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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 52

7/1/1997

  1. LA TURQUIE À NOUVEAU CONDAMNÉE PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
  2. NOUVELLE SUSPENSION DU QUOTIDIEN DEMOKRASI
  3. BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME COMMISES EN NOVEMBRE
  4. SELON UN BILAN OFFICIEL LA GUERRE DU KURDISTAN A FAIT 3460 MORTS EN 1996
  5. DEUX EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES
  6. NOUVELLE INTERVENTION DE L'ARMÉE TURQUE AU KURDISTAN D'IRAK
  7. COPENHAGUE POURSUIT ANKARA DEVANT LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
  8. CRÉATION D'UN NOUVEAU PARTI PRO-KURDE EN TURQUIE
  9. LA TURQUIE ACHÈTE DES MISSILES WORM SILK À LA CHINE ET 30 HÉLICOPTÈRES A LA FRANCE
  10. L'ARMÉE TURQUE TRAUMATISÉE PAR LA GUERRE DU KURDISTAN
  11. 150 000 OUVRIERS MANIFESTENT À ANKARA POUR "UN ÉTAT PROPRE"
  12. VIVE RÉACTION DES DÉPUTÉS ISLAMISTES KURDES CONTRE LES RAPPORT DU CSN SUR "LE PÉRIL KURDE"
  13. LES RÉVÉLATIONS DE MESUT YILMAZ


LA TURQUIE À NOUVEAU CONDAMNÉE PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME


Statuant sur la plainte d'un civil kurde, Zeki Aksoy, affirmant avoir été torturé pendant 14 jours durant sa garde à vue dans un poste de police de Kiziltepe, dans la province de Mardin, la juridiction européenne, après enquête approfondie, a, le 18 décembre, déclaré le gouvernement turc coupable de la violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme interdisant la torture et les mauvais traitements. Aksoy avait été interpellé en 1992 par la police et placé en garde à vue pendant 14 jours. A la suite d'une série de tortures subies, notamment la pendaison par les bras, appelée "pendaison palestinienne", il avait perdu l'usage de ses mains et de ses bras. Le parquet de Mardin avait refusé d'enregistrer la plainte contre les policiers tortionnaires et ceux-ci l'avaient empêché de tout dépôt de plainte devant un autre tribunal turc. Citoyen décidé à se faire rendre justice, Aksoy, par l'intermédiaire de son avocat, s'était alors adressé à la Commission européenne des droits de l'homme. En 1994, il a reçu des menaces par téléphone de la part de la police qui lui demandait de retirer sa plainte à la Commission. Devant son refus, deux jours après avoir reçu ces menaces, il était assassiné par des "tueurs non identifiés" que la justice turque n'a d'ailleurs pas cherché à poursuivre. Son père a décidé de poursuivre son combat civique pour la vérité et la justice en se constituant, malgré les menaces, partie civile devant la Commission de Strasbourg. Rejetant les objections turques prétendant que les voies de recours interne n'avaient pas été épuisées dans cette affaire, la Commission avait déclaré la plainte des Aksoy recevable et l'avait transmise à la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci, à l'issue de son audience du 18 décembre, a reconnu la Turquie coupable et l'a condamnée à verser à la famille de la victime une indemnité de 4,28 milliards (environ 42 000 dollars). Le même jour dans une affaire séparée, statuant sur la plainte d'une citoyenne chypriote, Mme. Titina Louzidon, affirmant avoir été empêchée par les forces turques d'occupation de retourner dans sa maison de Girne, située en zone d'occupation turque, la Cour européenne a reconnu la Turquie coupable de violation de l'article 1 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme qui stipule que "nul ne peut être privée de la jouissance de ses biens".

