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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 264

23/4/2003

  1. SECONDE AUDIENCE DU PROCÈS DE LEYLA ZANA ET DE SES TROIS COLLÈGUES LE 28 AVRIL DEVANT LA COUR DE SURETÉ DE L’ETAT D’ANKARA
  2. DOMINIQUE DE VILLEPIN EN VISITE OFFICIELLE EN TURQUIE
  3. LA TURQUIE ACHETE DES AVIONS AWACS POUR UN MONTANT DE 1,2 MILLIARDS DE DOLLARS
  4. LE FMI DÉBLOQUE 701 MILLIONS DE DOLLARS EN FAVEUR DE LA TURQUIE
  5. LU DANS LA PRESSE TURQUE


SECONDE AUDIENCE DU PROCÈS DE LEYLA ZANA ET DE SES TROIS COLLÈGUES LE 28 AVRIL DEVANT LA COUR DE SURETÉ DE L’ETAT D’ANKARA


Une délégation parlementaire européenne composée de 6 députés se rendra en Ankara pour assister le 28 avril à la seconde audience devant la cour de sûreté de Etat (DGM) d’Ankara des députés kurdes emprisonnés depuis 10 ans en Turquie. La délégation, composée de Mr Joost LAGENDIJK, Mr Richard BALFE, Mme Anna KARAMANOU, de la Baroness Emma NICHOLSON, de Mme Feleknas UCA et de Mr Luigi VINCI, devrait rencontrer le ministre turc de la justice et des organisations de défense des droits de l’homme. Un des juges siégeant à la première audience s’est fait porté pâle et sera donc remplacé pour cette seconde audience. Rien ne dit qu’il ne s’agit pas de manigance artificieuse. Par ailleurs, fait sans précédent, les autorités turques ont refusé l’accès de la salle aux journalistes munis de caméras et d’appareils photos.

Une conférence de presse s’est tenue le 23 avril en présence de Mme Danielle Mitterrand, présidente de la Fondation France-Libertés et du CILDEKT, de Mme Ségolène Royal, députée des Deux-Sèvres et de Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris, au Centre d’accueil de la presse étrangères (CAPE) pour faire le point sur la situation des députés et alerter l’opinion publique sur le sort des prisonniers d’opinion en Turquie. La conférence a été suivie de la projection du film de Kudret Gunes consacré à Leyla Zana « Leyla Zana, le cri au delà de la voix étouffée »

DOMINIQUE DE VILLEPIN EN VISITE OFFICIELLE EN TURQUIE


Dominique de Villepin, ministre français des affaires étrangères en visite officielle à Ankara a été, le 22 avril, reçu par son homologue turc Abdullah Gul. « La France a beaucoup apprécié la retenue, la modération et la maturité dont la Turquie a fait preuve » durant l'offensive américano-britannique en Irak, a déclaré Dominique de Villepin, qui a exprimé le soutien de la France à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. « Il y a plusieurs arguments en faveur de cette candidature, qu'ils soient stratégiques, économiques, liés à la sécurité ou à la diversité culturelle », a noté le chef de la diplomatie française. « Nous voyons la profonde aspiration de la Turquie à rejoindre l'Union et la France prévoit de rester à vos côtés sur cette voie, qui est la voie de la démocratie, du développement économique et de la cohésion sociale », a-t-il déclaré. L'UE doit annoncer fin 2004 si elle ouvre ou non les négociations d'adhésion avec Ankara.

Ankara a, quant-à-lui, vivement protesté contre la décision de la municipalité de Paris qui devra ériger la statue du musicien arménien Komitas sur une place parisienne le 24 avril 2003 en commémoration du génocide arménien. « Ce n’est pas cela l’amitié » titrait Hurriyet le 22 avril pour la visite de M. De Villepin.

LA TURQUIE ACHETE DES AVIONS AWACS POUR UN MONTANT DE 1,2 MILLIARDS DE DOLLARS


Malgré la récession qui frappe l’économie turque, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a, le 21 avril, signé la décision d’acheter quatre avions de surveillance de type AWACS à la société américaine Boeing pour un montant d’1,2 milliards de dollars. Les négociations avaient débuté depuis 2001 et selon la presse turque le premier avion sera livré dans quatre ans.

LE FMI DÉBLOQUE 701 MILLIONS DE DOLLARS EN FAVEUR DE LA TURQUIE


Le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé le 18 avril le déblocage d'une tranche de crédit de 701 millions de dollars en faveur de la Turquie. Cette tranche de crédit s'inscrit dans le cadre d'un accord stand-by approuvé en février 2002 par le FMI et prévoyant l'octroi d'une ligne de crédit totalisant environ 18 milliards de dollars pour aider la Turquie à faire face à une grave récession consécutive à deux crises financières. La Turquie avait retiré jusqu'ici environ 14 milliards de dollars sur la ligne de crédit de 18 milliards de dollars.

