«L’initiative américaine met en danger tous nos espoirs»

mis à jour le Mardi 8 octobre 2019 à 19h23

Libération

Pour Khaled Issa, qui représente les Kurdes syriens en France, confier l’avenir de la région à la Turquie serait «catastrophique». Il compte sur les Européens, et plus particulièrement Paris, pour contrer les projets d’Erdogan.

Représentant en France de l’administration du nord et de l’est de la Syrie, Khaled Issa réagit à l’annonce du retrait américain de la zone frontalière, décidé par Donald Trump et ouvrant la voie à une offensive de la Turquie.

Comment réagissez-vous à l’annonce du retrait des forces américaines ?

Cette annonce aura un impact très dur sur la population et sur les Forces démocratiques syriennes. Ensemble, avec la coalition internationale, nous avons pu mener le combat contre Daech. Des cellules dormantes existent toujours, des milliers de prisonniers sont dans des camps. Le régime d’Ankara avait de bonnes relations avec Daech. La décision américaine est donc un choc énorme pour nous. Rien ne la justifie, elle n’aidera pas à stabiliser la région, ni même l’Europe, car les terroristes qui ont commis des attentats sont passés sous les yeux du régime turc.

Redoutez-vous une offensive prochaine de la part de la Turquie ?

Le communiqué de la Maison Blanche et les menaces pressantes d’Erdogan laissent penser que l’invasion serait imminente. Elle serait catastrophique pour la population kurde. A Afrin, la vie était paisible. Lorsqu’Erdogan a attaqué, il a installé des terroristes venus d’Alep et des faubourgs de Damas. Nous avons recueilli un millier de plaintes de civils qui ont subi des exactions. Jusqu’ici, la stabilité dans le Nord-Est était à peu près assurée. Toutes les communautés pouvaient vivre en paix. Je suis surpris qu’on confie l’avenir de cette région à la Turquie.

Qu’attendez-vous désormais de la France ?

La France est la première à nous avoir soutenus, notamment à Kobané. Nous avons ensemble obtenu des résultats remarquables, même si ce fut au prix du sang de nos fils et de nos filles. L’initiative américaine met en danger tous nos espoirs. La France est une grande puissance, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et de l’Otan. Nos liens historiques peuvent faire la différence pour nous défendre. Ce serait dans l’intérêt de la France et de l’Europe qui ont été touchés par des attentats organisés depuis la Syrie. Nous espérons que notre relation privilégiée avec la France se poursuivra pour que la population du nord-est de la Syrie connaisse la paix et la stabilité. Nous devons terminer le travail commencé en allant jusqu’au bout d’une solution démocratique pour la Syrie. L’occupation turque serait une violation de la charte des Nations Unies, et on sait que la Turquie ne se retire jamais. Nous espérons que la communauté internationale fera pression sur la Turquie.

Quelles seraient les conséquences d’une offensive sur les camps de prisonniers ?

Quand Daech est en difficulté, Erdogan vient à son secours. Le communiqué de la Maison Blanche dit qu’ils seront confiés à la Turquie. Ankara veut récupérer et utiliser les prisonniers jihadistes comme un moyen de chantage avec les Européens. Il y a des milliers de terroristes dans ces camps. Nous voulons les maintenir en détention et les juger, parce qu’ils se sont battus contre nous. On espérait un plus grand soutien de la communauté internationale, qui a été minime pour l’instant. Aujourd’hui, je suis surpris que l’on parle de les confier à l’islamiste d’Ankara.