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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 19

5/1/1996

  1. RÉSULTATS DES ÉLECTIONS LÉLGISLATIVES TURQUES
  2. MANIPULATION DES URNES ET FRAUDE MASSIVE AU KURDISTAN
  3. VERS QUELLE COALITION ?
  4. LE SOCIOLOGUE TURC ISMAIL BESIKÇI CONDAMNÉ À UNE PEINE DE 5 ANS DE PRISON ET À UNE AMENDE DE 533 MILLIONS DE LIVRES TURQUES ($ 10 000) PAR LA COUR DE SÛRETÉ DE L'ETAT N° 1 D'ANKARA LE 27 DÉCEMBRE 1995


RÉSULTATS DES ÉLECTIONS LÉLGISLATIVES TURQUES


Le Haut Conseil électoral turc devait annoncer le 5 janvier les résultats définitifs des élections législatives anticipées qui ont eu lieu en Turquie le 24 décembre. Hormis de mineures rectifications éventuelles, les résultats de ce scrutin s'établissent comme suit :



Inscrits 34. 215. 428
Abstentions 5. 156. 094
Bulletins nuls 9 88. 265
Suffrages exprimés 28. 071. 069






REFAH (Parti de la Prospérité), islamiste, de N. Erbakan 5. 985. 322 voix 21,32% 158 députés
ANAP (Parti de la Mère Patrie), droite, de M.Yilmaz 5. 517. 836 voix 19,66% 133 députés.
DYP (Parti de la Juste Voie), droite, de T. Çiller 5. 388. 980 voix 19,20% 135 députés.
DSP (Parti de la gauche démocratique), nationaliste, de B.Ecevite 4. 113. 493 voix 14,65% 75 députés.
CHP (Parti républicain du peuple), centre gauche, de D.Baykal 3. 006. 444 voix 10,71% 49 députés
MHP (Parti de l'Action nationaliste), extrême droite, du colonel A. Turkes 2. 296. 250 voix 8,16% pas de député.
HADEP (Parti de la démocratie du peuple), gauche pro-kurde, de M. Bozlak 1. 170. 699 voix 4,17% pas de député.
YDP (Mouvement de la démocratie nouvelle), de Cem Boyner 135. 250 voix 0,5% pas de député.


Le premier enseignement de ce scrutin est le nombre particulièrement élevé d'abstentions (5. 156. 094) pour un pays où le vote est obligatoire sous peine d'amende et de fichage par la police politique. Plus de 5 millions de citoyens ont estimé soit que le choix qui leur était offert était peu varié, soit, plus vraisemblablement, qu'ils ne croient pas que les élections vont changer quoi que ce soit dans un pays où l'essentiel des pouvoirs est détenu par ce qu'on appelle pudiquement les «forces occultes», c'est-à-dire l'armée et la police politique. Soulignant ce puissant mouvement d'opinion l'éditorialiste Yavuz Gökmen écrivait dans le Hürriyet du 23 décembre: «Parfois, en regardant ceux qui se croient les leaders du peuple parcourir le pays d'un bout à l'autre, tenir des meeting, s'épuiser dans la neige et le froid en criant à tue-tête des discours convenus, je suis pris de pitié. Ils dépensent des fortunes et tant d'énergie dans l'espoir obtenir assez de voix pour participer à une coalition gouvernementale. Pourtant ils savent très bien qu'en Turquie ce n'est pas le gouvernement élu qui gouverne mais l'État. Un État contrôlé par des forces occultes qui pour son salut et celui du «système idéologique officiel» octroiera de petites parts du gâteau à ces gouvernements factices. Le principal souci de nos partis de gouvernement reste donc l'enrichissement rapide de leurs cadres grâce à ce «passage au pouvoir». Cela a toujours été comme ça en Turquie et c'est sans doute pour l'une des dernières fois que la population acceptera de se prêter à une telle farce».

A ces sceptiques s'ajoutent les 988265 citoyens qui ont manifesté leur protestation plus discrètement par des bulletins nuls. Parmi ces 6 millions de déçus du système, on compte beaucoup de démocrates qui espéraient une démocratisation progressive de la Turquie grâce aux pressions du Parlement européen et qui depuis le vote du 13 décembre, ratifiant l'union douanière, ont perdu leur illusion sur l'Europe et sa volonté de défendre les droits de l'homme . Par ailleurs, le barrage de 10% de voix exprimées pour être représenté au Parlement a empêché les petit partis» et les 4 500. 000 voix portées sur leurs listes d'avoir des élus. Au total donc 10.203.353 électeurs inscrits n'auront pas de représentants au Parlement d'Ankara.

