Publications

Haut

POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
 -
Liste
NO: 234

14/3/2002

  1. BILAN DU MOIS DE FÉVRIER DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME
  2. “ NOUS VOULONS UN CHANGEMENT DÉMOCRATIQUE EN IRAK, NOUS NE VOULONS PAS QU’UN DICTATEUR SOIT REMPLACÉ PAR UN AUTRE ” DÉCLARE JALAL TALABANI EN VISITE À DAMAS
  3. UNE PARTIE DE LA HAUTE HIÉRARCHIE MILITAIRE TURQUE HOSTILE À L’ADHÉSION À L’UNION EUROPÉENNE, CHERCHE D’AUTRES ALTERNATIVES : L’IRAN, LA RUSSIE ?
  4. LE PARLEMENT TURC RECONDUIT L’ÉTAT D’URGENCE DANS QUATRE PROVINCES KURDES
  5. QUATRE GÉNÉRAUX TURCS DÉMARRENT UNE CAMPAGNE POUR UN DES LEURS CONDAMNÉ DANS L’AFFAIRE DE SUSURLUK
  6. 600 NOMS KURDES INCRIMINÉS PAR LE COMMANDEMENT DE LA GENDARMERIE DE DIYARBAKIR
  7. L’ETAT-MAJOR TURC OPTERAIT POUR 20 MINUTES DE KURDES SUR UNE CHAINE LOCALE ET “ TV SOLDAT ” POUR L’ARMÉE TURQUE
  8. 48 ÈME VICTIME DE LA GRÈVE DE LA FAIM LANCÉE DANS LES PRISONS TURQUES


BILAN DU MOIS DE FÉVRIER DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME


L’association turque des droits de l’homme (IHD) a, le 11 mars, rendu public à Diyarbakir le bilan des violations des droits de l’homme pour le mois de février 2002. “

Des interdictions inappliquées dans la pratique ont été mises à l’ordre du jour par des circulaires secrètes. Particulièrement dans l’expression de la langue, on note un recul de 15 ans ” a déclaré Me Osman Baydemir, responsable de la section de Diyarbakir. Voici l’extrait du bilan publié :

  • Nombre de placements en détention : 111
  • Nombre de personnes victimes de tortures, de mauvais traitements et de menaces : 12
  • Nombre de disparitions : 1
  • Nombre d’arrestations : 23
  • Nombre de télévisions et radios interdites : 2
  • Nombre de publications interdites dans la région sous état d’exception (OHAL) : 29
  • Nombre de personnes victimes des mines : 3 morts et 15 blessés.


“ NOUS VOULONS UN CHANGEMENT DÉMOCRATIQUE EN IRAK, NOUS NE VOULONS PAS QU’UN DICTATEUR SOIT REMPLACÉ PAR UN AUTRE ” DÉCLARE JALAL TALABANI EN VISITE À DAMAS


La visite en Turquie de J. Talabani a donné lieu à des polémiques dans la presse turque et suscité des critiques dans certains pays arabes dont la Syrie. Pour tenter de les dissiper le leader kurde irakien a rendu visite à Damas. Ainsi, le président syrien Bachar al-Assad a, le 14 mars, évoqué avec Jalal Talabani les menaces américaines contre l'Irak.

“ MM. Assad et Talabani ont examiné les affaires liées à l'Irak et particulièrement les menaces américaines contre Bagdad ”, a précisé l’agence de presse SANA. M. Talabani, qui dirige l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), avait rencontré la veille le vice-président syrien Abdel Halim Khaddam et le secrétaire général adjoint du parti Baas au pouvoir en Syrie, Abdallah al-Ahmar, selon son entourage. Un responsable de l'UPK à Damas a affirmé que son organisation n'était pas favorable à des frappes contre l'Irak, qu'il a assimilées à un “ complot étranger pour renverser le régime ” du président Saddam Hussein. L'Union Patriotique du Kurdistan (UPK) avait, 12 mars, démenti une information de la presse arabe sur une mission de reconnaissance effectuée récemment par l'armée américaine dans le nord de l'Irak. “

C'est un pur mensonge ”, a affirmé un responsable de l'UPK, interrogé à Damas sur l'information publiée le même jour par le quotidien arabe Al-Hayat.

“ Nous voulons un changement démocratique en Irak, nous ne voulons pas qu'un dictateur (Saddam) soit remplacé par un autre ”, a-t-il ajouté. Citant des sources de l'opposition irakienne, Al-Hayat avait rapporté que plus de 40 officiers et experts américains avaient récemment séjourné pendant une dizaine de jours dans le Kurdistan irakien, y inspectant des positions militaires dont deux aéroports, dans le cadre des “ préparatifs aux opérations militaires en Irak ”.