NOUVELLE SUSPENSION DU QUOTIDIEN DEMOKRASI


La Cour de Sûreté d'État n° 2 d'Istanbul, à l'issue de son audience du 18 décembre, a décidé une suspension de 10 jours du quotidien pro-kurde Demokrasi pour avoir publié dans son numéro du 2 janvier 1996 un article intitulé " Les travailleurs et les Kurdes" de l'écrivain Münir Leylan. Selon la Cour turque, ce texte enfreint l'article 312 du Code pénal turc qui réprime "l'incitation ouverte de la population à la haine et à l'hostilité en invoquant des différences raciales". L'auteur du texte incriminé, M. Leylan, a été condamné à deux ans de prison. Le 27 décembre, la même Cour a prononcé 3 autres peines de suspension de 10 jours pour des articles parus respectivement dans les numéros des 18 juillet, 29 juillet et 25 décembre du quotidien Demokrasi. Si ces peines sont confirmées par la Cour d'appel, Demokrasi sera, au total, suspendu pendant 45 jours.

BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME COMMISES EN NOVEMBRE


M. Akin Birdal, président de l'Association des droits de l'homme de Turquie (IHD) a donné le 19 décembre une conférence de presse à Ankara pour rendre public le bilan de novembre des violations des droits de l'homme établi par son organisation. Selon l'IHD, en novembre 11 civils ont été assassinés pour motif politique par des tueurs non identifiés, 8 personnes ont trouvé la mort sous la torture ou à la suite d'exécutions extrajudiciaires, 9 civils ont été tués à la suite des opérations militaires et 9 autres ont été blessés, 13 civils sont portés disparus. Au cours de ce mois, la police a placé en garde à vue 1652 personnes dont 176 ont été écrouées; 16 publications ont été saisies, 37 travailleurs de presse ont été gardés à vue. Fin novembre on comptait 142 prisonniers politiques d'opinion en Turquie.

SELON UN BILAN OFFICIEL LA GUERRE DU KURDISTAN A FAIT 3460 MORTS EN 1996


Selon un bilan établi par la Super-préfecture des provinces kurdes, cité par le quotidien Hürriyet du 27 décembre, dans la période allant du 1er janvier au 26 décembre 1996, 2782 membres présumés du PKK, 531 soldats, policiers et miliciens, 143 civils et 4 instituteurs ont été tués dans "la guerre de basse intensité" qui se poursuit au Kurdistan. 2233 civils ont été blessés ou amputés dans des actes de violence liés à cette guerre. Les forces turques auraient, à l'en croire ce bilan, saisi 2006 fusils, 726 revolvers, 2478 grenades, 130 lance-roquettes et 254 329 balles.

DEUX EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES


Les services de la préfecture d'Adiyaman ont découvert, le 23 décembre, sur le bord de la route reliant cette ville à Urfa les cadavres de deux hommes abattus par des armes à feu. Les photos de ces cadavres ont été communiquées aux préfectures voisines aux fins d'identification. C'est ainsi que la police criminelle de Diyarbakir a pu établir que l'un des cadavres était celui d'un commerçant de Diyarbakir, Atilla Korkmaz, interpellé le 23 décembre vers 13h 30 par quatre policiers en civil devant sa boutique. Ceux-ci avaient affirmé vouloir le conduire au poste de police pour une "vérification" d'une demi-heure. Depuis, la famille de la victime, malgré toutes ses démarches auprès des divers services de police et du parquet, n'a pu avoir de ses nouvelles. Dans sa plainte, la famille qui fournit la numéro d'immatriculation de la voiture des 4 policiers qui ont arrêté Korkmaz, souligne qu'entre Diyarbakir où celui-ci a été enlevé et le lieu où il a été abattu de deux balles il y a au moins 4 chek-points de la police et que celle-ci porte la responsabilité de cet assassinat. Le deuxième cadavre, déformé par la torture, n'a pu être identifié que tardivement, le 6 janvier, comme celui de Mahmut Öneards, intepelé le 8 décembre par des policiers à Lice, bourgade située à 70 km au nord-est de Diyarbakir.