En considérant ces chiffres et le bon score du Refah islamiste le directeur du Hürriyet, premier quotidien turc, constate amèrement dans son éditorial du 29 décembre qu'en fait la grande majorité de la population s'est prononcée contre l'idéologie d'Atatürk et ses institutions et que dans ce contexte les cris de victoire de Mme. Çiller et de son rival Mesut Yilmaz étaient d'autant plus dérisoires que depuis les élections de 1991 «la droite classique (ANAP + DYP) est passé de 66,8 % des sièges au 48% des sièges !



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MANIPULATION DES URNES ET FRAUDE MASSIVE AU KURDISTAN


Autre fait majeur de ces élections : la fraude massive dans les provinces kurdes soumises, en raison de l'état de siège, à l'arbitraire total de l'armée. Celle-ci a arrêté une quarantaine de scrutateurs «suspects» du HADEP, procédé à sa guise au transport des urnes des villages et bourgs vers les centres urbains à leur manipulations. Ironisant sur le zèle de bourrage d'urnes des forces de sécurité, le journaliste Fatih Altayli cite dans le Hürriyet du 30 décembre plusieurs exemples éloquents dont celui du village de Cemal Verseke, candidat de HADEP de la province de Mardin. Dans le dépouillement de l'urne supposée venir de ce village aucune voix HADEP n'a pu être comptée. Le candidat n'aurait donc obtenu ni son suffrage ni celui de son épouse, ni ceux de sa nombreuse parentèle habitant le village. Si la présence d'observateurs a empêché un trucage substantiel dans les villes, dans les zones rurales la fraude a été organisée par l'armée principalement au profit du DYP de Mme. Ciller et de MHP du colonel Turkes mais aussi au bénéfice du CHP de M. Baykal repêché ainsi de justesse de la barre fatidique de 10% pour "les intérêts supérieurs de l'État" car le régime turc a besoin de ce parti pour le besoin de sa diplomatie auprès des sociaux-démocrates européens. Grâce à ce tour de passe-passe, le DYP de Mme. Çiller qui, lors de la campagne électorale, n'a pu réunir un millier de personnes dans aucune ville kurde s'est retrouvée avec 587. 935 voix et 26 députés dans les 23 provinces kurdes tandis que son partenaire gouvernemental se voyait gratifé des 260. 305 voix et 7 sièges de députés. Même le très légitimiste B. Ecevit a dû exprimer publiquement "sa vive préocupation sur la sécurité et le dépouillement des urnes dans le Sud-Est".

Dans le reste de la Turquie, hormis la non inscription sur les listes électorales des centaines de milliers de Kurdes déplacés, les élections semblent s'être déroulées régulièrement.

Dans ce contexte, le parti islamiste Refah avec 21,32 des voix améliore de 2 points son score des élections municipales de 1994. Par rapport aux législatives de 1991, il gagne plus de 9 points et triple le nombre de ses sièges au Parlement. Sans la présence du HADEP pro-kurde, autorisé in extremis à participer au scrutin afin de capter une partie de l'électorat kurde, le Refah aurait pu creuser encore l'écart et s'approcher de la barre des 25 %. Il réalise ses meilleurs scores en Anatolie centrale turque (32, 34%) et dans les provinces kurdes (27,77%) où il est souvent le deuxième parti, derrière HADEP, parfois même il dépasse celui-ci. Le discours de son leader Erbakan sur "la nécessité d'arrêter la guerre entre musulmans, d'abolir les frontières entre pays musulmans (allusion à l'Iran, à l'Irak et à la Syrie où vivent d'importantes communautés kurdes séparées par des frontières entourées de champs de mines de leurs frères de Turquie) et d'autoriser des écoles et des télévisions en kurde" a su séduire une partie de l'électorat kurde attachée à son identité et rétive au discours de gauche du HADEP. Au total, le Refah a engrangé 49 sièges au Kurdistan.

L'ANAP de Mesut Yilmaz, avec ses 19,60%, dépasse certes légèrement son rival de droite, le DYP du Mme. Çiller. Mais la marge est peu significative (0,46%) et surtout il obtient deux sièges en moins que la formation du Premier ministre. Ce parti qui sous la direction de M. Özal avait, en 1987, obtenu 36,3% et en 1991 se situait encore à 24% des suffrages continue son lent déclin. Il ne dépasse le DYP d'une manière significative que dans les grandes villes (22,07% contre 18,55%) et sur le littoral de la Mer Noire (27,73% contre 17,52%) dont M. Yilmaz est originaire. Dans les 23 provinces à majorité kurde du pays, en raison des trucages et manipulations des urnes par l'armée, l'ANAP qui avait, à quelques jours du scrutin, promis «un règlement rapide du problème kurde» a pratiquement obtenu le même score (16,01%) que son rival DYP (16,21%) mais moins de sièges (23 contre 26).

