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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 284

14/5/2004

  1. CLAUDIA ROTH, EMISSAIRE ALLEMANDE DES DROITS DE L’HOMME ET DES DÉPUTÉS ALLEMANDS ONT ÉTÉ EMPÊCHÉS DE RENDRE VISITE À LEYLA ZANA
  2. “ AU REVOIR ” ET “ MERCI ” EN KURDE DONNENT LIEU À DES POURSUITES EN TURQUIE ET LES PRÉNOMS KURDES CONTINUENT À ÊTRE INTERDITS
  3. LE BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME DANS LES RÉGIONS KURDES POUR LE MOIS D’AVRIL
  4. LE PARLEMENT TURC ADOPTE UN PROJET DE LOI CONTROVERSÉ FAVORISANT LES ÉCOLES RELIGIEUSES
  5. UN 1ER MAI SOUS SURVEILLANCE POLICIÈRE DANS LES PROVINCES KURDES OÙ LES AFFRONTEMENTS S’INTENSIFIENT


CLAUDIA ROTH, EMISSAIRE ALLEMANDE DES DROITS DE L’HOMME ET DES DÉPUTÉS ALLEMANDS ONT ÉTÉ EMPÊCHÉS DE RENDRE VISITE À LEYLA ZANA


Les autorités turques ont, le 10 mai, empêché Claudia Roth, l'émissaire allemande pour les droits de l'Homme et vice-présidente du CILDEKT, de rendre visite à Leyla Zana, et à ses trois collègues détenus à la prison centrale d'Ankara.

Claudia Roth, en visite en Turquie avec des députés allemands, avait sollicité le droit de rencontrer les quatre anciens députés du parti de la Démocratie (DEP-dissous) avant de venir en Turquie, mais sa requête a été rejetée au motif que seuls les proches et les avocats des prisonniers peuvent leur rendre visite, a ajouté le porte-parole de Mme Roth.

“ J’ai juste voulu saluer mon amie. Ils ne m’ont même pas laissée lui remettre un bouquet de fleurs. Il m’est très difficile de les comprendre…Leyla Zana est devenue un véritable symbole dans le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Toute l’Europe pense qu’il faut libérer Leyla est ses collègues ”, a ensuite déclaré Mme Roth qui a rencontré le ministre des affaires étrangères, Abdullah Gul et le lendemain le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan à qui elle a offert un morceau du mur de Berlin. Elle s’est ensuite rendue à Diyarbakir et a été reçue par le maire de la ville, Osman Baydemir. “ Je vais à Diyarbakir comme à chaque fois que je suis en visite en Turquie car je pense comme Mesut Yilmaz [ancien Premier ministre turc] que la route de l’Europe passe par Diyarbakir ”, a-t-elle souligné.

Leyla Zana, lauréate en 1995 du prix Sakharov décerné par le Parlement européen, ainsi que Hatip Dicle, Orhan Dogan et Selim Sadak ont été condamnés en 1994 à 15 ans de prison. À la suite de la condamnation de la Turquie par la Cour européenne des droits de l’homme et puis de leur rejugement en appel, le mois dernier, la peine a été confirmée par la justice turque, provoquant l'indignation de la communauté internationale.

“ AU REVOIR ” ET “ MERCI ” EN KURDE DONNENT LIEU À DES POURSUITES EN TURQUIE ET LES PRÉNOMS KURDES CONTINUENT À ÊTRE INTERDITS


Le parquet de la ville de Nusaybin a, le 13 mai, ouvert une instruction à l’encontre de Tuncer Bakirhan, président du parti de la démocratie du peuple (DEHAP-prokurde). Les autorités turques lui reprochent d’avoir dit “ au revoir ” [Xatira we] et “ merci ” [spas] en kurde à la fin d’une réunion politique à Nusaybin le 26 mars et le poursuivent sur la base de l’article 81/C de la loi N°2820 relative aux partis politiques interdisant toute autre langue que le turc dans le débat politique. M. Bakirhan se voit obligé de plaider qu’il n’a pas enfreint ladite loi puisqu’il n’a parlé qu’en turc au cours de son discours mais a remercié et dit au revoir en kurde, ce qui ne devrait pas rentrer dans le cadre du débat politique.

Tuncer Bakirhan est d’ores et déjà poursuivi dans le cadre de 29 autres instructions ouvertes à son encontre dans le cadre de ses engagements politiques.

