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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 160

15/2/2000

  1. ANKARA A REFUSÉ À DANIEL COHN-BENDIT L’AUTORISATION DE RENDRE VISITE À LEYLA ZANA
  2. LE 7ème CONGRÈS DU PKK CONFIRME L’ABANDON DE LA LUTTE ARMÉE
  3. L’ANCIEN AVOCAT D’ABDULLAH OCALAN ENCOURT UNE PEINE DE 15 ANS DE PRISON
  4. LE SCANDALE DE L’ARMÉE PRIVÉE DU PREFET DE BATMAN
  5. 7,5 ANS DE PRISON REQUIS CONTRE AHMET KAYA


ANKARA A REFUSÉ À DANIEL COHN-BENDIT L’AUTORISATION DE RENDRE VISITE À LEYLA ZANA


Daniel Cohn-Bendit, président de la commission parlementaire mixte–faisant la liaison entre l’Assemblée nationale turque et le Parlement européen–a demandé aux autorités turques la permission de rendre visite à Leyla Zana lors de sa visite des 21-23 février 2000 à Ankara. Devant le refus catégorique des autorités turques, M. Cohn-Bendit pourrait annuler sa visite. D’autre part, Enrique Baron Crespo, président du groupe socialiste au Parlement européen, aurait également demandé une autorisation pour visiter les parlementaires kurdes emprisonnés depuis 1994. Depuis la conclusion de l’Union douanière entre la Turquie et l’Union européenne, en janvier 1996, les députés européens ne sont plus autorisés à rendre visite à leurs collègues kurdes détenus depuis mars 1994 pour délit d’opinion. Ces derniers mois les conditions de détention de Leyla Zana et ses collègues se sont sensiblement détériorées. Selon certaines informations, les autorités turques envisageraient de les transférer vers les prisons des provinces éloignées afin d’accroître encore leur isolement.

LE 7ème CONGRÈS DU PKK CONFIRME L’ABANDON DE LA LUTTE ARMÉE


Le Parti des travailleurs du Kurdistan a publié le 9 février 2000 les conclusions de son 7ème congrès, tenu entre le 2 et 23 janvier 2000 en un lieu non précisé, probablement dans les monts Qandil à la frontière entre l’Iran et l’Irak. Le PKK qui se dit désormais " un parti qui vise à la transformation démocratique et au développement d’un règlement de la question kurde en Turquie ", a annoncé les grandes lignes d’une " nouvelle stratégie " qui doit " transformer la guérilla armée en une organisation politique " et confirme l’abandon de la lutte armée lancée en 1984.

L’organisation a annoncé que son aile militaire, l’Armée populaire de libération du Kurdistan (ARGK) " doit être changée et réorganisée en Force de défense du peuple ". L’aile politique, le Front national pour la libération du Kurdistan (ERNK), est rebaptisée par " Union démocratique du peuple " chargée de " développer les organisations légales et la lutte politique démocratique dans tous les domaines ".

D’autre part, le Comité central, un terme aux connotations marxiste-léninistes, est remplacé par une " assemblée du parti ". Une nouvelle direction a été désignée et le chef du PKK, Abdullah Öcalan, emprisonné à l’île prison d’Imrali, a été élu " secrétaire général ".

Le PKK a également appelé " tous les cadres du parti, notre peuple et nos amis à se renouveler " et indiqué avoir adopté un " projet de paix " et se dit prêt à travailler avec quiconque " dans le cadre de projets justes et raisonnables pour réaliser la solution pacifique et démocratique ". L’organisation veut lancer une grande campagne pour obtenir " la liberté de travail politique pour le président Apo et la paix pour le Kurdistan ". Or, le Premier ministre turc Bülent Ecevit avait récemment exprimé son agacement face aux nombreux communiqués diffusés par A. Öcalan depuis sa prison via ses avocats et lui a enjoint de se taire. La presse turque a été rappelée à l’ordre et menacée de sanction au cas de publication des déclarations d’Ocalan.

Les autorités turques ne semblent guère convaincues par le changement de cap du PKK, même révisé, et parlent de " maquillage " et de " changement cosmétique ". Le quotidien turc Hurriyet écrivait en sa Une le 10 février 2000 : " Le PKK enlève Kurdistan de son nom ". Turkish Daily News dans son édition du 10 février sous-titre " les actions ne sont pas alignées sur la rhétorique " et continue ainsi : "Suite à son ‘congrès’, le PKK a annoncé à ses sympathisants et au public, que le but d’établir un Etat était ‘erroné’ et que celui-ci avait été abandonné. Et pourtant il continue d’utiliser le mot ‘ Kurdistan’ (…) Plus encore, agissant comme si elle était le ‘gouvernement’ de l’Anatolie de l’Est et du Sud-Est, l’organisation terroriste a pris la décision d’encourager le commerce frontalier, de créer de nouveaux centres commerciaux dans des lieux appropriés, ‘de donner la priorité aux intérêts du Kurdistan dans les relations diplomatiques avec la République turque, d’établir des écoles–y compris des universités–pour éduquer ‘le peuple du Kurdistan’, de maintenir les activités du parti démocratique du Peuple (HADEP)–conserver les municipalités sous le contrôle ‘ en les alignant sur les intérêts du peuple du Kurdistan’ et que toute la presse et la diffusion des activités culturelles et artistiques ‘au Kurdistan’ devraient être conduites ‘sous la responsabilité et la permission du PKK’. "