Depuis l’instigation du président Bachar el-Assad, la Syrie a opté pour la normalisation avec Bagdad et l’annonce d’une nouvelle intervention américaine en Irak préoccupe Damas. Les partis d’opposition à Saddam Hussein n’ont plus le vent en poupe en Syrie.

UNE PARTIE DE LA HAUTE HIÉRARCHIE MILITAIRE TURQUE HOSTILE À L’ADHÉSION À L’UNION EUROPÉENNE, CHERCHE D’AUTRES ALTERNATIVES : L’IRAN, LA RUSSIE ?


La bipolarisation entre les eurosceptiques et les pro-européens bat son plein en Turquie depuis que le secrétaire général du tout puissant Conseil de sécurité nationale (MGK), le général Tuncer Kilinç, a, le 7 mars, déclaré que “ la Turquie ne voit pas le soutien de l’Union européenne s’agissant des questions d’intérêts nationaux. La Russie est également dans une certaine solitude. En connaissance de cause et sans négliger les Etats-Unis, je pense que l’on se doit de se lancer dans une nouvelle recherche comprenant l’Iran ”. Intervenant dans le cadre d’un symposium organisé par le commandement de l’académie de la guerre, le général Kilinç a indiqué que ceci reflétait son “ opinion personnelle ”.

Mais les observateurs notent que ses propos seront pris en considération comme indicatif d’une certaine école de pensée au sein de l’armée mettant en lumière les inquiétudes de l’aile conservatrice qui pense que les réformes d’harmonisation entreprises pour l’adhésion à l’Union européenne pourraient endommager l’unité et l’intégrité territoriale de la Turquie ou plus prosaïquement réduire la mainmise de la hiérarchie militaire sur la vie politique du pays.

Les remarques du général sont apparues comme une réponse directe à Mesut Yilmaz, vice-Premier ministre chargé des affaires européennes au sein du gouvernement de coalition, qui avait appelé, dans une interview accordée au magazine Tempo du 6 mars, au référendum pour déterminer si oui ou non la Turquie devait adhérer à l’UE, en espérant qu’un “ oui ” massif aura pour résultat de faire pression sur les eurosceptiques conservateurs. Mesut Yilmaz avait également accusé son partenaire de la coalition, Devlet Bahçeli, leader du parti de l’action nationaliste (MHP-ultra nationaliste), de “ se cacher derrière l’armée ” dans son opposition aux réformes nécessaires pour l’UE. Devlet Bahçeli avait alors rétorqué que Mesut Yilmaz jouait “ un jeu dangereux ”. Le chef d’état-major turc, le général Huseyin Kivrikoglu, a, quant à lui, déclaré, dans une interview accordée à la Revue de la défense et de l’aviation, que “ l’Union européenne est une obligation géopolitique ”, tout en accusant les pays européens de soutenir “ des actes terroristes contre la Turquie ”.

Ce débat s’envenime alors que l’échéance pour les conditions à court terme de l’UE relatives à la Turquie prendra fin mi-mars. “ Il y a donc trois possibilités. Soit il y a un changement de sensibilité dans l’armée et ils s’opposent à l’UE. Soit encore, ils ont toujours été contre car, cela heurterait leur importante influence dans la gestion du pays- Général Kilinç l’exprime ouvertement. La troisième possibilité est qu’il y a une division dans l’armée entre les eurosceptiques et les pro-européens… ” écrit, le 9 mars, Ilnur Çevik, le directeur du quotidien anglophone Turkish Daily News.

Cuneyt Ulsever, dans ses colonnes du 12 mars du même quotidien, écrit simplement que “ grâce au général Kilinç, le lobby anti-UE est beaucoup plus clair maintenant ! ” et ajoute : “ Je suis très heureux que le général éclaircisse une question. Nous sentons tous qu’il y a des éléments anti-UE au sein du gouvernement, de l’armée et de la bureaucratie civile, mais ils avaient jusqu’alors honte d’exprimer leur “ opinion anti ”… En fait, l’armée et les bureaucrates perdraient leurs positions privilégiées dans le pays si la Turquie se conformait complètement aux critères de Copenhague. Dans un pays où au moins 60 % de l’économie est contrôlée par l’appareil de l’Etat, la bureaucratie civile et militaire jouit de privilèges considérables…L’armée jouit d’un autre privilège qui pourrait être qualifié de “ surveillance des affaires politiques ” “ C’est une comédie… J’ai juste une question à poser à nos Ataturkistes qui, trouvant les conditions trop lourdes, s’opposent à l’adhésion à l’UE : Pensez-vous que l’Iran nous accepterait ?…L’Iran ne voudra jamais de vous sans que vous n’adoptiez les lois de la charia sur les peines, le commerce, la succession, la propriété. En somme, même les mollahs d’Iran ont des conditions…Pourquoi n’avez-vous pas le courage de dire que vous ne voulez pas adhérer à l’UE ? ” interpelle, le 12 mars, Bekir Coskun, dans le quotidien Hurriyet. Le même quotidien Hurriyet établit, le 11 mars, en sa Une, un étrange bilan: “ La proposition ” l’Iran et la Russie contre l’UE ” du secrétaire général du MGK, le général Tuncer Kilinç, a été sujet de 91 éditoriaux de la presse: dans 46 d’entre eux, il a été critiqué et les 26 autres l’ont soutenu ”.