Par ailleurs, le Tribunal de grande instance N°2 de Beyoglu, a, le 10 mai, rejeté les demandes de deux responsables de l’Association turque des droits de l’homme (IHD), Mmes Eren Keskin et Kiraz Biçici, qui demandaient au tribunal le droit de porter des prénoms kurdes, Xezal (gazelle), Xecê (diminutif de Khadidja, une des épouses de Mahomet). Le tribunal a suivi les conclusions du procureur qui demandaient aux requérantes d’utiliser la lettre “ H ”, puisque la lettre “ X ” n’existe pas en turc.

LE BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME DANS LES RÉGIONS KURDES POUR LE MOIS D’AVRIL


La branche de Diyarbakir de l’Association turque des droits de l’homme (IHD) a, le 13 mai, rendu public son bilan des violations des droits de l’homme pour le mois d’avril 2004 dans les régions kurdes. Voici le bilan publié par l’IHD :

  • Nombre de personnes tuées lors des affrontements : 5
  • Nombre de meurtres non élucidés et d’exécutions extrajudiciaires : 3 morts et 7 blessés
  • Nombre de victimes des mines antipersonnelles : 2 morts et 7 blessés
  • Nombre de placements en garde-à-vue : 57
  • Nombre de plaintes de tortures et de sévices : 32
  • Nombre d’arrestations : 15
  • Nombre de manifestations culturelles interdites : 3


LE PARLEMENT TURC ADOPTE UN PROJET DE LOI CONTROVERSÉ FAVORISANT LES ÉCOLES RELIGIEUSES


Le Parlement turc a adopté 13 mai au terme d'une très longue et houleuse séance le projet de loi controversé du gouvernement issu de la mouvance islamiste, favorisant les écoles religieuses, qui est dénoncé par les pro-laïcs et l'armée qui y voient un danger pour le système laïque. Sur les 258 députés présents, 254 ont voté pour et quatre contre, a annoncé le vice-président de l'Assemblée nationale, Nevzat Pakdil. L’unique formation de l'opposition au Parlement, le Parti républicain de peuple (CHP) a boycotté le vote qui s'est déroulé le 13 mai à l'issue de 18 heures de débats houleux, faisant passer une nuit blanche aux députés.

Le gouvernement turc a pris le risque de s'engager dans un bras de fer avec le président Ahmet Necdet Sezer en faisant voter ce projet de loi. Le projet du gouvernement du parti de la Justice et du Développement (AKP) vise notamment à permettre aux diplômés des lycées professionnels de s'orienter vers n'importe quel établissement universitaire. Il permettrait ainsi aux étudiants issus des lycées religieux (Imam Hatip) d'avoir accès aux universités de leur choix en jouant sur des coefficients aux examens d'entrée aux universités.

L'actuel système bannit l'accès des élèves de ces écoles à l'enseignement supérieur, en dehors des facultés de théologie. Il empêche surtout les étudiants formés dans ces écoles, suspectés d'islamisme, d'accéder aux postes de la fonction publique exigeant des diplômes universitaires.

La réforme vise également à réduire l'influence du Conseil de l'enseignement supérieur (YOK), institution qui soumet les universités à un contrôle strict. Les lycées religieux sont considérés comme des pépinières pour les militants de l'islamisme en Turquie.

La puissante armée, qui se considère la garante de la laïcité, a réagi contre le projet, estimant qu'il porterait atteinte aux principes laïques du régime. Dans un communiqué rendu public le 6 mai, l'état-major des armées s'était opposé au projet estimant qu'il pourrait provoquer de “ sérieux problèmes ”.

Pour le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, lui-même un ancien élève d'une “ imam hatip ”, ce projet qu'il défend fait partie des promesses électorales faites par son parti AKP avant les législatives de 2002 qui l'ont hissé victorieusement au pouvoir avec une majorité absolue au Parlement.

L'ensemble des cadres universitaires ont vilipendé le projet et les recteurs ont menacé d'une démission collective.

Le CHP (parti républicain du peuple) qui s'est servi de tous les moyens dilatoires au Parlement lors des débats a accusé le gouvernement de vouloir “ rapprocher le système d'enseignement (turc) de ceux de l'Iran ou des pays arabes ” par cette réforme. “ C'est une tentative pour exploiter la religion. Ce projet va porter atteinte à la paix sociale et à la stabilité ” du pays, a insisté le chef du CHP, Deniz Baykal, au Parlement.

