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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 148

4/11/199

  1. LES KURDES EN PROCÈS : EN CINQ ANS 79 489 PERSONNES ONT ÉTÉ JUGÉES PAR LES COURS DE SÛRETÉ DE L’ETAT DE DIYARBAKIR
  2. SÜLEYMAN DEMIREL S’OPPOSE À DES RADIOS ET TÉLÉVISION EN KURDE
  3. LE PROCUREUR PRÈS DE LA COUR DE CASSATION TURQUE DEMANDE PLUS DE DROITS POUR L’ETAT ET MOINS POUR LES INDIVIDUS
  4. LEVÉE D’ÉTAT D’URGENCE DANS LA PROVINCE DE SIIRT
  5. " UNE SOCIÉTÉ BRITANNIQUE ENSEIGNE À LA TURQUIE COMMENT IRRADIER LES KURDES "
  6. UN HOMME D’AFFAIRES TURC ACCUSÉ D’HOMICIDE VIVAIT EN TURQUIE EN TOUTE IMPUNITÉ
  7. UN SECOND GROUPE DU PKK S’EST RENDU À LA TURQUIE


LES KURDES EN PROCÈS : EN CINQ ANS 79 489 PERSONNES ONT ÉTÉ JUGÉES PAR LES COURS DE SÛRETÉ DE L’ETAT DE DIYARBAKIR


D’après l’enquête menée par Me Sezgin Tanrikulu, responsable de la Fondation turque des droits de l’homme à Diyarbakir, en cinq ans 79 489 personnes ont été jugées dans 21 347 procès par les Cours de sûreté de l’Etat de Diyarbakir. Sur 12 061 jugements prononcés, 4 912 personnes ont été condamnées et 9 941 relaxées : 14 661 sur la base de l’article 169 du code pénal turc pour " soutien et assistance à une organisation illégale ", 9 886 sur la base de l’article 125 du code pénal turc pour " participation à des opérations armées au nom d’une organisation illégale " et 1 216 personnes pour " adhésion à une organisation armée " sur le fondement de l’article 168 du code turc.

SÜLEYMAN DEMIREL S’OPPOSE À DES RADIOS ET TÉLÉVISION EN KURDE


Le président turc Süleyman Demirel cité par le quotidien turc Hurriyet du 1er novembre 1999 a déclaré une nouvelle fois son opposition pour l’autorisation des radios et télévisions en langue kurde. " Le turc est un véhicule national de communication (…) Nous continuerons à accepter le turc comme la seule langue et à dispenser l’enseignement en turc (…) L’important est d’être citoyen de la République turque et membre de la nation turque. Mais toutes les routes menant à un Etat séparé sont bloquées " a-t-il déclaré. M. Demirel soutient qu’accorder le droit d’utiliser leur propre langue pourrait provoquer des demandes similaires d’autres groupes ethniques en Turquie, c’est pourquoi il avance avec une mauvaise foi à toute épreuve qu’ " il y a huit langues connues comme étant kurdes " et que " la plupart des Kurdes ne comprennent pas la langue de l’autre ".

Alors que même le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) ne revendique plus que la reconnaissance des droits culturels des Kurdes, la Turquie ne leur reconnaît pas le statut de minorité car conformément au traité de Lausanne de 1924, le statut de minorités et les droits afférents ne sont admis que sur la base de critères religieux pour les chrétiens (Arméniens et Grecs) et les Juifs.