LE PARLEMENT TURC RECONDUIT L’ÉTAT D’URGENCE DANS QUATRE PROVINCES KURDES


Le Parlement turc a, le 13 mars, reconduit à partir du 30 mars l'état d'urgence en vigueur depuis 15 ans dans quatre provinces kurdes. Les provinces concernées sont Tunceli, Diyarbakir, Hakkari et Sirnak. Le Parlement se prononce tous les quatre mois sur le maintien de l'état d'urgence. Sa levée fait partie des mesures politiques réclamées à “ moyen terme ” à la Turquie par l'Union européenne pour ouvrir des négociations d'adhésion. Le gouvernement turc s'est engagé à le lever, mais sans donner de date, dans son “ programme national ”, vaste catalogue de mesures devant mettre la Turquie en conformité avec les normes européennes en matière politique et économique, adopté l'an dernier. Lors des débats à l'Assemblée, le ministre de l'Intérieur Rustu Kazim Yucelen a indiqué que la “ menace ” du PKK existait toujours dans la région.

“ L'organisation a quelques 500 terroristes armés dans le territoire turc ”, a-t-il notamment dit. Le PKK a mis fin officiellement en septembre 1999 à sa rébellion armée, lancée en 1984. Depuis, les combats ont quasiment cessé dans la région. Mais l'armée turque s'est déclarée déterminée à pourchasser jusqu'au bout les rebelles à moins qu'ils ne se rendent et poursuit des opérations dans le Kurdistan irakien, sous administration kurde, où la plupart des combattants du PKK se sont repliés.

QUATRE GÉNÉRAUX TURCS DÉMARRENT UNE CAMPAGNE POUR UN DES LEURS CONDAMNÉ DANS L’AFFAIRE DE SUSURLUK


La déclaration commune de soutien de quatre hauts généraux en retraite, publiée le 10 mars et proclamant que Korkut Eken, lieutenant-colonel de l’armée turque en service au sein des renseignements généraux turcs (MIT) et condamné à six ans de prison pour son implication dans l’affaire de Susurluk, a secoué la scène politico-médiatique turque. Dogan Gures, ancien chef d’état-major turc, Necati Özgen et Hasan Kundakçi, anciens commandant-généraux de la gendarmerie dans les régions kurdes et Cumhur Evcil, général en retraite, ont déclaré que Korkut Eken qui a été incarcéré le 1er mars dernier était “ un chef militaire digne de toutes sortes d’éloges. C’est un héros ” et que “ ses activités entre 1993 et 1996 étaient menées sous [notre] strict contrôle ”. Korkut Eken, qualifié de “ discipliné ”, “ sacrifiant sa vie pour la patrie ”, “ héros militaire ”, par les généraux a tout de même été condamné pour “ organisation d’une bande armée commettant des crimes ” par la Cour de sûreté de l’Etat statuant qu ’ “ une bande existe et qu’elle ne doit pas rester impunie ”.

La Cour de cassation turque en approuvant le jugement a dénoncé dans ses attendus “ les relations avec l’Etat profond ” et le procureur près de la Cour de cassation, déclarait dans son plaidoyer : “ il est difficile de trouver les relations cachées derrière la bande et celle-ci est d’une importance telle qu’elle comprend des fonctionnaires et des autorités diverses et sensibles ”. “ J’interroge les généraux retraités : Les relations [de K. Eken] avec Tarik Umit, trafiquant de drogue et espion du MIT, se déroulaient-elles sous votre contrôle ?… Pourquoi avez-vous sentit le besoin d’une telle relation ?…Etes-vous également responsable des relations de Korkut Eken avec les trafiquants de drogue, les barons des casinos, et les protecteurs et les blanchisseurs d’argent sale de ces derniers ? Pourquoi ce besoin ?…Combien avez-vous payé pour les armes qui se trouvent dans leurs mains ?… Où sont aujourd’hui ces armes ? Peut-on cacher des armes à l’Etat ? Où sont les armes qui ont été confiées à Korkut Eken ?…Quelle sorte d’héroïsme pouvez-vous voir dans l’évasion de Haluk Kirci, détenu par la police et responsable de la mort de sept jeunes ?…A-t-il rencontré la bande d’Abdullah Çatli (chef mafieux, membre des Loups gris turcs, décédé au cours de l’accident de Susurluk en 1996) sur votre information ?…Connaissez-vous une autre autorité que celle de la justice pour vous manifester aujourd’hui et non au moment de son jugement ? ” écrit le 14 mars Tuncay Ozkan dans le quotidien Milliyet. Bekir Gündogan, député de Tunceli a déclaré en réaction : “ Si [K. Eken] est toujours resté sous contrôle, cela veut dire qu’ils sont également au courant des responsables de nombreux meurtres classés “ non élucidés ”. Ils [les généraux] et Tansu Çiller devront également être jugés ”.

