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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 145

11/10/1999

  1. LEYLA ZANA TRAUMATISÉE PAR LA TUERIE DE LA PRISON CENTRALE D’ANKARA
  2. ?UN APPEL INTERNATIONAL POUR LES DROITS FONDAMENTAUX DES KURDES EN TURQUIE
  3. LA COMITÉ DES MINISTRES DU CONSEIL DE L’EUROPE RAPPELLE À L’ORDRE LA TURQUIE
  4. EXECTIONS EXTRAJUDICIAIRES À ADANA
  5. NOUVEAUX ACTES DE CENSURE DES MÉDIA
  6. " MÉMORIAL POUR LE GÉNOCIDE DES TURCS PAR LES ARMÉNIENS " À IGDIR !
  7. LA TURQUIE EST LE PLUS SOLITAIRE DES PAYS AU MONDE
  8. LA TURQUIE VEUT-ELLE VRAIMENT ADHÉRER À l’UNION EUROPÉNNE ?


LEYLA ZANA TRAUMATISÉE PAR LA TUERIE DE LA PRISON CENTRALE D’ANKARA


Après deux semaines d’interdiction, les députés kurdes emprisonnés ont, à partir du 5 octobre, à nouveau été autorisés à recevoir des visites de leurs proches une fois par semaine pour une durée de 45 minutes derrière des parloirs grillagés.

À cette occasion, nous avons eu la confirmation de leurs conditions de détention. Les trois députés hommes, Hatip Dicle, Orhan Dogan et Selim Sadak, ont été transférés dans un dortoir collectif où sont détenus de 45 à 50 prisonniers politiques pour la plupart accusés d’appartenance au PKK. De son côté, Leyla Zana, qui depuis 1994 logeait seule dans une cellule assez spacieuse est désormais obligée de partager celle-ci avec 5 autres femmes prisonnières politiques accusées d’appartenance à des mouvements turcs d’extrême gauche. Le manque de place les contraint à se relayer pour dormir à tout de rôle. Selon plusieurs témoignages, Leyla Zana reste traumatisée par la répression sauvage d’un mouvement de protestation de certains détenus de la prison centrale d’Ankara. De la fenêtre de sa cellule, elle a assisté à la mise à mort à coups de matraques et de gourdins de sept prisonniers par des centaines de policiers et de gendarmes dans la nuit du 26 septembre 1999. " Ces scènes d’une rare sauvagerie, les cris de suppliciés ne cessent de me hanter jour et nuit " a-t-elle déclaré à ses visiteurs qui l’ont trouvée traumatisée, émaciée et en état de choc. Au cours de la répression, Habib Gül, Ertan Özkan, Nihat Konak, Ümit Altintas, Halil, Türker, Mahir Ünsal, Sakir Dönmez, Abuzer Cat, Nihat Salmaz, Ahmet Devran, Zafer Karabiyik, Önder Gencaslan ont perdu la vie.

Le Premier ministre turc avait déclaré que " l’Etat est décidé à rétablir son autorité à n’importe quel prix ". En l’occurrence, le calme, relatif et éphémère, a été obtenu au prix de la mort de 12 hommes et de centaines de blessés. L’un des survivants de cette tuerie, Cemal Çakmak, dans un témoignage publié par le quotidien Özgür Politika du 7 octobre 1999, affirme que les forces de l’ordre turques disposaient des listes préétablies de meneurs qui ont été arrêtés au moment des troubles, battus à mort, puis mitraillés pour accréditer l’idée d’affrontements armés à l’intérieur de la prison.

En 1996, une tuerie similaire avait eu lieu dans la prison de Diyarbakir. Les familles des victimes avaient porté plainte et les meurtriers avaient été identifiés. Cependant de renvoi en renvoi, le procès dure encore et les assassins sont toujours en service et en liberté.

