, aux corvées, il était très sérieux. La première fois que je l’ai vu, il m’a parlé en kurde ! »

Le 10 février 2018, dans des circonstances qui annoncent prémonitoirement l’issue actuelle du conflit, Kendal Breizh est tué par un bombardement turc. Contradiction de cette guerre où la Turquie membre de l’Otan attaque les terres de l’allié kurde du même Otan, obligeant ces derniers à affronter deux périls : contre les sanguinaires commandos de Daech et contre les forces turques assistées de ses rebelles locaux. « A ma connaissance, dit Ciya, Afrine et ses alentours ayant été occupés par la Turquie, la dépouille de Kendal n’a jamais été retrouvée. »

Farid Medjahed
«L'abandon des Kurdes par les Occidentaux, c’est comme si mon frère Farid mourait une deuxième fois»

Sarah, sœur de Farid

Des trois Français morts en portant le fer contre l’Etat islamique, seul Farid Medjahed repose aujourd’hui sur sa terre natale, à Marseille, où son corps a été rapatrié grâce aux associations kurdes. « Nous avons appris son décès par une de ses anciennes amies, se souvient son frère Lounès. Ça a été un choc. Au début, nous ne comprenions pas, nous le croyions professeur de français en Iran, c’est ce qu’il avait dit lorsqu’il est parti. Il n’avait sans doute pas voulu nous inquiéter », s’interroge-t-il encore.

La famille découvre d’un coup l’engagement de Farid, son rang de chef d’un Tabur (Unité) dans le bataillon international des YPG et sa mort à 26 ans sous un tir de roquettes début octobre 2018. C’était à Hajine, sur les bords de l’Euphrate, non loin de la frontière avec l’Irak d’où était partie l’extension du Califat. Selon le récit rapporté à ses proches, il a été fauché au moment où, penché sur une tablette, il communiquait des positions pour les frappes aériennes de la coalition.

« Farid était un non-violent, j’ai été choqué de l’imaginer avec des armes, comme si c’était quelqu’un d’autre, explique Nicolas H., son grand ami d’enfance. Mais le plus important reste qu’il a été fidèle à lui-même, à son idéal. »

Avant de se nommer Qerecox, son nom de soldat en kurde, Medjahed avait déjà eu plusieurs vies : une première année de médecine, un service civique européen en Pologne, un diplôme d’enseignant au Danemark et des mois d’activisme écologique dans une forêt en Allemagne et dans des mines en Angleterre.

Partout, le jeune homme a laissé le souvenir d’une personnalité gaie et généreuse. Afin de comprendre son aîné, Sarah, la jeune sœur de Medjahed, s’est intéressée au Rojava, à ce confédéralisme démocratique fondé sur l’égalité entre hommes et femmes, l’écologie, l’économie coopérative et la paix entre les communautés de la région, Yézidis, Turkmènes, Arabes, Assyriens.

« C’est exactement lui, et maintenant je le comprends, je suis fière, même si je sais qu’il aurait pu faire d’autres choses plus profitables », note-t-elle. La famille dispose aujourd’hui de notes manuscrites de Farid, une sorte de journal : « Avant son départ en Syrie, il y a écrit plein de choses en anglais, détaille-t-elle, notamment que l’alliance avec les Etats-Unis le gênait. Cet abandon des Kurdes par la coalition, c’est comme si mon frère mourait une deuxième fois. S’il avait vécu, il aurait pu mourir aujourd’hui à cause des Turcs, et ça me choque encore plus. »