Le président du barreau d’Izmir, Noyan Ozkan, a porté une plainte contre les généraux sur le fondement de l’article 312/1 du code pénal turc réprimant le fait d’ “ exalter une activité considérée comme une infraction par la loi ”. Ainsi, sachant qu’une quelconque grâce présidentielle est quasi-impossible à obtenir actuellement, les généraux essayent de sensibiliser le Parlement turc beaucoup plus enclin à oser inscrire à l’ordre du jour une telle proposition pour libérer Korkut Eken. Le premier visiteur de Korkut Eken, à la prison d’Ulucanlar, n’a été qu’Orhan Biçakcioglu, député MHP de Trabzon, le 10 mars, qui a déclaré : “ La prison d’Ulucanlar est dans une situation de délabrement telle que même les étables du ministère de l’agriculture sont mieux loties. Mais il va bien, il se trouve dans le couloir réservé aux fonctionnaires ”. Les députés du Parlement turc ne rendent néanmoins jamais visite à leurs anciens collègues Leyla Zana et ses confrères qui ses trouvent incarcérés dans des conditions extrêmes dans la même prison depuis déjà huit ans.

600 NOMS KURDES INCRIMINÉS PAR LE COMMANDEMENT DE LA GENDARMERIE DE DIYARBAKIR


Une nouvelle campagne vient de débuter dans les régions kurdes en Turquie. Le commandement de la gendarmerie de Diyarbakir a, le 11 mars, saisi le parquet pour l’interdiction de 600 noms kurdes. “ En tant qu’Etat, nous étions contre ce genre de procédé, il y a 15 ans. À l’époque de Todor Jivkov, les noms des Turcs qui vivaient en Bulgarie devaient être bulgarisés par obligation. Nous avions alors mené une grande campagne des droits de l’homme. Aziz Nesin avait également pris part à la campagne avec un livre intitulé “ les Turcs de Bulgarie, les Kurdes de la Turquie ”. L’auteur a été jugé par la Cour de sûreté de l’Etat mais a été relaxé. 15 ans sont passés depuis et en Bulgarie les Turcs sont représentés au gouvernement alors que nous continuons à piétiner sur place ” écrit Melih Asik dans le quotidien Milliyet du 12 mars.

L’ETAT-MAJOR TURC OPTERAIT POUR 20 MINUTES DE KURDES SUR UNE CHAINE LOCALE ET “ TV SOLDAT ” POUR L’ARMÉE TURQUE


Selon la presse turque, les membres du Conseil national de sécurité (MGK) sont tombés au cours de leur dernière réunion le 28 février sur un accord concernant la diffusion d’émissions en kurde sur la chaîne publique turque (TRT). L’état-major turc a, à cet effet, demandé que le président de la chaîne TRT, soit présent au cours de la prochaine réunion du conseil prévu le 29 mars. Le gouvernement turc déclare qu’à l’instar de la France pour le corse, les autorités turques seraient prêtes à diffuser entre 20 minutes et une heure en kurde sur la chaîne publique locale GAP-TV, appartenant à TRT. L’état-major turc compte par la même occasion demander un canal pour l’armée elle-même, intitulé “ Asker TV ” [TV soldat]. Certains se demandent les raisons de la création de cette dernière chaîne alors même que les lois turques obligent la presse à diffuser toutes les déclarations de l’armée.

48 ÈME VICTIME DE LA GRÈVE DE LA FAIM LANCÉE DANS LES PRISONS TURQUES


La grève de la faim lancée dans les prisons turques continue à faire des victimes sans que le ministre turc de la Justice soit ébranlé. 48 personnes, des prisonniers ou des membres de leur famille, protestant contre les prisons de type-F sont aujourd’hui décédées des suites de la grève. Yusuf Kutlu, le 9 mars et Yeter Guzel, le 10 mars, sont les dernières victimes de cette grève lancée, il y a plus d’un an en Turquie. Selon la fondation turque des droits de l’homme 86 prisonniers continuent à observer la grève de la faim dans 13 prisons différentes alors que 235 autres ont été libérées pour suivre un traitement médical approprié.