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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 261

6/3/2003

  1. LEYLA ZANA ET SES TROIS COLLÈGUES SERONT REJUGÉS PAR LA COUR DE SÛRETÉ DE L’ETAT
  2. LE PARLEMENT TURC REJETTE LA MOTION DU GOUVERNEMENT À L’ENVOI DE SOLDATS AMÉRICAINS EN TURQUIE, L’ARMÉE TURQUE MENACE LES KURDES D’IRAK ET INTERVIENT POUR CLORE LE DÉBAT EN SE PRONONÇANT POUR LE DÉPLOIEMENT
  3. LE DOCUMENT DE POLITIQUE NATIONALE EN IRAK DÉFINI PAR LE PRÉCÉDENT GOUVERNEMENT TURC CONSIDÈRE TOUJOURS QUE TOUTE INDÉPENDANCE KURDE SERA CAUSE D’INTERVENTION MILITAIRE TURQUE
  4. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME SE PRONONCERA LE 12 MARS SUR L’AFFAIRE OCALAN
  5. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CONDAMNE LA TUQUIE POUR AVOIR VIOLÉ LA LIBERTÉ D’EXPRESSION DE YASAR KEMAL


LEYLA ZANA ET SES TROIS COLLÈGUES SERONT REJUGÉS PAR LA COUR DE SÛRETÉ DE L’ETAT


La Cour de sûreté de l'Etat d'Ankara a, le 28 février, décidé que Leyla Zana, lauréate 1995 du Prix Sakharov du Parlement européen, et ses trois collègues, Hatip Dicle, Orhan Dogan et Selim Sadak, tous anciens députés kurdes élus au Parlement turc, emprisonnés depuis plus de 9 ans à Ankara, seront rejugés. Les juges ont décidé de donner suite à une demande déposée au début du mois par les avocats des ex-députés rejetant cependant un recours pour leur libération.

La Cour européenne des droits de l'Homme avait jugé leur procès inéquitable et le Conseil de l'Europe a demandé en janvier 2003 à Ankara de réviser leur procès. Le parlement turc, dans le cadre de mesures destinées à favoriser le rapprochement du pays avec l'Union européenne, a récemment adopté une loi autorisant de nouveaux procès pour les prévenus dont les sentences ont été condamnées par la Cour européenne des droits de l'Homme.

LE PARLEMENT TURC REJETTE LA MOTION DU GOUVERNEMENT À L’ENVOI DE SOLDATS AMÉRICAINS EN TURQUIE, L’ARMÉE TURQUE MENACE LES KURDES D’IRAK ET INTERVIENT POUR CLORE LE DÉBAT EN SE PRONONÇANT POUR LE DÉPLOIEMENT


Le Parlement turc a, le 1er mars, rejeté par trois voix une motion du gouvernement autorisant le stationnement de 62.000 soldats américains en Turquie pour une éventuelle guerre en Irak, et le déploiement de soldats turcs dans le Kurdistan irakien en cas de guerre. L’armée turque avait refusé de se prononcer en préférant que le parti islamiste au pouvoir s’empêtre dans ses contradictions et soit le seul responsable de la décision d’autorisation de stationnement de l’armée américaine sur le sol turc, rejetée par plus de 80 % de la population turque. Le parti de la Justice et du Développement avait ainsi soumis la motion à reculons.

L'ambassadeur des Etats-Unis en Turquie a déclaré le lendemain que l'assistance financière offerte par Washington à Ankara, susceptible d'atteindre 30 milliards de dollars, serait compromise si aucun accord n'intervenait. « Sans cet accord, il n'y a pas d'offre financière », a déclaré Robert Pearson aux journalistes après une entrevue avec le Premier ministre Abdullah Gül dans la capitale turque. Ce résultat a fait plonger les marchés financiers, les investisseurs craignant que la Turquie doive traverser une période de guerre contre son voisin irakien sans une aide américaine.

Le 5 mars, l'armée turque a finalement apporté son soutien ferme au déploiement de forces américaines dans le pays et a sévèrement mis en garde les partis kurdes d’Irak contre toute opposition à sa possible intervention. « Les vues des forces armées sont les mêmes que celles du gouvernement », a déclaré le chef d'état-major, le général Hilmi Ozkok, lors d'une rare intervention devant les journalistes, auxquels il a lu une déclaration écrite.