Le DYP de Mme. Çiller, avec ses 19,2% perd 8 points par rapport aux élections législatives de 1991 où il avait obtenu 27% des voix et il recule de deux point par rapport aux municipales de 1994 (21,4%). Le soutien ostentatoire accordé à Mme. Çiller par les principaux gouvernements occidentaux à quelques jours du scrutin, le vote de l'Union douanière, «cadeau» de 300.000 à 400.000 voix truquées dans les provinces kurdes ont permis au Premier ministre turc d'éviter l'effondrement prédit de sa formation. L'impact cumulé de ces divers facteurs est estimé à 4 ou 5 % points par les analystes qui expliquent les scores élevés du DYP sur la côte égéenne (55,05%) et sur le littoral méditerranéen (21,81%) où se concertent les industries textiles et touristiques par l'«effet Europe». En outre la présence sur la liste Çiller des principaux chefs de police et du général Güres, ancien chef d'état-major des armées, a incité une partie importante de l'électorat de l'extrême droite à voter «utile», en préférant le DYP au MHP du colonel Türkes qui avait, à la veille des élections, décidé de se retirer unilatéralement de son alliance avec Mme. Çiller dans l'espoir d'obtenir plus de sièges en se pressentant seul. Mme. Çiller a pu ainsi sauver les meubles et faire élire 135 députés qui lui doivent tout. Avec le général Güres, élu député, elle a aussi un candidat agréé par l'armée pour le poste du président de la République (en Turquie le président est élu par le Parlement) au cas où Demirel ne se montrerait pas assez coopératif.

Au centre gauche, le DSP de Bülent Ecevit avec 14,7% des voix et 75 sièges dépasse largement son rival CHP et obtient le meilleur score de son histoire. Le tandem B. Ecevit-Mumtaz Soysal, partisan d'une politique extérieure plus "indépendante" et d'un rapprochement avec Saddam Hussein, farouchement hostile à toute revendication kurde, a su attirer vers le DSP les adeptes purs et durs d'un attatürkisme nationaliste, étatiste, jacobin et laïc aussi. Le DSP réalise ses meilleurs scores dans les grandes villes (18,7%) et sur le littoral de la Mer Noire (17,5%). Dans les provinces kurdes il n'obtient que 5,3% des voix et 4 sièges.

Le CHP de Deniz Baykal, malgré le coup de pouce de l'Union douanière et du soutien des partis sociaux-démocrates européens réalise, avec 10,71% des voix, le plus bas score de ses 70 ans d'histoire. Il ne franchit la barre fatidique des 10% que grâce à l'alliance de dernière minute avec des personnalités alévis et aux 260.000 voix, assorties de 7 sièges que lui sont généreusement attribuées au Kurdistan. Ce Parti qui en 1987 avait obtenu 24,8% des voix, puis en 1989 28,7%, en 1991 20,8% et aux municipales de 1994 18,2% des suffrages est sévèrement sanctionné par les électeurs pour n'avoir tenu aucune de ses promesses de démocratisation et avoir servi de faire valoir de gauche à la coalition gouvernementale civile la plus répressive de l'histoire de la Turquie. La désaffection vis-à-vis du CHP n'a pas entièrement profité à son rival DSP puisque le total des voix de ces deux formations de centre gauche passe de 33,3% en 1987 (31,6% en 1991) à 25,4% en 1995. Beaucoup d'électeurs démocrates et laïcs, kurdes turcs ou alévis de ce parti ont préféré cette fois de s'abstenir. Citons pour l'anecdote l'élection de Hikmet Cetin, ancien ministre des Affaires étrangères et kurde de service de CHP, dans la province kurde de Gaziantep avec 10,45% des voix.

