Vers la fin du mirage pour le Kurdistan syrien autonome

mis à jour le Lundi 7 octobre 2019 à 21h20

Liberation.fr | Par Hala Kodmani

La décision de Trump met un sérieux frein aux aspirations des forces kurdes, grisées par leurs nombreuses victoires contre l’EI.

C’était le 17 mars 2016, à Rmeilan, localité située sur la pointe nord-est de la Syrie, près de la frontière turque. Sihanouk Dibo, un responsable kurde, déclarait le «Rojava» entité «fédérale démocratique». L’annonce est considérée comme une proclamation d’autonomie d’un Kurdistan syrien. Il s’agit d’unifier les trois cantons d’Afrin, Kobané et Jaziré, qui représentent près de 25% de la superficie de la Syrie déjà gouvernés de facto par le Parti de l’Union démocratique (PYD), branche syrienne du PKK turc.

Pour les Kurdes qui comptent pour environ 10 % de la population syrienne, soit plus de 2 millions d’habitants, cela apparaît alors comme un pas de plus vers la réalisation d’une aspiration nationale historique. Mais cette autonomie est rejetée par Damas comme par l’opposition syrienne, par la Turquie forcément et aussi par les Etats-Unis. Une déception qui ne freine pas les ambitions des Kurdes syriens dans leur irrésistible ascension entamée au début du soulèvement contre Bachar al-Assad, en 2011. Surtout depuis qu’ils se sont imposés comme les principaux combattants au sol dans la guerre menée par la coalition contre l’Etat islamique. Longtemps écrasés par le nationalisme arabe triomphant en Syrie, les Kurdes ont été privés de tous leurs droits nationaux et culturels, interdits notamment d’apprendre leur langue ou de célébrer leurs fêtes. Leur révolte en 2004 est durement réprimée par le régime de Damas et n’est pas soutenue par le reste des Syriens.

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C’est pourquoi ils ne participent pas massivement au printemps 2011 à la révolution qui s’étend dans tout le pays. Ils y voient toutefois une occasion de pousser leurs revendications. Bachar al-Assad tente de les neutraliser en octroyant la citoyenneté à 300 000 Kurdes jusque-là considérés apatrides. Politiquement divisés en plusieurs chapelles, ils hésitent surtout pour savoir lequel de leurs deux oppresseurs, le régime syrien ou la Turquie, est le moindre mal. Tandis qu’une dizaine de partis se rangent du côté de l’opposition à Bachar al-Assad en formant un Conseil national kurde, le PYD se déclare prêt à défendre le régime face à une menace militaire turque.

Juillet 2012 marque un tournant avec le retrait des troupes de Damas du nord-est du pays, qui permet au PYD bien organisé d’imposer sa domination sur les enclaves kurdes. Une première «libération du Rojava du joug baasiste» est annoncée. Le mouvement consacre sa mainmise autoritaire sur les zones kurdes, excluant toute autre formation dans la région, et met en place sa propre administration autonome. «Le PYD qui se proclame démocratique, à la manière de Staline, ne se présente même pas comme kurde, affirme Chamseddine Hamo, politologue kurde indépendant réfugié en France. C’est pourquoi le régime de Bachar al-Assad lui a laissé le contrôle.» Malgré les réticences vis-à-vis du mouvement, la population kurde adhère à cette autonomie qui impose l’enseignement de sa langue dans les écoles, et caresse le rêve d’une émancipation nationale.

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A partir de 2014, les combattants bien organisés du PYD s’imposent comme les adversaires les plus déterminés des jihadistes du «califat» qui vient d’être proclamé à cheval sur la Syrie et l’Irak. Ils construisent leur légende lors de la bataille de Kobané en défendant la ville frontalière face aux forces de l’EI. Ils sont appuyés pour la première fois par l’aviation de la coalition internationale antiterroriste menée par les Etats-Unis. Depuis, les Occidentaux s’appuient sur ces forces kurdes pour mener les combats au sol en Syrie contre les jihadistes. Les Forces démocratiques syriennes (FDS) formées pour mener cette guerre, sont composées majoritairement de combattants du PYD. Entraînés, équipés et encadrés par les forces de la coalition, ils livrent des batailles sanglantes entre 2016 et 2019, perdant des milliers de leurs hommes pour libérer régions et villes syriennes, jusqu’à la capitulation de l’EI en mars.

Les victoires ont donné un sentiment d’hyperpuissance aux Kurdes syriens, leur faisant oublier combien l’alliance avec les Occidentaux était opportuniste et ne valait pas reconnaissance de leurs droits nationaux. «Les gens dans les zones kurdes sont catastrophés par l’abandon américain, rapporte Chamseddine Hamo. Ils craignent une offensive turque, aussi dévastatrice qu’elle l’a été à Afrin et redoutent dans le même temps les recrutements forcés et les exactions de la part des forces du PYD.»