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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 176

17/8/2000

  1. LA TURQUIE SIGNE DEUX CONVENTIONS DES NATIONS-UNIES : DES RÉSERVES SONT À PRÉVOIR
  2. LE BUREAU DE L’ASSOCIATION TURQUE DES DROITS DE L’HOMME À DIYARBAKIR N’A EU DROIT QU’À UNE DEMI-HEURE D’OUVERTURE
  3. LE PRÉSIDENT TURC S’OPPOSE AUX PURGES IDÉOLOGIQUES DANS L’ADMINISTRATION
  4. DISCRIMINATION CONTRE LES KURDES AYANT ACCÉDÉ AU FONCTIONNARIAT


LA TURQUIE SIGNE DEUX CONVENTIONS DES NATIONS-UNIES : DES RÉSERVES SONT À PRÉVOIR


Le ministère des affaires étrangères turc a, le 16 août 2000, annoncé la signature par la Turquie de deux conventions des Nations Unies sur les droits de l’homme. Ankara a précisé que qu’il étudiera d’éventuelles réserves à apporter à ces documents en vue de les soumettre au vote du Parlement.

Selon un communiqué publié par le ministère, " la Turquie a signé le Pacte sur les droits civils et politiques et le Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels mardi à New-York. " Les deux conventions promeuvent la liberté de pensée, de conscience et de religion, condamnent la torture et garantissent aux minorités la liberté d’expression culturelle et linguistique. Le communiqué indique que le refus d’Ankara de signer ces textes avait conduit à une " désapprobation dans la communauté internationale ", et " la non-adoption de ces pactes était considérée comme un défaut pour (le) pays, qui est candidat à l’adhésion à l’Union européenne ".

Le communiqué précise cependant que ces conventions se seront soumises au Parlement pour ratification après une étude approfondie des deux textes en vue d’établir d’éventuelles réserves sur certains articles. Le gouvernement turc a toujours refusé d’accorder aux Kurdes des droits culturels spécifiques, comme un enseignement ou une télévision dans leur langue. Le Parlement semble peu propice à faire des réformes en ce sens d’autant plus qu’il est composé à majorité de nationalistes (DSP), voire d’ultra-nationalistes (MHP).

Par ailleurs, on sait que la Turquie est co-signataire de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que la Convention contre la torture du Conseil de l’Europe. Ces signatures ne semblent guère gêner le régime turc de violer d’une façon récurrente et massive les droits de l’homme garantis et protégés par ces conventions, quitte à payer de temps à autre, des " dédommagements " symboliques à certaines victimes qui ont le courage, la persévérance et les moyens de saisir la Cour européenne des droits de l’homme.

LE BUREAU DE L’ASSOCIATION TURQUE DES DROITS DE L’HOMME À DIYARBAKIR N’A EU DROIT QU’À UNE DEMI-HEURE D’OUVERTURE


L’Association turque des droits de l’homme (IHD) proteste contre la fermeture de ses bureaux à Diyarbakir. Nazmi Gür, le secrétaire général de l’IHD a déclaré que le bureau de l’Association a été fermé le 12 août pour une nouvelle période de trois mois en raison d’un " danger pour la sécurité publique… La fermeture est intervenue une demi-heure après que les représentants de l’IHD eurent repris leurs activités, suite à l’expiration d’une interdiction de trois mois imposée précédemment pour les mêmes raisons ".

Les décisions prises par les autorités de l’état d’urgence, qui contrôlent la plus grande partie des régions kurdes, ne peuvent faire l’objet d’un recours en justice. " Nous demandons au gouvernement de lever cette interdiction, contraire au récent processus de démocratisation et (de respect) des droits de l’Homme qui doit nous permettre de rejoindre l’Union européenne " a souligné M. Gür.

L’IHD avait ouvert un bureau à Diyarbakir en 1987, trois ans après le début de la lutte armée du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Malgré une existence très précaire, les responsables annoncent qu’il y a eu plus de 10 000 recours de citoyens victimes de la répression auprès de ce bureau. La Turquie a déclaré l’état d’urgence dans la plupart des provinces kurdes en 1987 et a adopté une loi spéciale conférant de larges pouvoirs aux autorités chargées d’appliquer l’état d’urgence, y compris le droit de fermer des associations.

LE PRÉSIDENT TURC S’OPPOSE AUX PURGES IDÉOLOGIQUES DANS L’ADMINISTRATION


Les relations entre le gouvernement turc et le président Ahmet Nejdet Sezer semblent des plus tendues depuis que le président turc a opposé son veto sur un texte émanant du gouvernement. La crise a éclaté lorsqu’un décret gouvernemental ayant force de loi et envisageant le renvoi des fonctionnaires suspectés de sympathies pro-islamistes ou pro-Kurdes, a été rejeté par le président turc. " Le train des mesures pour lutter contre les mouvements antisécularistes " avait été adopté au cours de la réunion historique du 28 février 1997 du Conseil national de sécurité (MGK) qui avait mis fin au gouvernement islamiste de Necmettin Erbakan, mais n’avait pas pu être voté au Parlement du fait de l’instabilité gouvernementale. Finalement, obtenant du Parlement le pouvoir d’édicter des décrets ayant force de loi pour une période de six mois, l’actuel gouvernement a élaboré ce décret et l’a présenté au président.