Le MHP du colonel Türkes avec 8,2% des voix confirme sa lente mais constante progression depuis 1989 (4,1%). Son influence forte en Anatolie centrale turque et conservatrice (14,54%) marque le pas dans les grandes villes (6,32%) et marginale sur la côte méditerranéenne (2,1%) et égéenne (4,06%). Grâce à sa forte implantation dans l'administration civile et dans les unités militaires et policières des provinces kurdes ce parti d'extrême droite, très hostile aux Kurdes, s'est vu attribuer 265 224 voix (7,41%) dans le Kurdistan; le barrage de 10% a cependant empêché le MHP d'avoir des élus. Plusieurs cadres de ce parti ont contesté la décision de leur leader de rompre à quelques jours du scrutin législatif son alliance électorale avec Mme. Çiller qui lui aurait permis d'avoir une bonne quarantaine de députés au Parlement. D'autres accusent l'ex-procureur Demiral (qui avait requis la peine de mort contre Leyla Zana et ses amis) d'avoir par sa déclaration en faveur de l'appel à la prière islamique en turc (au lieu de l'arabe) aliénné au parti une partie de son électorat conservateur. Le procureur Demiral qui a envoyé des milliers de démocrates en prison pour délit d'opinion est actuellement en instance d'expulsion pour extrémisme nationaliste de son parti d'extrême droite fasciste !

Dernière formation importante à participer au scrutin, le HADEP (Parti de la Démocratie du Peuple) qui se veut le successeur du Parti de la démocratie (DEP) dissout et qui s'est allié à l'occasion à des partis d'extrême gauche turcs afin de stopper la progression des islamistes dans l'électorat kurde a obtenu des résultats assez spectaculaires dans les provinces kurdes et cela en dépit du trucage massif du vote rural. Il réalise ses meilleurs scores à Diyarbakir (46,47%), Hakkari (54,35%), Batman (37,40%), Siirt (26,68) et Ardahan (21,70%). Interdit d'activités dans la provinces kurdes jusqu'au début novembre ce parti dont nombre des candidats, observateurs et scrutateurs ont été gardés-à-vue, harcelés ou arrêtés par l'armée n'a pu, même pendant la campagnes électorale, se rendre dans les villes interdites de Sirnak, Kulp et Lice. Son meeting final, retransmis par une chaîne de télévision privée turque, rassemblant sur la place centrale de Diyarbakir plus de cent mille personnes là où Mme. Çiller n'avait pu réunir un millier de partisans, a impressionné le public turc qui a réalisé que contrairement à ce que lui affirmaient ses dirigeants le problème kurde était loin d'avoir été réglé. Le président du patronat turc, Halis Komilli a déclaré à la presse qu'il ne servait à rien de se berner d'illusions et que tout le monde devait enfin comprendre que le problème kurde est le problème principal et le plus urgent du pays et qu'il ne peut y avoir ni démocratie ni développement sans le règlement du problème "kurde" (Hürriyet du 22. 12. 1994).

En raison de son manque d'implantation dans le reste de la Turquie, le HADEP avec ses 4,17% de suffrages ne peut être représenté au Parlement. Dans un système proportionnel ou de circonscription à la française, malgré le trucage et les manipulations des urnes, il aurait eu 25 députés au Parlement d'Ankara. Mais en vertu du système turc, dans la province de Diyarbakir où ce parti a obtenu 46,47% des voix il n'a aucun élu tandis que le DYP de Mme. Çiller avec 10,78% des voix a 2 sièges, l'ANAP avec 13,79 % de voix 3 sièges et le REFAH avec 18,04% des suffrages a obtenu 5 sièges! Commentaires des Kurdes à la télévisions turque: "Ce ne sont pas les gens que nous avons élus qui vont nous représenter au Parlement mais des étrangers nommés d'Ankara. Comment avoir confiance dans une telle démocratie ?"

On peut s'interroger sur les raisons pour lesquelles le gouvernement Çiller qui a interdit le DEP a autorisé son successeur HADEP à participer à ce scrutin. Le souhait de limiter la progression du REFAH islamiste dans l'électorat kurde ? Sûrement. Mais il s'avère aussi que c'est un stratagème destiné à permette aux forces de sécurité de mettre à jour leurs fichiers kurdes. D'ores et déjà deux maires ont été arrêtés dans la province de Mardin; des paysans ayant «mal voté» dans les provinces de Batman et de Diyarbakir interrogés et battus par des gendarmes. On l'attend aussi à une série de nouveaux procès pour des discours prononcés à l'occasion de la campagne électorale. Et la région entr'ouverte à la presse va se refermer à nouveau.

VERS QUELLE COALITION ?