De l'avis général, le président de la République, Ahmet Necdet Sezer, un fervent pro-laïc, devrait rejeter cette loi.

L'AKP pourrait alors le faire voter de nouveau et le renvoyer au président qui cette fois n'aura pas le droit de s'y opposer selon la Constitution. M. Sezer pourra encore saisir la Cour constitutionnelle pour demander son annulation. L'AKP pourrait aussi décider d'enterrer son projet au vu des critiques en décidant de ne pas le renvoyer au chef de l'Etat, a-t-on affirmé de source parlementaire.

M. Erdogan affirme avoir renoncé à son engagement islamiste passé et se présente aujourd'hui comme un “ musulman-démocrate ”. Mais ses opposants le soupçonnent de poursuivre secrètement une politique d'islamisation de la Turquie.

La presse libérale turque critique l'insistance du gouvernement d'aller de l'avant avec son projet. “ L'image de la Turquie (à l'étranger) se dégrade ”, titrait ainsi, le 13 mai, à la Une le journal à gros tirage Hurriyet.

UN 1ER MAI SOUS SURVEILLANCE POLICIÈRE DANS LES PROVINCES KURDES OÙ LES AFFRONTEMENTS S’INTENSIFIENT


Quelques 110 personnes ont été interpellées le 1er mai à Diyarbakir par la police anti-émeutes alors qu'elles tentaient de passer outre une interdiction de manifester dans la ville. Lors d'un court affrontement au moins un manifestant a été blessé. Une centaine de membres de syndicats, de partis politiques et d'associations tentaient d'organiser une manifestation sur la place Dagkapi en bravant une interdiction des autorités locales, qui n'avaient autorisé qu'un rassemblement à une dizaine de kilomètres hors la ville. Ils ont été interpellés par la police, ne voulant pas quitter les lieux. Par ailleurs un deuxième groupe, d'une dizaine de personnes, a également été interpellé alors qu'il tentait de rallier la même place. D’autre part, la police de Diyarbakir a, le 2 mai, annoncé l’arrestation de 41 personnes soupçonnées d’être liées au PKK et de préparer des attentats contre des bâtiments gouvernementaux. La police a également déclaré avoir saisi 25 cocktails molotov et des drapeaux “ interdits ”, selon un communiqué de la police municipale.

La police avait renforcé les mesures de sécurité dans les principales villes du pays à l'occasion du 1er mai, afin de prévenir des incidents. Les manifestations du 1er mai en Turquie ont donné lieu dans le passé à plusieurs reprises à des affrontements sanglants entre manifestants et forces de sécurité.

Par ailleurs, les affrontements s’intensifient dans les provinces kurdes entre les forces de l’armée et les combattants kurdes. Deux soldats turcs ont été tués et trois autres blessés quand le véhicule dans lequel ils circulaient a heurté le 12 mai une mine à dans la ville kurde de Cukurca, L'explosion s'est produite alors que les soldats effectuaient une patrouille. Les autorités ont également annoncé le même jour avoir saisi à Tunceli quatre puissantes bombes placées sur une route. Selon les autorités, ces engins qui pouvaient être activés à distance sont les plus puissantes découvertes jusqu'à présent dans cette zone. D’autre part, huit combattants kurdes, membres présumés de l'ancien Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, rebaptisé Kongra-Gel), ont été tués dans les régions kurdes en deux jours, selon les sources sécuritaires de la région. Six combattants ont été tués le 6 mai près du Mont Caci, non loin d'Eruh, dans la province de Siirt, là où un autre combattant avait été abattu la veille, selon des responsables locaux. Un autre combattant a été tué le 6 mai lors d'affrontements dans le district rural de Gercus, dans la province voisine de Batman.

Le 5 mai, un supplétif de l'armée turque avait été tué et quatre autres blessés lors d'affrontements entre des combattants kurdes et des “ gardiens de village ” --miliciens kurdes armés par l'Etat -- près du village de Guzeldere, non loin de Genc, dans la province de Bingol. De plus, deux soldats turcs ont été tués, le 9 mai quand le véhicule dans lequel ils circulaient a heurté une mine dans la région de Diyarbakir. L'explosion, qui s'est produite près de la localité de Lice a eu lieu alors que les soldats effectuaient une patrouille.