NOUVELLE INTERVENTION DE L'ARMÉE TURQUE AU KURDISTAN D'IRAK


Une opération de "nettoyage" a été lancée au Kurdistan d'Irak dans la nuit du 30 au 31 décembre par environ de 5000 soldats soutenus par des avions F-4 et des Cobra. Le prétexte officiel de cette incursion militaire turque est de "poursuivre les militants du PKK" dans cette région. Le bilan de cette opération qui se poursuit toujours serait de 150 de morts dans les rangs du PKK, selon le communiqué de l'état-major turc, cité par l'agence Anatolie. La zone où se déroule l'opération est techniquement parlant baptisée "zone de protection" faisant partie de l'opération Provide Comfort, créée en 1991 par les Alliés pour protéger la population civile kurde des troupes irakiennes. Toutefois, ce statut n'a pas empêché l'armée turque d'intervenir à maintes reprises pour des raisons "sécuritaires". Le mandat de stationnement en Turquie de Provide Comfort venait à terme le 31 décembre; pour son renouvellement, les autorités turques ont exigé et obtenu que dorénavant cette opération se déroule sans son volet humanitaire, se limitant ainsi à un survol aérien au dessus du 36ème parallèle. Ce nouveau développement a permis à la France, déjà hésitante et misant sur la réhabilitation de l'Irak, surtout après la levée partielle de l'embargo en vertu de la résolution onusienne 986 "nourriture contre pétrole", à retirer ses avions de l'opération de surveillance aérienne. Paris entretenait avant la guerre du Golfe d'étroites relations politiques et commerciales avec l'Irak. Grâce à la "986", elles reprennent : Elf-Aquitaine a signé en décembre un contrat d'achat de pétrole brut d'une durée de trois mois, et une délégation d'une quarantaine d'entreprises agro-alimentaires françaises est attendue à Bagdad courant janvier. Soucieuse de ménager ses alliés pétroliers du Golfe, la France maintient ses avions pour le survol de la "zone sud" de l'Irak destinée à protéger le Koweït et l'Arabie Saoudite.

COPENHAGUE POURSUIT ANKARA DEVANT LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME


A la suite de l'arrestation d'un citoyen danois d'origine kurde, Kemal Koc, pendant un mois et demi, suivie de l'arrestation et de l'expulsion d'un député danois qui avait assisté au procès de celui-ci (voire notre bulletin N° 50), le Danemark a décidé de poursuivre la Turquie devant la Cour européenne des droits de l'homme. Selon Copenhague, le ressortissant danois, Kemal Koc, a été détenu et torturé par les autorités turques durant son arrestation, au cours de l'été 1996. Le ministre danois des Affaires étrangères, Niels Helveg Petersen, a précisé à la presse que cette démarche serait effectuée mardi à Strasbourg, siège de la Cour. Il espère une instruction rapide de ce dossier. Il s'agit d'une violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme, interdisant l'usage de la torture, a estimé M. Hevlveg Petersen, indiquant qu'Ankara avait été prévenu vendredi, 3 janvier 1997, de la démarche danoise.

CRÉATION D'UN NOUVEAU PARTI PRO-KURDE EN TURQUIE


Un nouveau parti pro-kurde, celui des "Masses démocratiques" (DKP), qui préconise une "solution politique à la question kurde, tout en respectant les frontières actuelles de la Turquie", a été créé en Turquie. Le DKP se situe au "centre" et est "libéral", politiquement et économiquement, selon son président Serafettin Elci, ancien parlementaire d'origine kurde et ministre des Travaux public dans les années 70. M. Elci a déclaré, vendredi 3 janvier, au ministère de l'Intérieur où il était allé déposer les statuts de son parti, que son parti était "contre la violence et attaché aux méthodes pacifistes et démocratiques". Il revendique "la reconnaissance de l'identité kurde au niveau constitutionnel et l'attribution aux Kurdes des droits culturels, notamment celui de l'enseignement dans leur langue maternelle". Jusqu'à présent, toutes les tentatives de création d'un parti kurde légal ont été réprimées par la justice turque. Les observateurs attendent avec intérêt la suite qui sera réservée à l'initiative de M. Elçi connu pour sa modération et son pacifisme.

