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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 152

2/12/1999

  1. LA COUR EUROPÉENNE ENJOINT LA TURQUIE DE SURSEOIRE À L’EXÉCUTION D’A. ÖCALAN
  2. SYNDROME DE LA GUERRE AU KURDISTAN
  3. LE GÉNÉRAL ÇEVIK BIR CANDIDAT AUX ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES TURQUES !
  4. LU DANS LA PRESSE TURQUE : QUE FAIRE D’ÖCALAN ?


LA COUR EUROPÉENNE ENJOINT LA TURQUIE DE SURSEOIRE À L’EXÉCUTION D’A. ÖCALAN


La Cour européenne des droits de l’homme a officiellement demandé le 30 novembre 1999 à la Turquie de surseoire à l’exécution d’Abdullah Öcalan tant qu’elle n’aura pas rendu son arrêt concernant les conditions d’arrestation, de détention et de jugement du chef du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). " La Cour invite l’Etat défendeur à prendre toutes les mesures nécessaires pour que cette peine ne soit pas exécutée afin que la cour puisse poursuivre efficacement l’examen de la recevabilité et du fond des griefs " formulés par Abdullah Öcalan, précise l’arrêt.

Le débat sur l’opportunité de pendre ou non A. Öcalan bat son plein en Turquie. La plupart des éditorialistes de la presse turque soulignent que la réponse dépasse largement la seule personne du chef du PKK et que la Turquie devrait choisir si elle veut intégrer véritablement l’Europe ou pas. Le président Süleyman Demirel et le Premier ministre Bülent Ecevit ont fait comprendre qu’ils attendraient la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme avant toute autre étape mais le Premier ministre turc a également ajouté le 26 novembre que qu’ " aucun Etat ou organisation internationale ne peut faire accepter quelque chose à la Turquie par la voie des pressions (…) Personne ne doit douter de l’indépendance de la justice turque (…) On ne doit pas s’attendre à une autre décision de la Cour de cassation que de confirmer la sentence, vue la gravité des crimes qu’Öcalan a commis ". Mehmet Ali Irtemçelik, ministre turc chargé des relations avec l’Europe et ministre des droits de l’homme, a, quant à lui, déclaré que " le (A. Öcalan) garder en vie est la meilleure solution pour la Turquie ". Mais cette réaction est contestée par le parti de l’extrême droite de l’Action nationaliste (MHP), fervent supporter d’une pendaison d’Öcalan ou encore par Mme Tansu Çiller, chef du parti de la Juste Voie (DYP), qui ont abondamment exploité les thèmes ultra nationalistes de la " Grande Turquie " et " l’écrasement jusqu’au dernier des terroristes du PKK ". Le DSP, le parti du Premier ministre turc, n’est pas en reste de surenchères nationalistes. Le MHP, deuxième parti au Parlement et membre de la coalition gouvernementale, avait annoncé clairement et fermement qu’il voterait pour la pendaison d’Öcalan mais Ismail Köse, vice-président du groupe parlementaire MHP, a déclaré : " il faut réagir avec sans froid et prudence (…) prendre en considération les intérêts de la Turquie (…) Ce sujet doit cesser d’être à l’ordre du jour de la Turquie ". Interrogée sur la question, L’armée turque a indiqué par l’intermédiaire du chef d’état-major, Hüseyin Kivikoglu " ne nous demandez pas ce que nous pensons (…) nous l’avons combattu pendant quinze ans. Notre réponse sera vraisemblablement émotionnelle. L’affaire est entre les mains de la Cour de cassation et des hommes politiques ".

Par ailleurs, la plupart des capitales occidentales ont appelé la Turquie à ne pas exécuter A. Öcalan. Une mise en garde a même été adressée aux autorités turques par les institutions européennes, leur rappelant la nécessité d’abolir la peine de mort pour permettre l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Gunter Verheugen, le commissaire européen chargé de l’élargissement a ainsi déclaré que " la Turquie et les autres pays candidats à l’adhésion doivent abolir la peine de mort s’ils veulent adhérer ". Nicole Fontaine, la présidente du Parlement européen, s’est pour sa part déclarée " très émue et indignée " par la condamnation à mort du chef du PKK. Or, les avis de la Commission et du Parlement européen seront déterminants pour une adhésion. De nombreux Etats membres de l’UE et plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme–Amnesty International, FIDH, la Ligue des Droits de l’Homme–ont réagi contre cette condamnation mais le Conseil de l’Europe s’est montré le plus virulent en la déclarant " inacceptable ".