« Nous avions pensé que si un front était ouvert dans le nord (Kurdistan d'Irak) la guerre serait écourtée et que des évènements imprévisibles n'auraient pas lieu », a précisé le général turc. « Malheureusement, notre choix n'est pas entre le bien et le mal, mais entre le mauvais et le pire », a-t-il souligné, soulignant que « si nous ne participons pas à une guerre, (...) il nous sera impossible d'avoir notre mot à dire après la guerre ». Relevant que son pays n'avait ni les capacités, ni les moyens de prévenir à lui seul une guerre, le général Ozkok a indiqué que « la Turquie subira les mêmes dommages, qu'elle participe ou non au processus de guerre ».

Il a par ailleurs prévenu les partis kurdes d'Irak qu'ils devraient assumer les conséquences d'une éventuelle confrontation avec l'armée turque, en cas d'intervention de celle-ci au Kurdistan irakien. « Je leur rappelle notre droit légitime à défendre nos intérêts nationaux et j'espère qu'ils seront prudents et coopératifs », a-t-il lancé. « Ceux qui veulent remplacer la paix par la confrontation en assumeront également la responsabilité et les conséquences », a-t-il déclaré sèchement.

Le 3 mars, des centaines de milliers de Kurdes irakiens avaient manifesté à Erbil contre une possible invasion turque du Kurdistan irakien, qui échappe au contrôle de Bagdad depuis 1991. La manifestation s’est déroulée dans le calme à l’exception de l’incident de drapeaux turcs brûlés par quelques jeunes manifestants.

Dans un appel adressé clairement aux dirigeants kurdes, le général Ozkok a insisté: « Nous avons été à leurs côtés dans leurs temps les plus difficiles. Nous ne les avons pas trompés, ni ne leur avons mentis. Ceux qui ont oublié le passé seront les mauvais architectes de l'avenir ». Recep Tayyip Erdogan, avait, le 4 mars, mis en garde les Kurdes d'Irak contre des actes hostiles visant son pays et Bagdad contre toute tentative de tirer profit du rejet par le parlement turc d'un déploiement américain en Turquie. « Il y a des événements préoccupants et regrettables dans le nord de l'Irak », avait-il déclaré devant le groupe parlementaire de son parti AKP. Le 5 mars, le chef de la diplomatie turque, Yasar Yakis, avait également qualifié les évènements à Erbil, qui ont provoqué une tension entre Ankara et les groupes Kurdes, de « provocation ». Par ailleurs, des cocktails Molotov ont été lancés, le 5 mars, par de inconnus contre la représentation à Ankara du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), provoquant des dégâts mineurs.

Dès le lendemain de la déclaration de l’armée turque, Quelque 200 camions militaires turcs se sont dirigés vers la frontière kurde en Irak, tandis que des camions américains, chargés sur des semi-remorques, quittaient le port d'Iskenderun. Plusieurs centaines de véhicules militaires américains, notamment des camions et des jeeps, avaient été déchargés il y a 15 jours de plusieurs rouliers à Iskenderun. Un nouveau vote au Parlement ne devrait pourtant pas intervenir avant la fin de la semaine prochaine, après le remaniement ministériel qui devrait suivre l'élection, attendue le 9 mars, du dirigeant du parti au pouvoir, Recep Tayyip Erdogan, au parlement, à l'occasion d'une législative partielle, lui permettra de prendre officiellement sa place à la tête du gouvernement, qu'il dirige, en coulisse depuis novembre 2003, en coopération avec l'actuel Premier ministre, Abdullah Gul.

La Turquie affirme craindre que les deux partis kurdes qui contrôlent le Kurdistan d’Irak ne profitent d'une intervention américaine contre Bagdad pour déclarer leur indépendance. Elle a averti que, le cas échéant, elle interviendrait militairement dans cette zone où elle stationne déjà quelques centaines de soldats. « L'administration américaine doit prendre en compte les sensibilités régionales de la Turquie. Les Etats-Unis doivent prévenir la création d'entités qui pourraient émerger toutes seules et ennuyer la Turquie », a déclaré M. Erdogan.

Le peuple kurde « se soulèvera » si jamais l'armée turque envahit le Kurdistan d'Irak dans le cadre d'une attaque menée par les Etats-Unis pour renverser le régime de Saddam Hussein, a affirmé le 1er mars Massoud Barzani, chef du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), à l'issue de la conférence de l'opposition irakienne. « Même si les troupes turques sont sous commandement militaire américain, ce ne serait pas acceptable pour nous », a-t-il déclaré.« Les Américains sont parfaitement conscients de notre position (...) et le peuple kurde se soulèvera pour faire face à tout complot », a-t-il ajouté.