Par ailleurs, des dissidents, réunis au sein d’une " Initiative kurde en Europe ", ont récemment critiqué l’abandon de la lutte armée comme une " concession historique ". Et le comité central du PKK avait reconnu que ses appels à un retrait de Turquie des combattants à partir de septembre avaient été ignorés par au moins deux unités rebelles armées, qui avaient choisi de rester pour se battre.

Dans ce contexte, " l’abandon de la lutte armée " ressemble pour l’heure à une trêve prolongée conditionnée par le sort d’Ocalan. Car le PKK maintient toujours une force de 4000 à 5000 combattants armés basés principalement dans les montagnes kurdes d’Iran et d’Irak. Ce qui signifie que si sa " nouvelle stratégie " ne produit par les résultats espérés ou si Ocalan est pendu le recours à la lutte armée pourrait redevenir une option.

L’ANCIEN AVOCAT D’ABDULLAH OCALAN ENCOURT UNE PEINE DE 15 ANS DE PRISON


L’ancien avocat d’Abdullah Öcalan, Ahmet Zeki Okçuoglu, a été inculpé le 7 février 2000 encourant une peine de un à quinze ans de prison. La Cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul accuse l’avocat d’avoir " insulté et humilié " l’Etat turc dans des commentaires faits en mars dernier, deux mois avant l’ouverture du procès de son client. M. Okçuoglu avait estimé sur la chaîne de télévision pro-kurde Med-Tv que le procès était gagné avant même de s’ouvrir parce que la Cour jugerait en fait l’Etat turc et deviendrait une tribune permettant à Ocalan d’exposer le problème kurde en Turquie.

M. Okçuoglu est en outre poursuivi pour avoir prétendu qu’Ocalan avait été interrogé par des officiers après avoir été drogué. Il est aussi accusé de " commentaires insultants envers le président Süleyman Demirel ". Il s’était retiré de la défense peu avant l’ouverture en mai du procès d’Ocalan arguant d’actes de violence et d’intimidations perpétrées contre lui par des ultra-nationalistes et dénonçant la protection insuffisante fournie par les autorités.

LE SCANDALE DE L’ARMÉE PRIVÉE DU PREFET DE BATMAN


La Turquie est secouée par un nouveau scandale qui met au jour la lutte sans merci menée par les autorités turques au Kurdistan de Turquie. Cherchant à démanteler à la racine l’organisation intégriste Hizbullah, née à Batman, la Turquie a trébuché sur le désordre politico-militaire régnant dans la région. Préfet de Batman entre 1993 et 1997, Salih Sarman a été épinglé par la presse pour avoir mis sur pied et organisé une force militaire privée d’un millier d’hommes, fortement armée, pour lutter contre " le terrorisme ", se donnant ainsi le droit de lever une armée. Le Préfet s’était également livré au trafic d’armes avec la Chine populaire et la Bulgarie où la société mise en cause s’était déjà faite parler d’elle il y a 18 ans sous la plume d’Ugur Mumcu, célèbre journaliste assassiné depuis. Interpellé sur la question, Nahit Mentese, alors ministre de l’Intérieur du gouvernement de Mme Tansu Çiller, a répondu " je ne suis pas au courant de l’achat des armes. Le préfet Sarman était plus particulièrement en contact avec le Premier ministre ". Il a été constaté que pendant le gouvernement de T. Çiller, 2,7 millions de dollars issus des fonds secrets ont été versés pour importation des armes à Batman. Plus encore, une partie des armes achetées à l’époque, se trouve aujourd’hui évaporée et nombreux sont ceux qui affirment que celles-ci se trouvent dans les mains du Hizbullah. M. Mentese ne nie d’ailleurs pas que lors d’un voyage dans la région avec le Premier ministre, ils ont été accueillis par cette force mixte, composée de la police, des gardes de villages et de militaires.