SYNDROME DE LA GUERRE AU KURDISTAN


La guerre du Kurdistan qui a progressivement perverti le système politique et judiciaire turc, saigné à blanc l’économie, finit par faire des victimes à l’autre bout du pays. Tandis que les anciens chefs de guerre forment de puissants réseaux politico-mafieux en étroite liaison avec certains services de l’Etat et la classe politique (scandale de Susurluk, affaires Çiller, Yilmaz, etc…), les soldats de base restent longtemps hantés par les horreurs et les mauvaises habitudes de cette guerre. Les crimes commis par ces " désaxés " après leur retour à la vie civile alimentent régulièrement la chronique de la presse turque.

Ainsi, le quotidien Hürriyet du 30 novembre, évoque le drame du soldat Erdinç Güven. Après avoir servi comme gendarme dans une unité " anti-terroriste " dans la province kurde de Sirnak, particulièrement touchée par la guerre, ce soldat retourne dans sa ville natale d’Edirne en Thrace, non loin de la frontière grecque. Pour s’adapter à la vie normale, il se marie rapidement. Cependant, il ne trouve rien de mieux pour épater la mariée que de lui conter sur le lit nuptial ses exploits militaires à Sirnak et d’exhiber ses singuliers souvenirs : armes et grenade. Celle-ci explose accidentellement déchiquetant les deux jeunes mariés. Les familles des deux victimes déplorent " le mauvais coup de destin " tandis que des observateurs affirment qu’il faudrait prévoir une véritable thérapie pour ces soldats perturbés par une guerre atroce et déshumanisante.

LE GÉNÉRAL ÇEVIK BIR CANDIDAT AUX ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES TURQUES !


Invité le 30 novembre 1999 par l’Association des hommes d’affaires de Rumeli (RUYIAD), Cevik Bir, général en retraite, réputé bien en cour au Pentagone, ancien bras droit du chef d’état-major turc, et artisan du mini-coup d’état militaire du 28 février 1997 ayant évincé le parti islamiste de la prospérité (RP), a déclaré qu’il désirait présenter sa candidature à la présidence de la République turque si le système changeait pour le suffrage direct. " Aucun citoyen turc ne peut se dérober de cette responsabilité si cela lui était demandé " a déclaré Çevik Bir. Puis, il a rétorqué énergiquement à un journaliste qui affirmait que pour sa part il préférait exercer sa profession qu’il aime tant : " est-ce que quelqu’un peut aimer sa profession plus que son pays ".

Commentant les déclarations du général Bir, Ilnur Çevik, rédacteur en chef du quotidien turc anglophone, Turkish Daily News, écrivait le 1er décembre 1999 : " Souvenez-vous seulement de Turgut Sunalp, le général en retraite qui a été encouragé par la hiérarchie militaire de fonder le Parti de la Démocratie nationaliste (MDP– droite) après le coup d’état de 1980. Avant les élections de 1983, le pouvoir militaire a disqualifié le parti de la Juste Voie (DYP) de Demirel, le parti socio-démocrate (SODEP) d’Erdal Inönü, et le parti islamiste de la Prospérité (RP), simplement pour augmenter les chances de Sunalp. Les militaires avaient également formé un parti de gauche, conduit par Necdet Calp, comme une alternative de Sunalp (…) Aujourd’hui personne ne se souvient d’eux ni de leurs partis respectifs (…) Le Général Bir devrait aller dans les villes d’Anatolie et s’adresser à ces gens (…) Il verra peut-être à ce moment-là le vrai visage de la Turquie et il comprendra qu’il dispose très peu ou pas de soutien du peuple ".

