Intervention turque en Syrie : « La fuite en avant d’Erdogan »

mis à jour le Samedi 12 octobre 2019 à 15h08

lemonde.fr | Par Ahmet Insel, Politiste | le 11/10/2019

 

Le politiste turc Ahmet Insel considère, dans une tribune au « Monde », que l’intervention décidée par le président turc en Syrie poursuit surtout des buts de politique intérieure, alors que la population exprime un mécontentement croissant à l’égard du régime

Tribune. Les dictatures et les autocraties en déclin précipitent souvent leur chute par des aventures militaires hasardeuses. En prenant le risque de s’enliser en Syrie, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, pourrait avoir fait le pas de trop et accélérer la fin de son règne autocratique. Largement condamné par la communauté internationale, combien de temps peut-il espérer continuer cette offensive quand bien même son pays, de par sa position géostratégique, continue d’être pour les Occidentaux un allié essentiel ?

L’armée turque occupe déjà la zone d’Al-Bab depuis août 2016 et celle d’Afrin depuis janvier 2018. Cette troisième opération, baptisée « Source de paix », a été rendue possible par l’annonce inattendue de Donald Trump, le 6 octobre, du retrait immédiat des militaires américains de leurs postes d’observation près des villes syriennes de Tel Abyad et Ras Al-Aïn, le long de la frontière. Annonce faite contre l’avis du Pentagone et d’une grande partie des membres du Congrès américain.

La Turquie demandait depuis quelques années aux Etats-Unis la mise en place d’un « corridor de sécurité » dans le nord de la Syrie. En août dernier, les deux parties s’étaient mises partiellement d’accord. Mais Recep Tayyip Erdogan voulait bien plus que des patrouilles communes américano-turques sur une partie de la frontière. Il veut contrôler, en appui avec les supplétifs de l’Armée libre syrienne, un territoire s’étendant jusqu’à 30 km de profondeur.

Nous ne savons pas, pour le moment, quelle sera la réaction des Forces démocratiques syriennes, à dominante kurde, face à l’intervention d’Ankara. Abandonnées par leur allié américain, mais lourdement armées par lui, vont-elles montrer une résistance farouche contre les occupants ou se tourneront-elles vers Damas pour demander protection, abandonnant en grande partie leurs velléités d’autonomie ?

Pari aventureux

La réussite, du point de vue militaire et à court terme, de cette expédition transfrontalière dépendra de l’option choisie par les forces kurdes syriennes, de la politique menée par le gouvernement de Damas avec ses protecteurs russes et iraniens, mais aussi de l’attitude des tribus arabes de la région. Par ailleurs, l’armée turque, fortement ébranlée par des arrestations massives d’officiers depuis le coup d’Etat raté de juillet 2016, risque d’être à la peine, surtout si les Etats-Unis ferment l’espace aérien dans le nord de la Syrie.

Le pari de Recep Tayyip Erdogan est encore plus aventureux sur le long terme. En s’engageant en 2012 dans le conflit syrien, l’homme fort d’Ankara misait sur un renversement rapide de Bachar Al-Assad et l’accès au pouvoir des Frères musulmans syriens. Ce fut un échec complet. En outre la guerre civile syrienne a permis la formation des entités autonomes kurdes au long d’une frontière de 910 km, avec la présence des cadres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) qui mène la lutte armée contre Ankara depuis 1984.