?UN APPEL INTERNATIONAL POUR LES DROITS FONDAMENTAUX DES KURDES EN TURQUIE


Cinq intellectuels de Turquie - Yashar Kemal, Orhan Pamuk, Ahmet Altan, et Mehmed Uzun, tous écrivains et Zülfü Livaneli, musicien et journaliste, viennent de lancer un appel international pour les droits culturels des Kurdes. À l’occasion d’une conférence de presse, le 11 octobre 1999 à Istanbul la déclaration ci-dessous, signée par plus d’une cinquantaine de personnalités a été rendue publique. Parmi les signataires figurent Günter Grass, prix Nobel de Littérature 1999, José Saramago et Nadine Gordimer, Prix Nobel de Littérature, Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix, Costa Gavras, réalisateur, Arthur Miller, écrivain, Jack Lang, ancien ministre français, Maurice Béjart, chorégraphe, Ingmar Bergman, écrivain et réalisateur, Liv Ullman, comédienne…

" Le vingtième siècle, un des plus sanglants de l’histoire humaine, touche à sa fin. Une question revient sans cesse : le vingt-et-unième siècle sera-t-il aussi sanglant que le précédent? Continuerons-nous à vivre sous le règne de la guerre, de la violence, des armes ? Le racisme et la haine de l’autre vont-ils encore mettre notre monde à feu et à sang ? L’oppression sera-t-elle encore une réponse aux revendications ethniques et sociales?

Nous répondons fermement "non". Les peuples du siècle qui naît ont l’ardente obligation de refuser toutes formes de discrimination et d’oppression.

Nous, les écrivains et artistes, signataires de ce texte, souhaitons que la Turquie soit à l’avant-garde de la défense des droits et de la démocratie. Nous sommes convaincus que la Turquie – qui fait partie du monde civilisé – a la volonté d’accorder la liberté, l’égalité, la justice à tous les peuples qui la constituent.

Aujourd’hui, la Turquie parait comme un pays qui ne respecte pas les obligations des droits de l’homme et de la démocratie. Des représentants officiels du gouvernement turc l’admettent. La question kurde est au cœur de ces problèmes. Tant que la Turquie n’apportera pas les réponses adéquates à la question kurde, elle ne parviendra ni à respecter les droits de l’homme ni à devenir une démocratie.

Nous sommes convaincus que la Turquie a les moyens de résoudre la question kurde. Aucune des menaces qui pesaient sur la jeune république turque de 1923 - née des décombres de l’empire ottoman - n’est à l’ordre du jour aujourd’hui. Les quinze millions de Kurdes en Turquie forment une entité importante de la république. Les Kurdes réclament la préservation de leur identité linguistique et culturelle, le droit de vivre comme des citoyens libres dans le cadre de la République de Turquie. Ils veulent pouvoir lire et écrire en kurde, étudier en kurde. Ils veulent vivre, travailler et servir leur pays tout en préservant la richesse de leur identité culturelle.

Les efforts de turquisation ont entraîné la mise hors-la-loi de la langue kurde. Un très grand nombre d’intellectuels ont été arrêtés, punis. Des milliers des villes, villages, hameaux, vallées, montagnes, collines ont vu leur nom débaptisé et turquisé. Les Kurdes eux-mêmes sont devenus des "‘Turcs des montagnes". La Constitution et les lois turques ont servi de cadre pour l’application de cette politique.

Aucune de ces mesures n’a atteint l’objectif assigné : les Kurdes ne sont pas devenus des Turcs. La question kurde n’est pas résolue. Les événements sanglants et la situation économique désastreuse des quinze dernières années sont la preuve que la violence n’est pas une solution. La violence ne parvient pas à transformer les Kurdes en Turcs; la violence ne de permet pas aux Kurdes d’obtenir leurs droits.

À l’aube du siècle naissant, il est temps pour la Turquie de montrer l’exemple en réalisant l’étape nécessaire vers la démocratie, en résolvant la question kurde, en intégrant ses citoyens kurdes avec leurs droits fondamentaux. La démocratie renforcera la Turquie économiquement, socialement, culturellement. La langue kurde compte parmi les plus riches de la civilisation mésopotamienne. Elle possède une littérature classique savante, une belle et riche tradition orale, une tradition musicale variée, elle est aussi la langue d’une littérature moderne florissante. L’histoire de cette langue fait partie du patrimoine mondial.