LA TURQUIE ACHÈTE DES MISSILES WORM SILK À LA CHINE ET 30 HÉLICOPTÈRES A LA FRANCE


Les dépenses militaires semblent être le seul secteur épargné par la grave crise économique que traverse la Turquie. Ainsi, alors que le ministre de la défense, Turhan Tayan, annonce le 19 décembre la décision du gouvernement d'accorder, à compter du 1er janvier 1997, une augmentation de 72% des salaires des officiers et des sous-officiers, le quotidien Milliyet, révèle dans son numéro du 20 décembre un accord turco-chinois "secret" portant sur l'acquisition par l'armée turque de 6 batteries de missiles chinois Worm Silk Ws-1 d'une portée de 80 km. La première batterie, comportant 19 WS-1 sera livrée par Pékin "assez rapidement". Les 5 batteries restantes seront co-produites sur place, en Turquie. L'ensemble de la transaction porte sur $ 150 millions. Ensuite, un projet portant sur le développement d'un missile d'une portée de 150 km sera mis en oeuvre par Ankara qui est également en pourparlers avec la Belgique et les Pays-Bas pour l'acquisition de missiles Hawk qui ne servent plus dans les armées de ces deux pays et avec la firme française Thomson-CSF pour l'achat de 18 missiles Improved Hawk pour un montant de $ 160 millions. Enfin, les négociations turco-françaises sur la vente d'hélicoptères à usage militaire sont sur le point d'aboutir. Un accord pourrait être signé entre Eurocopter et le gouvernement turc "dans les jours qui viennent". Selon cet accord "fin prêt", Eurocopter vendrait dans un premier temps 30 hélicoptères Cougar qui seront assemblés en Turquie. Cette première livraison devrait être suivie d'une seconde dont l'ampleur n'est pas encore indiquée.

L'ARMÉE TURQUE TRAUMATISÉE PAR LA GUERRE DU KURDISTAN


Une enquête, réalisée à la demande de l'armée, sur le moral des troupes turques servant dans les régions kurdes, dont Reuters a pu avoir une copie, révèle une série de problèmes psychologiques et de traumatismes comparables à l'expérience éprouvée par l'armée américaine au Viêt-nam. Parmi ces problèmes révélés par l'enquête figurent notamment la dépression, la schizophrénie et la perte de mémoire. "Dans un environnement de conflit, attendre sans savoir d'où le danger peut venir, la détresse, la non confiance en sa propre force sont des facteurs qui causent des problèmes physiques et psychologiques intenses et empêchent une adaptation à cet environnement", affirme cette enquête. "Ceux qui ont pris part à cette guerre deviennent très sensibles envers toute critique et peuvent se sentir coupables d'avoir agi d'une certaine façon pour épargner leur vie et tout simplement parce qu'ils sont restés en vie" précise encore l'enquête.

150 000 OUVRIERS MANIFESTENT À ANKARA POUR "UN ÉTAT PROPRE"


À l'appel de la confédération syndicale Turk-Is, environ 150 000 ouvriers ont manifesté le 5 janvier à Ankara aux cris de "Halte au régime des voleurs, des pilleurs et des menteurs !" " Les gangs en prison, nous voulons un État propre!". Plusieurs parlementaires de l'opposition ont participé à cette manifestation dominée par des mots d'ordre en faveur de la démocratie et de la laïcité qui s'est déroulée sans incident.

