Erdogan aux cérémonies du 11-Novembre : « La paix ne saurait passer par la complaisance envers les crimes du passé »

mis à jour le Mercredi 7 novembre 2018 à 18h00

Lemonde.fr | COLLECTIF

La présence de M. Recep Tayyip Erdogan, qui perpétue le négationnisme d’Etat de la Turquie à l’égard du génocide des Arméniens, ne doit pas être interprétée comme une caution apportée à ses méthodes, car « la paix ne saurait passer par les non-dits ou la complaisance envers les crimes du passé comme du présent », explique un collectif de personnalités dans une tribune au « Monde ».

Tribune. A l’initiative de la présidence de la République, quatre-vingts chefs d’Etat et de gouvernement sont invités à participer aux célébrations du centenaire de l’Armistice de la première guerre mondiale. Comme l’a déclaré Emmanuel Macron, cet événement entend se réclamer du « plus jamais ça » qui avait sous-tendu « la volonté » de rendre désormais impossibles les horreurs de la première guerre mondiale.

Dans cet esprit, l’Elysée a indiqué que les commémorations, qui ne donneront pas lieu à un grand défilé militaire mais à un forum pour la paix, auront pour objet que la « paix chaque jour gagne du terrain, parce qu’aujourd’hui, chaque jour, elle en perd ».

Lors de l’inauguration de l’Historial franco-allemand de la Grande Guerre du Hartmannswillerkopf (Haut-Rhin), le 10 novembre 2017, M. Macron, insistant sur l’importance du devoir de mémoire, avait entre autres affirmé que « 2018 ne sera pas une année de triomphalisme, mais un miroir tendu à notre monde d’aujourd’hui qui, si souvent encore, choisit la radicalité, la brutalité, la violence comme réponse à des problèmes qui appelleraient bien plutôt le dialogue et la main tendue, quel que soit le poids de souffrance que ces problèmes comportent ».

Il avait confirmé ses intentions le 25 septembre, lors de son discours à la 73e Assemblée générale des Nations unies en déclarant : « N’oubliez jamais que les génocides qui ont fait que vous êtes là aujourd’hui étaient nourris par les discours auxquels nous nous habituons. »

Un nationalisme agressif

Si les personnalités signataires de ce texte ne peuvent que souscrire à ces propos, elles s’inquiètent cependant que leur portée ne soit dénaturée par la venue aux célébrations du centenaire d’autorités qui, au lieu de tirer les leçons du passé et d’en condamner les atrocités, s’en solidarisent par le déni et perpétuent aujourd’hui dans leur gouvernance les maux que ce grand rassemblement international voudrait combattre.

Il en va notamment ainsi de la présence de Recep Tayyip Erdogan, qui espère nous « habituer » à l’odieux négationnisme d’Etat de la Turquie à l’égard du génocide des Arméniens, perpétré durant la Grande Guerre par le gouvernement « Jeunes-Turcs ».

Ce chef d’Etat n’a, semble-t-il, tiré de ce génocide et de ce lui des autres populations chrétiennes (Assyro-Chaldéens, Syriaques, Grecs du Pont) qu’un seul enseignement : le fait que le crime peut s’avérer payant. Et en tout cas depuis son accession à la présidence turque, il renvoie à lui seul l’image de cette « radicalité », de cette « brutalité », de cette « violence » qu’il s’agit aujourd’hui d’éradiquer pour que ne se reproduisent pas les horreurs du passé.

Ce chef d’Etat n’a, semble-t-il, tiré de ce génocide qu’un seul enseignement : le fait que le crime peut s’avérer payant
 

Jusqu’à ce jour, l’Etat qu’il dirige continue de professer un nationalisme agressif, doublé depuis l’arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP), d’un islamisme revendiqué. Il maintient l’occupation militaire de Chypre, membre de plein droit d’une Union européenne qu’il prétend pourtant vouloir intégrer.

Cet Etat perpétue l’oppression de ses minorités, en particulier les Kurdes, contre lesquels il mène une guerre qui ne dit pas son nom à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières. Il attise les feux du djihadisme et de l’antisémitisme en incitant à une haine inextinguible contre Israël, tandis que les atteintes aux libertés à l’intérieur même de la Turquie gravissent des sommets.

Cet Etat est encore cette année la plus grande geôle du monde pour les journalistes. Il compte 55 000 prisonniers politiques et a vu le licenciement en deux ans de 150 000 fonctionnaires pour délit d’opinion. Et il ne s’agit là que de quelques exemples, parmi tant d’autres, des turpitudes dont il se rend responsable.