Les partis d’opposition et les syndicats ayant vivement critiqué le texte, le président turc a décidé de proroger sa décision de 17 jours. Malgré l’insistance de Bülent Ecevit, M. Sezer a, le 8 août, renvoyé le texte au Premier ministre en soulignant qu’il n’était pas contre le contenu du décret, mais qu’un tel texte ne pourrait être légiféré que par une loi votée au Parlement. Dès le lendemain, la coalition gouvernementale a décidé d’envoyer à nouveau le même texte au président et le 10 août, Bülent Ecevit a, au cours d’une conférence de presse, souligné que selon la Constitution le président n’avait aucun pouvoir pour refuser le décret, en insistant sur le fait qu’il était obligé de le signer. Interrogé sur l’éventualité d’un second refus, le Premier ministre turc a déclaré : " je ne veux même pas envisager cette éventualité " et a rétorqué que " s’il ne signe pas il y aura une crise d’Etat ". De son côté, le président turc a annulé ses réunions hebdomadaires avec M. Ecevit sans aucune explication et s’est envolé pour Istanbul. Soutenu jusque-là par l’opinion publique et la plupart des médias, le président turc qui est l’ancien président de la Cour constitutionnelle, a alors fait l’objet de vives critiques. Finalement, une réunion a eu lieu entre les deux protagonistes le 16 août à la demande du président turc, mais le Premier ministre a déclaré que ce dernier n’avait pas eu le temps d’étudier tous les documents mis à sa disposition.

Ilnur Çevik, éditorialiste du quotidien turc anglophone Turkish Daily News, s’interrogeait le 16 août sur l’impatience du gouvernement : " Est-ce que l’Etat s’oppose à une menace immédiate ? Selon le gouvernement, une telle menace existe et doit être contrée par un décret immédiat. Le gouvernement ressent l’urgence et cela ne peut même pas attendre le Parlement qui ouvre sa session en octobre… Le gouvernement croit qu’il peut défier les normes et valeurs démocratiques pour défendre l’Etat. " Défendre l’Etat " contre toutes les agressions a été le leitmotiv de la Turquie au cours des dix dernières années. Si vous voulez enfreindre les règles démocratiques, vous n’avez qu’à dire que l’Etat est sous la menace et vous pouvez alors entreprendre toutes les actions antidémocratiques. Dans le passé, on nous a expliqué que la Turquie faisait face à la menace communiste. Une fois la menace communiste passée, les autorités ont utilisé la menace du séparatisme pour retarder les actions démocratiques. Plus tard, ils ont ajouté l’Islam à leur justification pour continuer leur système d’atteinte aux droits et libertés…Ce que le gouvernement et certaines personnes …ne comprennent pas c’est que l’intérêt supérieur de l’Etat est de servir son peuple et satisfaire les citoyens au lieu de les étiqueter comme des ennemis … ".

DISCRIMINATION CONTRE LES KURDES AYANT ACCÉDÉ AU FONCTIONNARIAT


Certains députés des provinces kurdes ont dénoncé la " discrimination " à l’égard de leurs concitoyens ayant passé avec succès les examens d’accès au fonctionnariat du 17 octobre 1999. Bien que les examens aient eu lieu au centre de sélection et de placement des étudiants (OSYM) pour éviter tout népotisme ou favoritisme, il a été constaté que certaines institutions publiques n’avaient pas encore employé des personnes, à grande majorité kurdes, sélectionnées par l’examen.

Pour exemple, Irfan Aydin, jeune Kurde né à Hakkari, avait eu les examens avec 87,16 points et avait été placé par OSYM à Bodrum comme pompier. Mais après avoir parcouru 2000 km avec son diplôme en poche et d’énormes sacrifices économiques de sa famille pour son voyage, le maire de Bodrum lui rétorque qu’il n’avait besoin que de cinq personnes et qu’il a embauché les premiers. Evliya Parlak, député indépendant de Hakkari, saisit à son tour Nedim Kurtoglu, directeur du bureau des personnels du Premier ministre, qui s’est borné à lui conseiller de faire appel auprès du préfet de la région et en cas d’échec auprès de Tribunal administratif.

Zekeriya Yildirim, avait, quant à lui, obtenu 90,69 points et avait été posté par OSYM comme clerc auprès du régiment de la gendarmerie de Seyyar (Sirnak). Arrivé sur les lieux, un responsable lui fait passer un examen oral et il est ensuite remercié. Ali Mehdi Kurbanoglu et Seyithan Elci, nommés à TEDAS de Diyarbakir (ndlr : l’équivalent turc d’EDF), ont également eu le même sort. Saisi de l’affaire, Hasim Hasimi, député ANAP de Diyarbakir, a déclaré que M. Kurtoglu ne répondait pas à ces appels et que pour le cas de MM Kurbanoglu et d’Elci on lui avait rétorqué que le premier avait été réformé du service militaire et que le second ne l’avait pas encore effectué. " Ils auraient dû exposer les conditions avant les examens. Si la question du service militaire ne les empêchait pas de passer les examens, pourquoi cela poserait un problème lors de leur emploi ?…Cela vous fait réfléchir : est-ce qu’ils n’ont pas été écartés à cause de leurs origines kurdes ? " a déclaré M. Hasimi.