VIVE RÉACTION DES DÉPUTÉS ISLAMISTES KURDES CONTRE LES RAPPORT DU CSN SUR "LE PÉRIL KURDE"


Le récent rapport du Conseil de sécurité nationale (CSN) évoquait le danger de voir les Kurdes former en l'an 2025 la majorité de la population de la Turquie et pérconisant "une planification des naissances" dans les provinces kurdes, a suscité des réactions nombreuses au sein des organisations de la société civile. Au Parlement, seuls les députés kurdes du parti Refah ont osé s'en prendre publiquement au tout-puissant CSN, auteur de ce rapport. Pour le député de Bingöl, Husamettin Korkutata, s'exprimant au nom de ses collègues de la région et cité par le Millyet du 21 décembre "ce rapport est le produit d'une approche raciste. Cela montre combien ils ont peur des Kurdes, c'est une honte pour l'Etat et pour la République. S'ils cherchent à planifier la croissance démographique du pays, ils doivent le faire pour l'ensemble du territoire de la République. La peur duç peuple kurde conduit ces nationalistes à des pratiques racistes". De son côté, le député islamiste de Diyarbakir, Ömer Vehbi Hatipoglu, a invité le Premier minsitre Erbakan à ternir pour "inexistant" ce rapport "raciste et inacceptable" du CSN.