LE PROCUREUR PRÈS DE LA COUR DE CASSATION TURQUE DEMANDE PLUS DE DROITS POUR L’ETAT ET MOINS POUR LES INDIVIDUS


Au cours d’une conférence de presse le 26 octobre 1999, Vural Savas, procureur près de la Cour de cassation turque, a appelé les institutions turques à combattre sérieusement les dangers qui guettent la Turquie. Dans un plaidoyer contre tous les acteurs politiques en Turquie, il a vivement critiqué ceux qui " placent l’individu au-dessus de l’Etat ou défendent la liberté d’opinion " et a appelé le peuple à se " protéger contre les terrorismes religieux et séparatiste ". Le procureur a ainsi avancé quelques solutions. Selon M. Savas, il faut placer dans des prisons militaires et non civiles ceux qui sont condamnés par les Cours de sûreté de l’Etat, rétablir la législation empêchant l’utilisation de la religion à des fins politiques. Il a une fois de plus appelé au rétablissement de la loi n°163-abrogée par Turgut Özal -qui complèterait légalement le paragraphe in fine de l’article 24 de la Constitution turque, interdisant de fonder l’ordre social, religieux, économique, politique ou légal sur des lois religieuses et prohibant l’utilisation de la religion, des sentiments ou opinions religieux, considérés sacrés, à des fins personnelles. Le procureur a été particulièrement virulent contre " ces politiciens et leaders de partis politiques, écrivains et organisations des droits de l’homme " qui " provoquent le séparatisme et les sentiments réactionnaires, sous couvert de la défense de la liberté de pensée ". Il a également condamné " ceux qui s’abstiennent de passer des lois anti-terreur " en prétextant que la Turquie ne pourra pas adhérer à l’Union européenne. Pour lutter contre le terrorisme, Vural Savas a suggéré de prendre exemple sur la législation britannique en matière de censure et sur le modèle allemand des règlements relatifs à la police.

Vural Savas est le procureur qui a demandé et obtenu l’interdiction du parti de la prospérité (RP- islamiste) en 1997, et a essayé en vain d’empêcher le parti de la démocratie du peuple (HADEP-pro-kurde) de participer aux élections générales du 18 avril 1999.

Les propos tenus par le procureur de la cour suprême turque ont soulevé de nombreuses réactions en Turquie. Tous les journaux turcs ont consacré leur Une à cette déclaration. Faisant un jeu de mot avec son nom [Savas veut dire la guerre en turc], certains avaient titré " la Mentalité de la Guerre ". D’autres ont très justement noté que M. Savas n’a pas obtenu ce qu’il espérait. La classe politique fortement mise en cause par le procureur, a vivement réagi. Le spectre du mini-coup d’état de 1997 fomenté par le conseil de sécurité nationale dirigée par l’armée est remonté dans les souvenirs. Alors que M. Savas voulait incarner " le héros national " venant au secours du peuple, rôle tant prisé par l’armée turque, il s’est trouvé face à une large opposition. Seul le procureur près de la cour de sûreté de l’Etat, Nuh Mete Yuksel, qui avait été décrié la semaine précédente par la classe politique turque pour avoir tenté d’entreprendre une perquisition de nuit chez la députée islamiste Merve Kavakçi [ndlr : M. Kavakçi a été exclue du Parlement turc pour avoir voulu faire le serment d’investiture voilée] a apporté son soutien à son confrère. L’intervention du procureur de la Cour suprême turque semble venir comme une riposte aux déclarations, au printemps dernier, du président de la Cour constitutionnelle turque, Ahmet Necdet Sezer, et de Sami Selçuk, président de la Cour de cassation, qui tous deux ont plaidé pour plus de démocratie et de libertés publiques en Turquie. M. Savas semble défendre une thèse contraire en demandant l’éradication totale de toute opposition.

LEVÉE D’ÉTAT D’URGENCE DANS LA PROVINCE DE SIIRT


Au terme de sa réunion mensuelle, le Conseil national de sécurité (MGK), qui regroupe les plus hauts responsables civils et militaires de Turquie, a décidé le 27 octobre 1999, la levée de l’état d’urgence à Siirt [ndlr :province kurde]. La prolongation pour une durée de quatre mois de l’état d’urgence dans les provinces de Tunceli, de Diyarbakir, de Hakkari, de Sirnak et de Van a été arrêtée. Le Parlement turc qui sert de chambre d’enregistrement des décisions du MGK devraient voter la loi pour la forme.

" UNE SOCIÉTÉ BRITANNIQUE ENSEIGNE À LA TURQUIE COMMENT IRRADIER LES KURDES "


