« Ne laissons pas Afrin devenir, comme Rakka, un foyer djihadiste »

mis à jour le Mardi 20 mars 2018 à 16h40

LE MONDE | le 21.03.2018 | Par Collectif

Dans une tribune au « Monde », un collectif de Kurdes originaires d’Afrin et vivant en Europe lance un appel à la communauté internationale et aux gouvernements européens, qu’ils jugent trop silencieux face à l’intervention de la Turquie dans l’enclave d’Afrin.

Tribune. La population kurde d’Afrin lance un appel au secours à ses amis d’Europe et d’Occident pour leur rappeler que nous, les Kurdes, avons lutté ensemble contre la menace terroriste que représente l’organisation Etat islamique (EI) jusqu’à la victoire commune à Rakka.

Aujourd’hui, la communauté internationale doit nous aider afin d’empêcher qu’une occupation durable et définitive du canton d’Afrin, imposée par le dictateur turc avec les armes de l’OTAN, ne soit admise dans l’indifférence totale des dirigeants du monde libre.

Compte tenu de l’urgence de la situation, il est primordial d’agir immédiatement pour empêcher qu’un nouveau foyer djihadiste ne se constitue dans les montagnes d’Afrin. Si les puissances occidentales n’agissent pas, il sera impossible de se débarrasser de ces terroristes qui se préparent à exporter la guerre sainte en Europe. Ce foyer sera une menace pour les libertés et les citoyens du monde démocratique. Des crimes de guerre sont en cours, perpétrés par l’armée turque et les djihadistes dans la plus grande impunité.

Ankara et ses supplétifs djihadistes sont engagés dans une entreprise d’épuration ethnique contre les Kurdes d’Afrin. Depuis le 20 janvier, l’armée turque a lancé une opération militaire cyniquement appelée « Rameau d’olivier ».

Mettre fin à l’existence des Kurdes

L’objectif du président Erdogan est clair. Il s’active à vider Afrin de sa population kurde afin d’y installer des personnes déplacées par la guerre et des réfugiés syriens se trouvant sur le territoire turc pour mettre fin à l’existence des Kurdes dans ce canton. Cette offensive consiste à détruire les infrastructures de la région au moyen de bombardements, privant ainsi la population de tout moyen de subsistance.

Dès le début de l’invasion, l’alimentation en eau potable a été coupée. Les habitants n’ont accès qu’à de l’eau non traitée grâce à de rares puits, et sont victimes de graves maladies.

Contrairement aux affirmations du gouvernement turc, les villes et les villages peuplés par des centaines de milliers de civils sont aussi les cibles de l’artillerie et des frappes aériennes. Celles-ci ont causé des milliers de morts et de blessés, dont de nombreux enfants, femmes et personnes âgées qui étaient dans l’incapacité de s’enfuir. A l’exemple de Jinderes et de Rajo, devenues aujourd’hui des « villes fantômes ».

Ces bombardements ont même visé l’hôpital d’Afrin avant l’occupation, le 18 mars, qui a provoqué un exode total de la population du canton (de 150 000 à 250 000 personnes). Le sort de ces réfugiés ne connaît à cet instant même qu’une issue tragique. Selon les témoignages de nos familles qui nous parviennent, les groupes djihadistes se livrent quotidiennement à des spoliations de biens des habitants dans toutes les localités qu’ils occupent désormais.

Images insoutenables

Selon le président Erdogan et ses partisans, la guerre contre les Kurdes est une guerre sainte. Les forces turques et leurs supplétifs djihadistes armés et entraînés par Ankara mènent une campagne de terreur qui s’est traduite par de nombreuses exactions : exécutions sommaires de civils, prises d’otages, tortures de Kurdes yézidis et musulmans considérés comme des mécréants par les factions djihadistes. Ces faits sont avérés au vu des nombreux témoignages qui nous sont parvenus.

Pour rappel, les cadavres ne sont pas non plus épargnés, à l’exemple de cette jeune femme d’à peine 23 ans, Barîn Kobané, dont le corps a été sauvagement mutilé le 2 février par les milices djihadistes, qui ont diffusé les images insoutenables de leur barbarie dans le but de provoquer la terreur au sein des Kurdes et de les forcer à fuir et à abandonner leurs terres ancestrales.

A ce jour, toute l’enclave kurde est désormais sous le contrôle de l’armée turque et des rebelles syriens. Leur première action a été de hisser le drapeau turc sur les bâtiments officiels et de détruire la statue de Kawa le Forgeron, symbole du peuple kurde et de la lutte contre la tyrannie. Les Kurdes qui sont directement visés sont ceux à qui l’Occident s’est allié pour chasser les djihadistes de l’EI du nord de la Syrie. Les Kurdes visés par ce nettoyage ethnique sont les mêmes qui se sont sacrifiés en combattant l’EI aux côtés de la coalition occidentale pour protéger la population européenne du terrorisme islamiste.

Silence vaut acceptation

Les Kurdes de Syrie, avec les chrétiens, les Arméniens et les autres minorités ethniques et religieuses demeurent les garants d’un futur système démocratique et laïque séparant la religion de la politique. Dans cette nouvelle Syrie coexisteraient toutes les communautés religieuses et ethniques, ce qui constituerait un exemple de savoir vivre ensemble en paix.

Malgré cela, il semble que la peur qu’inspire Erdogan aux capitales occidentales les empêche de soutenir, ne serait-ce que diplomatiquement, leurs amis kurdes. Le silence de la communauté internationale participe ainsi au plan macabre planifié par Erdogan. Silence vaut acceptation.

Le peuple kurde résistera jusqu’au bout malgré le peu de moyens dont il dispose, mais les gouvernements européens doivent comprendre qu’il ne s’agit pas uniquement de la sécurité de notre peuple, car la chute d’Afrin signifie la création d’un nouveau foyer djihadiste menaçant la sécurité de Paris, de Berlin, de Londres et des villes où les individus aspirent à vivre libres et en sécurité dans un Etat de droit.

Alors que les militaires turcs et leurs supplétifs djihadistes sont entrés dans la ville d’Afrin, nous lançons un appel au secours : n’abandonnez pas vos alliés, agissez avant qu’il ne soit trop tard !

Nous demandons aux instances européennes ainsi qu’à la communauté internationale de fournir le support adéquat au peuple kurde afin de mettre maintenant un terme à l’occupation djihadiste-turque, et d’exiger la libération du canton. Nous demandons aussi la mise en place d’un couloir humanitaire afin que les instances internationales puissent faire parvenir toute aide indispensable à la survie de la population civile livrée à son sort sur le plateau de Robari du canton d’Afrin.

Ne laissons pas se créer un second Rakka !

____________________________________

Premiers signataires : Mannan Seuleiman, professeur émérite UPMC-Paris, coordinateur du Comité de soutien pour Afrin (CSA, en cours d’enregistrement), Paris ; Hassan Hamdoche, consultant en système d’information, membre de CSA, Paris ; Ghaleb Semo, ingénieur en informatique, PDG d’Astan Informatique, Paris ; Kulilk Marc, avocate, Paris ; Zainab Jemo, ingénieure en génie civil, Paris ; Ayman Chaabo, docteur en chimie ; Golnichan Semo, diplômée en histoire de l’art, Ecole du Louvre, Paris ; Apo Jemo, ingénieur en génie civil, membre de CSA, Paris ; Ali Bilal, médecin, France ; Ahmed Simo, cardiologue, France ; Cihan Xan, artiste chanteuse, membre de l’ONG Lafam, membre de CSA, Paris…