Dans une interview accordée au quotidien Milliyet le 11 février, le préfet Sarman déclare : " j’ai exposé d’abord mon projet à Unal Erkan, gouverneur de la région sous état d’exception (OHAL). Ce dernier a déclaré qu’il ne pouvait me donner de fonds complémentaires pour ce projet. Plus tard j’ai envoyé celui-ci au Premier ministre qui l’a trouvé approprié. On nous a alors transmis des fonds des ressources des fonds de soutien. Quelques fois, l’argent tardait à arriver, c’est alors que la banque Emlakbankasi nous proposait de nous ouvrir un compte crédité. Lorsque nous recevions les fonds nous remboursions la banque. À la suite de l’accord ministériel, nous avons formé la première troupe expérimentale de mille hommes à Batman. La gendarmerie était chargée de l’instruction. Après un mois de formation, nous leur avons alloué un certificat lors d’une cérémonie à laquelle le ministre de l’intérieur Nahit Mentese a pris part ".

" Je me suis également entretenu avec le commandant en chef de la gendarmerie Aydin Ilter (…) Il m’a félicité pour mon projet (…) Après la fin de mes fonctions en 1997, ils n’ont pas continué ce système et dispersé la troupe. Malgré tout, les gardiens appartenant à cette troupe se trouvent toujours en fonction dans divers lieux ". En ce qui concerne le trafic d’armes, le préfet a ajouté : " C’est la trésorerie et le secrétariat d’Etat au commerce extérieur qui nous a fourni l’autorisation d’importation (…) Avec l’autorisation et l’accord du Premier ministre, les armes et les munitions ont été transportées à Batman par des avions de l’armée de l’air turque. Tous cela se trouve enregistré. Mais après ouverture de l’instruction, j’ai demandé des documents à la préfecture, ils m’ont rétorqué qu’ils n’avaient rien trouvé (…) Nous avons donné 90 % des armes importées à la gendarmerie. Le reste a été donné à la Direction de sécurité et à d’autres départements encore, afin qu’elles soient distribuées à ces troupes (…) 1800 armes ont été importées, 1200 d’entre elles sont présentes et 600 autres auraient disparu. Mais comme je l’ai précisé, nous les transmettions à la gendarmerie et à la Direction de sécurité ". M. Sarman se félicite d’autre part des méthodes expéditives : " en 1995, la troupe a pris d’assaut un camp du PKK au nord de Sason (Mus), en deux heures ils ont fait disparaître 150 militants du PKK ".

La presse turque révèle chaque jour la chronique de ces sales affaires d’Etat. Umur Talu du quotidien Milliyet écrit le 11 février sous le titre de " la capitale de Susurluk et de Batman est Ankara " : " Le 20 juin 1994 au cours d’un meeting, une bombe visant le président du parti social démocrate (DSP), Bülent Ecevit, a explosé, faisant 5 victimes. La première réaction d’Ecevit a été de désigner les organisations ‘à l’intérieur de l’Etat et en dehors du contrôle de l’Etat’. Des années auparavant à Izmir, lors d’une autre attaque, la déclaration d’Ecevit avait été similaire quand il avait parlé de ‘contre-guerilla’ (…) Aujourd’hui Bülent Ecevit est Premier ministre (…) Tout le monde n’a pas eu la même chance que lui. Certains célèbres, d’autres méconnus, mais des centaines, voire des milliers de personnes ont été enlevées, assassinées, étranglées et enterrées ".

Au cours du mandat du préfet Sarman, Batman est devenu une des villes où il y eu le plus de " meurtres non élucidés " en Turquie, atteignant le chiffre de 205, dont Mehmet Sincar, député du parti de la démocratie (DEP), qui s’était rendu sur les lieux justement pour enquêter sur ces " meurtres ". Alors que Tansu Çiller nie toute responsabilité en soutenant que tout a été fait dans la légalité. Le Président Suleyman Demirel a déclaré le 12 février que les armes importées entre 1994 et 1996 étaient en la possession de la gendarmerie et qu’elles n’avaient pas été fournies au Hizbullah mais que certaines auraient pu l’être par les gardiens de villages. Cependant le chaîne turque CNN-Turk a annoncé le 12 février qu’il y avait une différence sérieuse entre les armes enregistrées par le commandement de la gendarmerie et le département de sécurité et la liste fournie par le bureau du gouverneur. Selon la chaîne, 443 fusils automatiques, 115 roquettes, et 1450 grenades manquent de la liste. La presse parle de 507 375$ d’armes volatilisées. Pour finir, M. Demirel a déclaré que le conseil de sécurité nationale (MGK) n’avait pas traité le sujet et qu’il n’était pas perturbé par le débat actuel. " Des matières de routine ne viennent pas à l’attention de la hiérarchie de l’Etat " a-t-il déclaré.

7,5 ANS DE PRISON REQUIS CONTRE AHMET KAYA


Aykut Cengiz Engin, procureur près de la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul, a, le 4 février 2000, requis 7,5 ans de prison contre le chanteur kurde Ahmet Kaya pour " propagande séparatiste " et " incitation à la haine raciale ". Primé par l’association des journalistes de magasine le 10 février 1999, M. Kaya avait au cours de la cérémonie affirmait son identité kurde et avait exprimé son désir de chanter en kurde.