La Turquie s'attend au déblocage jusqu'à la fin de 2004 par le FMI et la Banque mondiale de crédits totalisant 5,2 milliards de dollars, avait indiqué le 6 avril le ministre turc de l'Economie Ali Babacan en annonçant la signature avec le FMI d'une lettre d'intention décrivant la politique économique à laquelle s'engage Ankara. Après les 701 millions de dollars, sept autre tranches d'environ 500 millions de dollars chacune seront débloquées par le FMI jusqu'en décembre 2004, selon M. Babacan.

LU DANS LA PRESSE TURQUE


« LES STATUES ». Ahmet Altan, journaliste et écrivain de renom en Turquie, analyse, après la chute de Saddam Hussein, le culte de la personnalité imposée dans certaines sociétés, en faisant le parallélisme avec Ataturk, décrété « le père des Turcs ». Voici l’intégralité de cet article publié le 14 avril sur le site du journal Gazetemnet :

« Lorsque je regarde les films et les documentaires retraçant les grandes souffrances, les tueries, les guerres et aujourd’hui encore en regardant la réalité de la guerre, c’est toujours Fogg, le personnage de l’oeuvre de Jules Verne « Le tour du monde en 80 jours », traversant l’océan atlantique qui me vient à l’esprit. Pressé de rejoindre Londres à temps, Fogg achète une vieille embarcation et puis manquant de charbon à quelques lieues de la fin de son voyage, il brise le bateau pour utiliser le bois comme combustible. Le bateau progressait ainsi tout en se consumant.

L’humanité arrive probablement à avancer tout en se consumant à l’instar du bateau de Fogg, brûlant toujours la vie des hommes pour faire son chemin. Je pense qu’il faudrait au moins tirer les leçons de cet étrange voyage et de la souffrance de se consumer comme combustible, et donc il faudrait tirer les enseignements pour rendre le « voyage » plus sûr et moins douloureux. La dernière guerre américano-irakienne a probablement été l’occasion pour les uns et les autres de tirer certaines leçons et de contribuer à leur expérience par de nouvelles informations. Entre autres choses, pour ma part, profitant de mon expérience personnelle, j’ai trouvé l’occasion de me forger une idée générale sur les rapports entre les statues et les sociétés. Je pense que si les statues d’un seul homme se trouvent érigées dans un pays, elles sont finalement condamnées à être déboulonnées. De plus les pays qui ont érigé les statues d’un seul homme perdent toujours les guerres. Lors de mes promenades je n’ai pas rencontré à chaque étape de statues de Napoléon à Paris, ni de Washington à New-York, ni de Cromwell à Londres, ni de Garibaldi à Rome et non plus de Bismarck à Berlin. Ces hommes étaient-ils de peu d’importance pour leur pays ? Non, loin de là, mais chaque parcelle de terrain n’était pas recouverte de leur statue. Et celles que j’ai pu rencontrer avaient soit une importance artistique au niveau de l’oeuvre sculpturale ou encore étaient-elles l’oeuvre de grands artistes...

A mon sens, ces statues constituent, dans les pays en voie de développement, une pièce maîtresse d’un décor servant à dissimuler les réalités. Derrière ces statues représentant des personnes sanctifiées et qui ne peuvent être sujet à la critique, se cachent des réalités effrayantes dont on ne désire pas discuter. Derrière les statues de Lénine dans les pays soviétiques, celles de Ceausescu en Roumanie et derrière les statues de Saddam en Irak, d’énormes escroqueries s’abritaient. Nous aussi nous faisons partie de ces pays dotés de statues d’un seul homme. Vous ne pouvez pas faire un pas sans rencontrer les statues d’Ataturk. Mustafa Kemal est une des grandes personnalités de notre histoire mais il n’est pas le seul, depuis l’empire ottoman, en six siècles, d’autres hommes se sont élevés dans ce pays. De plus, Washington, Napoléon, Garibaldi, Bismarck et Cromwell se trouvent être des personnalités historiques pour leur pays. Alors pour quelle raison n’érigeons- nous que la statue d’Ataturk ? Et quelles sont les vérités que l’on dissimule derrière ces statues ? Anoblissons-nous Ataturk en élevant ses statues, ou alors le dressons-nous en sujet sanctifié indiscutable en dissimulant derrière ces statues quelques anomalies ?

Selon moi, ces statues sont utilisées pour occulter les anomalies et les escroqueries en Turquie. Une série d’anomalies juridiques et économiques, à commencer par l’immixtion de l’armée dans la vie politique que l’on associe à Ataturk et l’ataturkisme, se cache derrière ces statues et derrière cette sanctification que l’on veut créer par ces statues. Ne pouvant pas discuter de la position de l’armée dans la vie politique, vous ne pouvez pas non plus parler du poids du budget de la défense dans l’économie turque et sur la Turquie, ni de la raison d’entretenir une armée aussi importante dans le monde d’aujourd’hui, ni des responsables du problème chypriote qui a conduit à la cassure entre la Turquie et l’Europe. Et pourquoi ne peut-on pas avancer l’idée d’un débat sur la question kurde ? Pour quelle raison ne peut-on pas discuter du fait que l’on se considère comme proches les Turcomans d’Irak alors que l’on voit les Kurdes comme des ennemis ? Vous ne pouvez pas non plus discuter du fait qu’en établissant cette différence entre les Turcomans, de la même ethnie que certains de nos concitoyens et les Kurdes, de la même ethnie que certains autres de nos concitoyens, l’on tombe dans la position d’Etat raciste, non plus du fait que l’on déclare illégale l’attaque américaine en Irak et que l’on envisage en même temps d’attaquer Mossoul et Kirkouk sans aucune base juridique.