Par ailleurs, Marc Grossman, le sous-secrétaire d'Etat américain pour les Affaires politiques, a déclaré le 4 mars que les Etats-Unis sont opposés à une intervention unilatérale de la Turquie dans le Kurdistan d’Irak. Le responsable américain s'est déclaré « préoccupé » de la tension entre Ankara et les partis kurdes.

LE DOCUMENT DE POLITIQUE NATIONALE EN IRAK DÉFINI PAR LE PRÉCÉDENT GOUVERNEMENT TURC CONSIDÈRE TOUJOURS QUE TOUTE INDÉPENDANCE KURDE SERA CAUSE D’INTERVENTION MILITAIRE TURQUE


Le ministère turc des Affaires étrangères considère toujours comme un casus belli la création d’un Etat kurde en Irak, selon le quotidien turc Hurriyet daté du 4 mars. Décidé et signé par Bulent Ecevit, le précédent Premier ministre turc, le « document de politique nationale en Irak » est ainsi encore d’actualité malgré le changement de gouvernement. Une réunion regroupant, le 6 octobre 2002, le ministère des Affaires étrangères, la présidence de l’état-major des armées et les services de renseignements (MIT), avait déterminé les objectifs de la politique turque à court, à moyen et à long terme. Ainsi, le premier article de ce texte dispose qu’ « il faut continuer les efforts afin de sauvegarder l’unité de l’Irak lors de la construction dans l’avenir du pays, tout en prenant en considération que l’on ne peut revenir à l’avant 1992 pour ce qui concerne le nord de l’Irak [le Kurdistan d’Irak]. Le scénario impossible à accepter pour nous serait un Etat indépendant kurde dans le nord de l’Irak. Une telle déclaration devrait être considérée comme un cause d’intervention ».

Le journal précise que l’accord entre Washington et la Turquie stipule que l’armée turque n’entrera en Irak que dans un but humanitaire et ne tirera pas une seule balle.

LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME SE PRONONCERA LE 12 MARS SUR L’AFFAIRE OCALAN


La Cour européenne des droits de l'Homme rendra le 12 mars son arrêt concernant le chef du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) Abdullah Ocalan, incarcéré en isolement dans l'île-prison d'Imrali et qui avait introduit plusieurs requêtes contre la Turquie.

Abdullah Ocalan avait saisi la Cour européenne pour accuser le gouvernement turc d'une longue série de griefs concernant son arrestation par un commando à Nairobi en février 1999, son enlèvement vers la Turquie, sa détention en isolement, assimilée à des mauvais traitements, l'équité de son procès (avec la participation d'un juge militaire, pendant la première phase) et sa condamnation à mort. La peine de mort prononcée en juin 1999 par la justice turque pour "trahison et séparatisme" à son encontre avait été commuée en réclusion à perpétuité le 3 octobre dernier par la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara.

LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CONDAMNE LA TUQUIE POUR AVOIR VIOLÉ LA LIBERTÉ D’EXPRESSION DE YASAR KEMAL


La Turquie a été, le 4 mars, condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme pour violation de la liberté d'expression de Yasar Kemal, écrivain d’origine kurde, de réputation internationale, condamné pour un article critiquant la politique des autorités turques envers les Kurdes.

Yasar Kemal avait été condamné en 1996 par la cour de sûreté de l'Etat à un an et huit mois de prison pour un article intitulé « Le ciel noir de la Turquie » publié en 1995 dans le livre « La liberté d'expression et la Turquie ». La Cour de sûreté turque avait en effet considéré que ce texte visait « à attiser la haine et l'hostilité entre les citoyens d'origine turque et ceux d'origine kurde ». Le livre « La liberté d'expression et la Turquie » publié par la société CSY, qui a également déposé un recours devant la Cour européenne, avait fait l'objet d'une saisie.

La Cour européenne, soulignant notamment que certains passages « particulièrement acerbes » de ce texte empreint « d'agressivité certaine et de virulence » donnent au récit une « connotation hostile », estime malgré tout que cet article « ne saurait passer pour inciter à l'usage de la violence, à la résistance armée ou au soulèvement ». La Cour considère ainsi que la condamnation pénale de l'auteur et la saisie sont des mesures qui n'étaient pas « nécessaires dans une société démocratique » et condamne la Turquie pour violation de la liberté d'expression (article 10) de Yasar Kemal et de la société CSY.