Nécessaire clarté

Aussi, quelles que soient les raisons pour lesquelles la République juge utile de dérouler le tapis rouge devant Erdogan, les signataires de cet appel entendent lui dire en face que personne n’est en France dupe de ses agissements.

Et ils affirment avec détermination que la paix ne saurait passer par les non-dits ou la complaisance envers les crimes du passé comme du présent, les politiques de haine et de discrimination. Ils enjoignent à M. Erdogan de renoncer à ses pratiques délétères, à son nationalisme agressif et à son islamisme politique qui sont antinomiques de la volonté de paix à laquelle nous invite cette date anniversaire, si lourde en symboles.

Ils demandent au président de la République de faire montre de la clarté nécessaire envers son « invité », afin que sa présence ne puisse en aucun cas être interprétée comme une caution apportée à ses méthodes, à sa gouvernance, à son régime et à ses manifestations de violence qui n’ont pas leur place dans le message que se doit de porter le centième anniversaire de l’Armistice.

Premiers signataires :

Stéphane Audouin-Rouzeau, historien ; Nicolas Aznavour ; Annette Becker, historien ; Hamit Bozarslan, historien ; Pascal Bruckner, philosophe ; Gérard Chaliand, stratégiste ; Youri Djorkaeff, footballeur ; Costa-Gavras, cinéaste ; Robert Guédiguian, cinéaste ; Ahmet Insel, économiste éditeur et politologue ; Laurent Joly, historien ; Jacques Julliard, écrivain ; Arno Klarsfeld, conseiller d’Etat ; Beate Klarsfeld, présidente de la Beate Klarsfeld foundation ; Serge Klarsfeld, président de l’Association des fils et filles de déportés juifs de France ; Georges Képénékian, ex-maire de Lyon ; Daniel Leconte, producteur ; Mathieu Madénian, humoriste ; André Manoukian, musicien ; Richard Odier, président du Centre Simon-Wiesenthal ; Nicolas Offenstadt, historien ; Michaël Prazan, cinéaste ; Audrey Pulvar, présidente de la Fondation pour la nature et l’homme ; Henry Rousso, historien ; Mario Stasi, président de la Licra ; Yves Ternon, historien ; Charles Villeneuve, journaliste

Autres signataires :

Benjamin Abtan, président de l’Egam (European Grassroots Antiracist Movement) ; Cengiz Aktar, professeur à l’Université d’Athènes ; Daniel Auguste, président du comité de soutien aux chrétiens d’Irak ; Claude Barouch, président de l’Union des patrons et professionnels juifs de France; Patrick Baudouin, président d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’homme ; Marine Brenier, députée (LR, Alpes-Maritimes) ; Vedat Bingol, coprésident du Conseil démocratique kurde en France (CDK-F) ; Jean-Claude Bouchet, député (LR, Vaucluse) ; Valérie Boyer, députée (LR, Bouches-du-Rhône) ; Luc Carvounas, député (PS, Val-de-Marne) ; Fevziyé Erdemirci, coprésident du CDK-F ; Sacha Ghozlan, président de l’Union des étudiants juifs de France ; Bruno Gilles, sénateur (LR, Bouches-du-Rhône) ; Stéphane Hasbanian, avocat ; Patrick Karam, président de la Chrédo (Chrétiens d’orient en danger) ; Raymond Kévorkian, historien ; Mohamed Laqhila, député (Modem, Bouches-du-Rhône) ; Jacky Mamou, président d’Urgence Darfour ; Evagoras Mavrommatis, président de la communauté chypriote de France ; Alain Milon, sénateur (LR, Vaucluse) ; Claire Mouradian, historienne ; Renaud Muselier, député européen et président de la région PACA ; Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de France ; Erol Ozkoray, écrivain ; Mourad Papazian et Ara Toranian, coprésidents du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France ; Seta Papazian, présidence du Collectif Van (Vigilance arménienne contre le négationnisme) ; François Pupponi, député (PS, Val d’Oise) ; Rudy Reichstadt, directeur de l’Observatoire du conspirationnisme ; Pierre Rigoulot, historien ; Simone Rodan, politologue ; Bernard Schalscha, rédacteur à la revue La Règle du jeu ; Dominique Sopo, président de SOS Racisme ; Guy Teissier, député (LR, Bouches-du- Rhône) ; Séta Théodoridis, présidente de la communauté hellénique de France ; Valérie Toranian, directrice de la Revue des deux Mondes ; Martine Vassal, présidente (LR) de la métropole Aix-Marseille  ; Joyce de Wangen-Blau, professeur émérite des Universités