Au lieu d’êtres niés et méprisés, cette langue et cette culture devraient constituer une part dynamique de la richesse de la Turquie. Tout au long de leur histoire, les Kurdes ont constitué le tiers de la mosaïque des peuples d’Anatolie. Et ne doivent plus subir de discrimination. Leur dignité et leurs droits fondamentaux doivent êtres reconnus afin de constituer une partie dynamique de l’Anatolie et la Turquie. Le kurde doit être reconnu comme langue d’enseignement et d’éducation. La langue et l’identité culturelle kurdes doivent faire l’objet de garanties constitutionnelles.

Nous demandons au président de la République, au Premier ministre, au Parlement, au gouvernement, aux hommes en place : faites cesser cette honte. Au moment où vous pansez les blessures du tremblement de terre, songez -aussi à panser les plaies sociales qui saignent depuis soixante-dix ans.

La Turquie du vingt-et-unième siècle doit se dresser comme un phare, être le pays des valeurs humaines et démocratiques ".

Ce texte a également été signé par : Harold Pinter, Adonis, Michael Holroyd, Arne Ruth, Bibi Andersson, Erland Josephson, Johannes Salminen, Margaret Atwood, Yorman Kanluk, Antonis Samarakis, John Berger, Jaan Kaplinski, Kirsti Simonsuuri, Suzanne Brögger, Nikos Kasdaglis, Thorvald Steen, Adriaan van Dis, György Konrad, Sigmund Strömme, Mahmud Dowlatabadi, Alberto Manguel, Birgitta Trotzig, Margaret Drabble, Adame Michnik, Kerstin Ekman, Kal Nieminen, André Velter, Richard Falk, William Nygaard, Gunter Wallraff, Lady Antonia Fraser, Monika van Paemel, Georg Henrik von Wright, Juan Goytisolo, Herbert Pundik, Per Wästberg, Sir David Hare, Claude Regy, Moris Farhi, Ronald Harood, Klaus Rifbjerg, Homero Aridjis, Michael Higgins, Bernice Rubens, Elisabeth Nordgren.

LA COMITÉ DES MINISTRES DU CONSEIL DE L’EUROPE RAPPELLE À L’ORDRE LA TURQUIE


À quelques semaines du sommet d’Helsinki, une nouvelle crise vient troubler les relations entre l’Union européenne et la Turquie. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a, le 6 octobre 1999, rappelé à l’ordre la Turquie qui avait été condamnée en juillet 1997 par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation du droit au respect de la propriété privée dans l’affaire Loizidou, expropriée de ses biens par l’armée turque en 1974 après l’invasion du nord de l’île. Condamnée à verser de lourdes indemnités à la victime pour le préjudice subi - plus de 570 500$ - la Turquie se refuse à remplir ces obligations en arguant de " l’indépendance " de la République turque de Chypre du Nord qu’elle est pourtant le seul à reconnaître.

En principe la non- application par un Etat membre d’une décision de la Cour européenne entraîne la suspension, voire l’exclusion de cet Etat du Conseil de l’Europe.

EXECTIONS EXTRAJUDICIAIRES À ADANA


Le 6 octobre 1999, un employé de ménage habitant à Adana a été exécuté par la police devant les yeux de ses enfants et de sa femme. Après avoir fait irruption " par erreur " chez la victime, la police a tiré sur Murat Bektas qui était au téléphone avec son beau-frère au service militaire. L’épouse de la victime a déclaré que la police est rentrée en cassant la porte et a tiré sur son époux à bout portant en l’atteignant à la tête. Elle même blessée s’est jetée sur son fils pour le protéger des balles puis elle a été enfermée dans une pièce alors que son mari se vidait de son sang. Les autorités turques soutiennent bien évidemment un autre discours en arguant que la victime hébergeait des terroristes et qu’il était armé. La police a également pris d’assault l’appartement voisin en tuant Erdinç Aslan et en blessant Mustafa Köprü, tous deux membres présumés de DHKP-C (Front et parti révolutionnaire du peuple)

Muzaffer Çetinkaya, directeur adjoint de la section de lutte anti-terreur, a déclaré que " rien n’avait pu démontrer qu’il [Murat Bektas] était membre d’un groupe terroriste mais l’enquête continuait " ajoutant ensuite " pourquoi voulez-vous que la police tue des citoyens innocents ? ". Certains ont à juste titre compris de cette déclaration même que la police avait recours à des exécutions extrajudiciaires s’agissant des présumés coupables. En attendant le procureur de la république d’Adana, Cemal Sahir Gürçay, a ouvert une instruction et la famille s’est constituée partie civile. Cela étant les policiers ne sont nullement inquiétés, n’encourant aucune sanction, ils exercent toujours leurs fonctions en toute impunité.