LES RÉVÉLATIONS DE MESUT YILMAZ


L'ancien Premier ministre conservateur turc se fait depuis quelques semaines le principal accusateur de la dérive mafieuse de l'État turc. Déposant successivement devant la Cour de Sûreté de l'État d'Istanbul et devant la Commission d'enquête du Parlement, il décrit, souvent avec force détails et cassettes de témoins à l'appui, les agissements de divers groupes opérant depuis des années sous la protection d'une partie de l'appareil de l'État. Devant le Parlement, il affirme que pendant son court mandat de Premier ministre, au printemps 1996, il a voulu tirer au clair les affaires des meurtres mystérieux et d'autres crimes perpétrés par des organes de l'État: "J'ai fait ce que j'ai pu. Je me suis battu pendant un mois pour nommer mon candidat à la Direction générale de la Sûreté; je n'y suis pas parvenu (..) M. Erbakan a encore moins de pouvoir que mois; il n'a pu procéder à aucune nomination au ministère de l'Intérieur (..) Finalement j'ai pu nommer une personne de confiance à la direction de Sûreté d'Istanbul, Mme. Çiller a imposé son candidat à la Direction générale de la Sûreté. Certaines autres nominations dans la police ont été faites sous l'influence de la mafia (..) Mme. Çiller a créé une unité spéciale au sein des services de renseignements (MIT), chargée en principe de contre-terreur qui se livre en fait à l'espionnage de ses adversaires. Il y a quelques jours, j'ai eu une conversation privée au téléphone avec un ami procureur ; le lendemain le MIT a communiqué à Çiller son compte-rendu (..) Mme. Çiller a constitué tout un réseau à son service. L'un des membres de ce réseau, le député Bucak dispose en plein Ankara, dans son logement de fonction et dans son bureau de plus de 100 mitraillettes Kalachnikov (..) L'ancien ministre de l'Intérieur, Mehmet Agar, qui a été pendant longtemps chef de la police, est mêlé à une série d'affaires graves. Je suis en possession d'une cassette de 4 heures d'aveux d'un certain Huseyin Baybasin, l'un des gros bonnets de la drogue, qui affirme que depuis le début des années 1980 il a mené son trafic en utilisant les voitures de police mises à sa disposition par M. Agar, de fausses cartes d'identité établies et signées par Agar et qu'il a voyagé en Europe avec des passeports de service qui lui ont été remis par ce même Agar. Une cinquantaine de trafiquants de drogue utiliseraient ce genre de passeports et de pièces d'identité délivrés par M. Agar. Il existe au sein de la Direction générale de la Sûreté une unité qui fournit ces trafiquants et des tueurs en cartes d'identité de police et en passeport de service. Des trafiquants notoires portent des passeports de chef de bureau de commissaire ou de conseiller technique de la police. Tout cela mérite au moins une enquête sérieuse".Comme pour appuyer ces déclarations de M. Yilmaz, H. Baybasin décrit dans le même Hurriyet du 27 décembre 1996 et dans Özgur Politika du 2 janvier 1997 les relations de M. Agar avec les divers chefs de la mafia. Il rappelle que cet ex-policier fils de policier, se trouve actuellement à la tête d'une fortune colossale acquise grâce à sa coopération avec la mafia, mais, précise-t-il, il n'agissait pas à titre personnel; c'était la politique de l'État pour financer grâce à cet "argent noir" une série d'opérations secrètes. Il évoque aussi le nom d'un frère du président Demirel et d'un député du parti islamiste faisant également partie de leur "réseau". Témoignant devant la Commission parlementaire, Mehmet Eymür, numéro 2 du MIT, confirme l'essentiel de ces révélations. Il affirme notamment que ses services ont "utilisé" Abdullah Çatli, chef mafieux recherché par Interpol et tué dans le récent accident de voiture de Sussuruk, dans des "opérations secrètes à l'étranger "." Plus tard, nous avons appris qu'il était impliqué dans le trafic de drogue, nous avons alors renoncé à nous en servir. Mais la Direction générale de la Sûreté l'a engagé (..) Récemment nous avons appris que l'un de nos agents, Tarik Ümit, avait été enlevé par des équipes spéciales (Özel Tim) et interrogé par Çatli. J'ai appelé le ministre de l'Intérieur Agar pour demander qu'on le libère. Il a dit qu'il allait voir. Puis notre agent a été trouvé mort. Un autre chef de la mafia d'héroïne, Ayhan Akça a également été enlevé par les équipes spéciales et interrogé par Çatli. L'agent de liaison d'Akça, Mlle Dilek Onek, vient d'être arrêté à l'aéroport d'Istanbul en provenance des Pays-Bas avec une valise bourrée de narco-dollars. Elle portait un passeport de service, comme celui de Çatli émis par la Direction générale de la Sûreté". Le haut dirigeant du MIT, cité par le Hürriyet du 27 décembre confirme que "ses services utilisent, dans l'intérêt de l'État, toute sorte d'individus y compris des criminels". Enfin sa révélation majeure: le trafic de drogue rapporte 25 milliards de dollars par an aux trafiquants turcs car une partie considérable du trafic international d'héroïne passe par la Turquie qui est en outre considéré comme "un paradis d'argent noir". M. Eymur ne précise pas la part prélevée par les divers services de l'État turc sur cette masse énorme de narco-dollars. A la question de savoir jusqu'où peut aller ce "réseau", M. Yilmaz répond, dans le Hurriyet du 27 décembre, qu'à son avis, Tansu Çiller était au courant de tous les agissements de M. Agar et les couvrait. Il a ajouté "Rappelez-vous: en décembre 1993, Mme. Çiller déclare qu'elle a entre les mains la liste d'une soixantaine d'hommes d'affaires aidant le PKK. 15 jours plus tard, on est passé aux exécutions. Depuis août 1995, l'état-major des armées ne s'est pas mêlé de ces affaires, pas même par le biais de JITEM (Service de renseignement de la gendarmerie) . Depuis que le général Karadayi est devenu chef d'état-major, l'armée se tient à l'écart de ces affaires". Ce que veut dire qu'avant août 1995, sous le règne du général Güres, l'armée était elle aussi impliquée. M. Yilmaz, qui a fort à faire avec ses adversaires dans l'actuel bras de fer et qui se dit "menacé", tient ostensiblement à exempter l'armée. Tout comme le président Demirel, qui en réponse à la crise de confiance que connaît le pays, déclare que "le gouvernement est un organisme politique. L'État, c'est le Conseil de Sécurité nationale (à dominante militaire) qui est une institution extraordinairement sérieuse et fiable". Est-ce pour conjurer le péril d'un coup d'État militaire que ces hauts dirigeants turcs encensent ainsi l'armée? En tout cas, celle-ci, par la voix de l'un de ses "hauts commandants", déclare au quotidien Hürriyet du 20 décembre: "cette fois-ci, c'est aux forces non armées de résoudre la crise !"