A l'issue du scrutin, nombre d'observateurs ont crû pouvoir annoncer la formation d'une «coalition des partis laïcs pour contrer les islamistes!». Cette idée séduisante et rassurante pour le public occidental est loin d'être évidente dans le contexte turc où de rivalités d'intérêts et de conteries tenaces opposent des partis théoriquement assez proches. L'appel à la raison lancé par les milieux d'affaires pour la formation d'une coalition ANAP-DYP avec le soutien du CHP ou du DSP se heurte pour l'instant à l'obstacle majeur du poste de Premier ministre. Mme. Çiller ne veut à aucun prix céder ce poste ni à son rival M. Yilmaz ni à une personnalité tierce celui-ci à son tour rejette catégoriquement toute coalition dirigée par Mme. Çiller. Partenaire pressé de cet impossible ménage à trois, B. Ecevit déclare publiquement que Mme. Çiller est coupable d'avoir dilapidé des dénier publics au profit de sa famille et transféré sa fortune mal acquise aux États-Unis d'une façon digne d'une dictature africaine et d'Imelda marcos!

Dans ce contexte, la solution, la moins mauvaise semble être une coalition DYP-ANAP-CHP si les pression diverses aboutissent à un compromis sur le poste de Premier ministre. Mais une coalition ANAP-REFAH reste également probable car, en Turquie, selon le fameux adage du président Demirel «Hier c'était hier, aujourd'hui c'est aujourd'hui» en clair les principes proclamés s'adaptent aisément aux exigences de la pratique et les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Dans une cour étroitement surveillée par l'armée, la marge de manoeuvre des pouvoirs reste de toute façon très limitée.

Autre scénario possible: nouvelle alliance de Mme. Çiller avec le colonel Türkes assortie d'obstruction systématiques pour empêcher la formation dans un délai de 45 jours d'un nouveau gouvernement afin d'empêcher le président à convoquer de nouvelles élections pour le moi de mai. Grâce à cette alliance avec l'extrême droite le DYP peut devenir le premier parti du pays et former un gouvernement de cohabitation dirigé par Mme. Çiller! En attendant un gouvernement intérimaire formé de technocrates aura la tâche ingrate de dévaluer fortement la monnaie, de décider d'augmentations allant de 50 à 100% des services et des denrées de bases et de prendre une série d'autres décisions amères retardées pour cause d'élections dans un pays plongé dans la plus grosse crise financière de son histoire. Le taux d'argent au jour le jour a atteint 210% et le trésor , à court d'argent, a dû émettre des obligations à un taux record de 2,4%. Le dollar qui valait 10.000LT à l'arrivée au pouvoir de Mme. Çiller en juillet 1993 en vaut 64.000LT, 2,5 ans plus tard. Belle performance pour une professeur d'économie diplômée de Yale!

LE SOCIOLOGUE TURC ISMAIL BESIKÇI CONDAMNÉ À UNE PEINE DE 5 ANS DE PRISON ET À UNE AMENDE DE 533 MILLIONS DE LIVRES TURQUES ($ 10 000) PAR LA COUR DE SÛRETÉ DE L'ETAT N° 1 D'ANKARA LE 27 DÉCEMBRE 1995


"Pour avoir critiqué par voie de publication une opération de l'armée dans le Sud-Est", dans deux textes séparés. Les éditeurs de ces textes incriminés, Unsal Ozturk et Hüsnü Önül, ont été condamnés par la même Cour respectivement à des peines de 26 mois et de 6 mois de prison assorties d'amendes.

Réagissant à cette nouvelle condamnation, le sociologue turc actuellement incarcéré à la prison d'Ankara a fait le bref commentaire suivant: "Chaque livre est une valeur en soi. On peut en apprécier ou non le contenu, on peut le critiquer mais on devrait pas l'incriminer. Le jugement sur le contenu et la valeur d'un livre ne doit pas relever de tribunaux. Le Droit doit servir à garantir la libre expression des opinions et non pas à entraver le débat d'idées".

Condamné à ce jour à plus de deux siècles de prison pour délit d'opinion, l'universitaire turc qui n'a jamais appartenu à aucun parti politique a déjà passé plus de 14,5 ans de sa vie dans les geôles turques. 27 de ses 31 livres sont interdits. Les Cours de Sûreté turques instruisent actuellement contre lui 7 autres procès. Par ailleurs, le 29 décembre un autre universitaire turc, Haluk Gerger, libéré en novembre dernier, a été condamné à 10 mois de prison par la Cour de Sûreté d'Etat N° 5 d'Istanbul pour un article paru dans le quotidien Özgur Gündem du 15. 12. 1993.

La paranthèse de "libéralisme" ouverte à la veille du vote du Parlement européen sur l'union douanière semble donc désormais se refermer.