Les statues dissimulent donc toutes ces bizarreries et les sujets inabordables empoisonnent notre vie et nous poussent tous les jours dans une pauvreté de réflexions incompréhensibles et le chaos. Si la Turquie ne peut pas parler de « ses tabous » elle ne pourra pas sauver son avenir et son sort sera réglé par d’autres. Sans nier la position et l’importance d’Ataturk dans notre histoire, je crois qu’il va falloir lui ôter sa condition de « bouclier sanctifié » des anomalies.

Si vous observez les pays qui font partie des pays ayant la statue d’un seul homme, vous comprendrez qu’il n’y a pas de quoi être fier à figurer parmi la liste de ces pays. Je ne suis pas un thuriféraire d’Ataturk et je pense qu’à côté des choses très importantes qu’il a accomplies, il a également fait beaucoup d’erreurs, mais je pense qu’il est injuste de le rendre responsable de toutes les anomalies.

La vie fera et devra faire en sorte que ces statues soient au fur à mesure de moins en moins nombreuses, même si cela ne se passe pas d’une manière aussi violente que dans d’autres pays. Il n’y a pas de quoi se réjouir à se voir faire des parallélismes entre l’Irak de Saddam et nous mêmes. Dans les sociétés où l’on trouve des personnes sanctifiées il y a toujours des anomalies. Le développement arrive en se débarrassant des sanctifications. Il est temps non seulement de sauver la Turquie mais également Ataturk. Etre un pays équipé de la statue d’une personne unique n’augure rien de bon. Sortir la Turquie de ce mauvais présage et faire en sorte qu’Ataturk cesse d’être utilisé comme rideau dissimulant les mauvais signes agirait contre qui ? Pourquoi ne pas ériger d’autres statues ? De belles statues. Des statues dignes d’un pays développé où l’on parle de la réalité des choses. Peut-être qu’à ce moment-là le fondement d’une République et ses bâtisseurs deviendront source de fierté pour nous tous. »

« LES GÉNÉRAUX À LA RETRAITE AIMENT-ILS TELLEMENT LES ARABES ? » Ertugrul Ozkok, le rédacteur en chef du quotidien turc Hurriyet critique dans son éditorial du 22 avril la position de l’armée turque dans l’après-guerre en Irak. Voici de larges extraits de cet article intitulé « Les généraux à la retraite aiment-ils tellement les Arabes? » :

« Je voulais depuis longtemps écrire un article sur ces commandants de l’armée à la retraite qui passent à la télévision depuis le début de la guerre en Irak.

Mais à vrai dire, embarrassé à l’idée d’interroger l’armée turque, je pensais que je ne pourrais écrire un tel article qu’avec beaucoup de circonspection...

Une interview effectuée par Nese Duzel et publiée dans le quotidien Radikal d’hier a permis de trouver la réponse à mon interrogation et a facilité la rédaction de cet article. En écoutant les analyses des commandants de l’armée à la télévision j’avais toujours cette question en tête : « Nos généraux s’expriment-ils ainsi parce qu’ils veulent la victoire de Saddam ou croient-ils réellement en leurs thèses ? »...

S’ils croient vraiment à ce qu’ils annoncent alors il y a un sérieux problème dans la politique de défense de la Turquie...

Aussi, l’interview du général Nejat Eslen, réalisée par Nese Duzel pour le quotidien Radikal, est-elle importante. Le général à la retraite y déclare clairement sa déception que l’armée irakienne ait déposé les armes si rapidement... « J’ai été très peiné pour les Irakiens. Mais aujourd’hui je suis triste d’avoir été triste » déclare-t-il. Le général voulait tellement la victoire de Saddam qu’il exprimait avec colère sa désillusion.

Si l’armée irakienne avait opposé plus de résistance, s’il y avait plus de victimes, le général se serait réjoui. Ce général à la retraite a-t-il formulé ce voeu par « amour envers les Arabes » ? Non, puisque son opinion sur les Arabes n’est pas des plus sympathiques : « On ne peut pas savoir ce qu’un Arabe peut faire. Ces gens sont ceux qui nous ont poignardé dans le dos pendant la première guerre mondiale. Il y a probablement un peu de sang de la trahison dans le sang des Arabes »... Je pose alors la question, observer la guerre avec de tels sentiments peut-il conduire à des commentaires militaires impartiaux ?

...Les points de vue de nos militaires ne reflètent ni leurs connaissances ni leurs théories mais leurs sentiments personnels à propos de cette guerre... » .