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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 199

13/4/2001

  1. UN HÔPITAL D’ANKARA REFUSE DE SOIGNER UNE PATIENTE KURDE PARCE QU’ELLE NE PARLE PAS LE TURC
  2. NEUF COMBATTANTS DU PKK ET 5 SOLDATS TUÉS À BINGÖL
  3. 180ÈME JOUR DE LA GRÈVE DE LA FAIM DANS LES PRISONS TURQUES : QUATORZE MORTS ET UNE CENTAINE DE DÉTENUS DANS UN ETAT CRITIQUE
  4. LU DANS LA PRESSE TURQUE : " LA MORT SPECTACLE … "


UN HÔPITAL D’ANKARA REFUSE DE SOIGNER UNE PATIENTE KURDE PARCE QU’ELLE NE PARLE PAS LE TURC


Selon le quotidien turc Hurriyet du 15 avril, Mekiye Polat, une jeune femme kurde souffrant d’une déficience de l’ouïe, a été refusée aux soins à l’hôpital public d’Ankara pour la seule et unique raison qu’elle ne parle pas le turc. La patiente ne savait parler que le kurde et le médecin a refusé toute consultation même si l’époux servait d’interprète. Interrogé sur la question, Dr. Ilker Töral, a déclaré : " Pour déterminer la déficience de l’ouïe d’un patient, le malade est soumis à un teste contenant une centaine de mots en turc. Si le teste est effectué par l’intermédiaire d’un interprète, sa crédibilité est faible. On peut passer par le biais d’un interprète pour les enfants mais pour les adultes c’est très rare. Il est souhaitable que le médecin et le patient parlent la même langue ".

Interpellé par la presse, Yasar Okuyan, ministre turc du travail et des affaires sociales, a déclaré dans un communiqué, qu’une instruction était ouverte à l’encontre du Dr. Ilker Töral à ce sujet. Il n’y a donc aucune mise en question du moyen de soin pratiqué, et le refus de soin ou un soin incomplet pèse toujours sur les non-turcophones dans les hôpitaux publics turcs. Certains n’ont pas manqué de rappeler qu’il y a quelques mois, les média et les autorités turcs n’avaient pas hésité à crier scandale lorsqu’un médecin allemand avait refusé de soigner une Turque domiciliée en Allemagne arguant que la patiente ne savait pas parler l’allemand.

NEUF COMBATTANTS DU PKK ET 5 SOLDATS TUÉS À BINGÖL


Neuf combattants du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) et cinq soldats turcs ont, le 14 avril, été tués dans la province de Bingöl au cours d'une opération des forces turques. Les soldats turcs sont morts en sautant sur des mines.

Le PKK a annoncé en septembre 1999 la fin de ses actions de guérilla, après 15 ans d'une lutte armée qui a fait quelque 36.500 morts. Mais cette trêve a été ignorée par l'armée turque qui la décrit comme "une tactique terroriste".

180ÈME JOUR DE LA GRÈVE DE LA FAIM DANS LES PRISONS TURQUES : QUATORZE MORTS ET UNE CENTAINE DE DÉTENUS DANS UN ETAT CRITIQUE


Ender Canyildiz, 41 ans, est décédé le 18 avril à Ankara au terme d’une grève de la faim intermittente de 180 jours, malgré les efforts des médecins pour tenter de le ranimer. La grève de la faim des prisonniers turcs et leurs proches se poursuit dans le silence assourdissant des autorités turques et de l'Union européenne.

Déjà, la Turquie a battu son propre record de victimes dans ce type de mouvement : en 1996, 12 détenus étaient décédés d'une grève de la faim pour dénoncer leurs conditions de détention, dépassant à l'époque les 10 Irlandais du nord morts dans un mouvement comparable en 1981.

Les organisations de défense des droits de l'Homme turques et étrangères pressent le gouvernement turc d'ouvrir un dialogue et en appellent à l'Europe. Mais près d'un mois après le premier décès, le 21 mars, le bras de fer mortel continue.

Des représentants des ministères de la Justice, de la Santé et de l'Intérieur se sont réunis, le 16 avril, à Ankara pour évoquer la question, sans résultat concret. La presse turque s'intéresse peu à l'affaire, obnubilée par la grave crise économique que traverse le pays.

Cette crise ôte toute chance de soutien populaire aux grévistes, généralement membres d'organisations d'extrême gauche, les Turcs pensant davantage à lutter pour survivre qu'à se préoccuper de la survie de détenus dont la plupart ont été condamnés pour " terrorisme ".

Le quotidien libéral Radikal titrait toutefois en Une le 17 avril : "Arrêtez ce cauchemar! 13 morts de la grève de la faim". Et le ministre du Tourisme Erkan Mumcu a fait part à ses collègues, lors de la réunion du cabinet, de son souci que la grève n'affecte les revenus du tourisme, sur lesquels la Turquie compte pour contrebalancer les effets de la crise, marquée par une forte dévaluation de la livre turque face au dollar.