Le débat reste cependant ouvert. Les partis de la Vertu (FP) et de la Juste Voie (DYP) ont clairement fait savoir qu’ils ne soutiendraient pas la candidature de ce général qui a contraint à la démission leur coalition gouvernementale. Le Premier ministre Ecevit qui avait pu bénéficier du soutien d’une majorité de députés n’est pas éligible au poste de président car il n’a pas de diplôme universitaire exigé par la Constitution turque. Faute de mieux, la classe politique turque, à bout d souffle et à court d’imagination s’achemine vers une reconduction en avril prochain du mandat du vieux et inusable Süleyman Demirel qui, depuis le début des années 1960 occupe le devant de la scène politique turque exception faite de brèves éclipses consécutives aux coups d’Etat militaires de mars 1970 et de septembre 1980.

LU DANS LA PRESSE TURQUE : QUE FAIRE D’ÖCALAN ?


La confirmation de la peine de mort d’Abdullah Öcalan place la Turquie dans une situation inconfortable. Nombreux sont ceux qui exposent les raisons de ne pas l’exécuter. Taha Akyol, journaliste au quotidien Milliyet présente les éléments de ce débat et plaide contre l’exécution d’A. Öcalan. Voici de larges extraits de son article paru le 27 novembre 1999 et qui est représentatif du débat turc :

" La Turquie dispose encore d’un peu de temps pour décider de l’exécution ou non d’Apo. Mais je peux dire que l’inclination de ‘l’Etat’ commence à devenir évidente. La tendance est de ne pas pendre Apo et de " commuer la peine dans des conditions particulières à la prison à perpétuité ". J’écris cela après en avoir discuté avec les dirigeants et les formations politiques à Ankara. L’ordre du jour de la récente réunion au sommet des leaders politiques était en réalité consacré à ce point là. D’abord, quand est-ce que ce sujet arrivera devant le gouvernement et le Parlement, c’est-à-dire devant les instances politiques ?

Il reste encore un peu de temps. Les avocats d’Apo peuvent avant tout demander la rectification de la sentence dans un délai d’un mois…Le procureur général de la Cour de cassation rendra ensuite sa décision en réponse…Puis, après la fin de cette procédure, il enverra le dossier devant le ministère de la justice… Et de là au gouvernement…Du gouvernement au Parlement…

Mais, il y a une autre information qui a été présentée aux leaders. La réunion de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) se tiendra mardi prochain. Pour empêcher l’exécution d’Apo " une mesure provisoire " peut être prononcée. La CEDH ordonnera cette décision mardi prochain ou dans les jours qui suivront et transmettra officiellement celle-ci au gouvernement turc.

Cependant la Turquie n’a pas l’obligation de répondre aussitôt si " elle s’y conformera ou pas ". On va laisser couler le temps … Puis, avec le temps, l’actualité de la Turquie va changer, et particulièrement avec le sommet de Helsinki du 10 décembre, la question de " devenir Européen ou non " va s’inscrire dans l’ordre du jour de la Turquie. Le fait que la Turquie soit déclarée " pays candidat " va renforcer dans l’opinion publique la tendance désireuse de se conformer aux normes européennes…Les hommes politiques responsables respectent évidemment ici les demandes légitimes des familles de martyrs. Ils comprennent totalement ceux qui demandent la pendaison du chef d’une organisation qui a fait couler pendant des années le sang et assassiné des enfants et des instituteurs en Turquie. Certes…

La question a également un sens politique et celui-ci est crucial pour l’avenir de la Turquie.

OUI, l’emprisonnement à vie d’Apo et non son exécution est dans l’intérêt de la Turquie. Non pas qu’il ne mérite pas la pendaison mais …pour renforcer la cohésion interne de la Turquie et consolider la considération externe…

Lorsque la procédure prendra fin à la Cour de cassation puis au ministère de la Justice pour arriver devant le Premier ministre, le gouvernement annoncera qu’il se conformera à la mesure provisoire de la CEDH. Ensuite la peine de mort ne sera pas exécutée et par la suite elle sera abrogée du code pénal (…) Pendant ce temps, personne ne devrait exploiter la colère légitime des familles de martyrs. Particulièrement, le leader du parti de la Juste Voie (DYP), Tansu Çiller, en tant que dirigeant ayant occupé le poste du Premier ministre et du ministre des affaires étrangères, devrait s’abstenir d’exploiter cela et de remuer le couteau dans la plaie.

Alors que les forces de sécurité turques, dont les garnisons, quartiers généraux et casernes sont remplis d’images de soldats martyrs, montrent cette maturité, les responsables politiques devraient éviter d’exploiter les sentiments ".