Dans un article publié le 31 octobre 1999, David Leppard, Paul Nuki et Gareth Walsh, journalistes au quotidien anglais Sunday Times, ont révélé qu’une société britannique conseillait la Turquie sur la façon d’irradier les Kurdes. La société d’armement, Aims Ltd, faisait l’objet d’une enquête par Scotland Yard depuis que Sunday Times avait divulgué que des mercenaires de la société se préparaient à assassiner Abdullah Öcalan, chef du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), pour £ 5,75 millions. Des nouvelles preuves sont venues corroborer les relations entre les autorités turques et la société en question depuis que Sunday Times a réussi à obtenir un document de cinq pages adressé à l’armée turque prouvant que Brian Smith, patron de Aims Ltd, leur avait conseillé d’irradier les combattants kurdes. Dans le document en question Brian Smith écrit : " La détection par radiation. C’est une méthode par laquelle une source radioactive est placée dans la cible et la source est ensuite interceptée. Ceci par avion ou par satellite. L’inconvénient est que la cible succombe au poison radioactif en 21 jours approximativement ". Un officier impliqué dans la négociation a déclaré que la société Aims proposait d’irradier les prisonniers à partir d’une source cachée dans une boîte métallique dissimulée sous la table d’interrogatoire. Dans un autre document, la société propose de fournir d’anciens agents des services secrets (SAS) pour aider les Turcs à " neutraliser " les bases suspectées de servir aux Kurdes au Sud de Chypre. Pour £57 500 par mois, il était également proposé de rassembler des informations sur les Kurdes dans chaque pays de l’Union européenne.

Sunday Times a également révélé que la société Aims avait fourni des armes et des mercenaires à l’armée de Libération du Kosovo (UÇK) par l’intermédiaire des officiers turcs en poste au Kosovo, ceci en violation des sanctions des Nations Unies qui interdisaient toute fourniture d’armes et assistance à l’UÇK.

Toujours selon Sunday Times, la société Aims est une des deux firmes britanniques qui avaient été payées des centaines de milliers de livres pour fournir l’équipement militaire et des facilités d’entraînement à des membres des forces spéciales turques qui ont capturé A. Öcalan. Interrogé sur la question, Scotland Yard a rétorqué : " cette affaire est prise en considération par notre département des opérations spéciales. Le ministère public est saisi et nous attendons leur décision ".

UN HOMME D’AFFAIRES TURC ACCUSÉ D’HOMICIDE VIVAIT EN TURQUIE EN TOUTE IMPUNITÉ


L’arrestation de l’homme d’affaires turc, Erol Evcil à Bursa la semaine dernière a une nouvelle fois mis en relief les liens solides entre les hommes politiques, l’Etat, les bandes mafieuses et certains hommes d’affaires. Alors que la police turque avait quasiment abandonné les recherches en prétextant qu’Erol Evcil s’était enfui à l’étranger, ce dernier a été arrêté dans une villa somptueuse située dans un quartier fréquenté par les hommes politiques et autres industriels turcs. Erol Evcil, était " recherché " pour le meurtre de Nesim Malki, autre homme d’affaires turc, et était accusé d’avoir demandé à son ami Alaadin Çakici, chef mafieux aujourd’hui emprisonné en France, de faire pression sur les hommes d’affaires intéressés par l’achat de Turkbank, une banque nationale turque alors en cours de privatisation, pour qu’il puisse l’acquérir. Les conditions et les révélations sur le déroulement de ce marché avaient d’ailleurs fait chuter le gouvernement de Mesut Yilmaz.

Le chef de la police à Bursa, Ahmet Genç, a déclaré que E. Evcil résidait à Bursa depuis déjà un an en toute impunité et sans être inquiété. Cette déclaration a mis en cause son prédécesseur, Kemal Bayraktar et l’ancien gouverneur de la région Orhan Tasanlar. D’autant plus que le ministre turc de l’intérieur, Saddettin Tantan, a aussitôt déclaré qu’il avait eu raison d’insister sur la mutation de ces derniers. Les liens entre les bandes mafieuses et l’Etat avaient été révélés à la suite du scandale du Susurluk. Aucun des protagonistes n’a à ce jour était condamné et l’enquête parlementaire avait été paralysée par l’intervention de l’Etat mais aussi de certains officiers de l’armée qui ont refusé de coopérer.

UN SECOND GROUPE DU PKK S’EST RENDU À LA TURQUIE


Un deuxième groupe de huit membres du Front de Libération nationale du Kurdistan (ERNK), aile politique du PKK, s’est rendu aux autorités turques le 29 octobre 1999, au 76ème anniversaire de la proclamation de la République turque. Ils ont été immédiatement mis en état d’arrestation après avoir comparu le 2 novembre devant la Cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul pour " appartenance à une organisation terroriste " et écroués.

Un premier groupe de huit militants du PKK s’était rendu le 1er octobre aux autorités turques à Semdinli. Ils avaient été écroués après avoir comparu devant la Cour de Sûreté de l’Etat de Van.