Des Turcs manifestent à l'étranger pour dénoncer la mort lente des grévistes, notamment en France et en Suisse. Le 17 avril, une vingtaine de Turcs ont occupé à Düsseldorf la chambre de commerce de la Suède, qui exerce la présidence tournante de l'UE. À Genève, une quarantaine de Kurdes et de Turcs d'extrême-gauche ont fait irruption dans le bâtiment où se tient la commission des droits de l'homme de l'ONU. Quant à l'Union européenne, qui fait de l'amélioration des conditions de détention une condition à l'ouverture de négociation d'adhésion avec la Turquie, depuis un appel à négocier lancé le jour du décès du premier détenu par la présidence suédoise, elle reste silencieuse.

Au 10-ème mort, le 13 avril, la France a souhaité qu'une solution soit "rapidement apportée". "Finalement, nous étions plus critiques envers le bilan de la Turquie en matière des droits de l'Homme avant d'accepter sa candidature en décembre 1999 que depuis", reconnaît, sous couvert de l'anonymat, un diplomate européen. La Turquie s'est pourtant engagée à améliorer les conditions de détention dans les prisons dans son "programme national", qui définit ses priorités pour une adhésion. Elle fait ainsi valoir que le système de prisons à cellules qu'elle met en place progressivement pour remplacer celui de grands dortoirs, cause de la grève de la faim, est conforme aux normes européennes. Les détenus, leurs familles et les défenseurs des droits de l'Homme y voient, eux, un isolement favorisant les mauvais traitements et une désocialisation, et réclament des aménagements, en particulier sur le temps passé par les détenus hors de leurs cellules. C'est la seule base de discussion possible avec les autorités, qui excluent un retour en arrière et un abandon des prisons à cellules.

LU DANS LA PRESSE TURQUE : " LA MORT SPECTACLE … "


Bekir Coskun, éditorialiste au quotidien turc Hurriyet, dénonce dans ses colonnes du 20 avril, l’immobilisme et le mutisme des autorités turques face à la grève de la faim lancée dans les prisons turques. Voici de larges extraits de cet article :

" Vous observez très probablement leur projet de " retour à la vie " (…) Ces derniers jours et à l’heure où j’écris cet article, le nombre de personnes succombant à la grève de la faim (…) est de 14. En six mois, le nombre de morts —tués- est de 45.

À tout moment, il y a l’annonce d’un nouveau mort. On ne peut pas rester insensible et nous serions pris de panique même s’il s’agissait des oiseaux du jardin qui se mettaient à tomber un par un comme cela. Mais eux, ils s’en moquent. Ce n’est pas seulement leur corps… Leurs sentiments sont aveugles, leurs émotions sont sourdes, leurs consciences sont muettes.

Aviez-vous déjà entendu parler d’un tel projet de " retour à la vie " ? Toutes les personnes dont ils voulaient sauver la vie meurent.

Vous le savez : Tous ceux qui étaient enfermés pour vol, malchance ou meurtre, classés " victimes du destin " ont été libérés. Par contre " les victimes du système " c’est-à-dire les prisonniers politiques sont restés en prison.

Nul ne sait ce qui se passe dans les nouvelles prisons de type F. Seulement tous les jours, il y a un nouveau mort. L’annonce froide de la mort.

Les détenus étant placés dans de cellules différentes, il n’est plus juste d’affirmer qu’ " ils sont conduits à la mort par l’organisation ".

Alors pourquoi ?

Quelle force, quelle impasse, quelle pression pousse ces jeunes gens à accepter la mort à la fleur de leur âge ? Ridvan Budak, parlementaire du parti au pouvoir, seul à afficher une réaction, déclare que " l’on est resté spectateur ". Que se passe-t-il donc ?

La libération des assassins et voleurs, provoquant l’agression des centaines de personnes, ne suffit pas comme sottise et voilà qu’aujourd’hui ils sont assez bêtes pour ne pas savoir protéger les détenus qui sont sous leur coupe…

Les détenus ont également des droits.

Dans un pays où le droit s’effondre, la justice disparaît, où des tragédies juridiques se jouent à l’extérieur même, un pays où des hommes en pleine santé, confrontés à la Justice, perdent la tête, l’on ne peut pas savoir ce qui peut se tramer à l’intérieur des prisons.

Mais la clairvoyance de ceux qui ont mis en avant le " projet de retour à la vie " et qui ont provoqué la mort de tous ceux qu’ils ont voulu sauver, est évident.

Tous ceux qui ont un peu de conscience (…) veulent la fin de ces meurtres, et c’est tout (…). ".