Le quotidien turc Milliyet dans son numéro du 7 octobre 1999 a fait une triste et brève énumération des dernières exécutions extrajudiciaires attribuées à la police turque sous le titre de " notre casier judiciaire est sali ". Parmi ces affaires figurent le meurtre, le 20 mai 1991, de Hatice Dilek, accusée d’être membre d’une organisation terroriste, l’exécution de Selma Çitlak et cinq autres personnes, le 13 août 1993 - un des policiers accusés était également mis en examen dans l’affaire dite de Susurluk -, l’exécution d’un adolescent de 14 ans et d’Hamdi Salgin le 11 février 1998 et le 13 mai 1996 d’Irfan Agdas, un distributeur de journaux d’extrême gauche etc…

NOUVEAUX ACTES DE CENSURE DES MÉDIA


Le RTUK, l’équivalent du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel en France, a distribué, le 5 octobre 1999, une série de sanctions à l’encontre des radios et télévisions nationales turques. Des chaînes de télévisions telles que NTV, Kanal 7, BTV et Kanal 6 ont été condamnées à un jour d ’écran noir par le RTUK tandis que des radios, telles que MIHR, Radio FOREKS ou MORAL FM, accusés d’émissions séparatistes ou réactionnaires, ont été interdites pour un mois.

Par ailleurs, un projet de loi relatif à l’audiovisuel soulève de nombreuses réactions. Tandis qu’il prévoit la diffusion obligatoire de tous les communiqués présidentiels et gouvernementaux par les différentes chaînes de télévisions et les radios nationales, il interdit tout enquête, sondage ou mini référendum sept jours précédents une élection. Pis encore, toute information touchant aux secrets d’Etat ne sera diffusée qu’après avoir prévenu le gouvernement.

" MÉMORIAL POUR LE GÉNOCIDE DES TURCS PAR LES ARMÉNIENS " À IGDIR !


Alors que l’adoption par l’Assemblée nationale française de la reconnaissance du génocide arménien avait soulevé un tollé général en Turquie, les autorités turques ont célébré le 5 octobre 1999, l’inauguration d’un " monument commémorant le massacre perpétré par les Arméniens à Igdir entre 1915-1920 ". Érigé à la " mémoire des 90 000 Turcs massacrés par des bandes arméniennes", "le mémorial de génocide ", d’une hauteur de 43,5m et ayant coûté 400 milliards de livres turques, a été élevé à l’intersection des routes conduisant à Nahcivan, l’Iran et en Arménie. Le ministre d’Etat turcs, Ramazan Mirzaoglu a émis le souhait que " l’édifice soit le mémorial de l’amitié et de la fraternité " !

LA TURQUIE EST LE PLUS SOLITAIRE DES PAYS AU MONDE


À l’occasion de la cérémonie d’ouverture de la nouvelle année d’instruction des officiers turcs, le général Nahit Senogul, commandant des académies de guerre turques, a tenu un véritable discours d’épouvante devant les élèves officiers. S’adressant à l’assemblée, le général a déclaré : " Vous verrez ici la vérité : Vous apprendrez ici les ennemis historiques de notre pays. Vous apprendrez aussi les raisons pour lesquelles l’Union européenne ne nous a pas acceptés parmi les siens. Ici, vous apprendrez la grossièreté et la haine du monde arabe contre la nation turque. Ici, vous apprendrez que la Turquie est le plus solitaire des pays au monde. Ici, vous apprendrez que le pays qui a de nombreux ennemis à l’intérieur et à l’extérieur de son pays n’est autre que la Turquie. Vous verrez ici les efforts infects de certains, désireux de prendre leur revanche de la République d’Atatürk, sous couvert de la démocratie, des droits de l’homme et de l’autorité du droit, et en usant de ces grands principes. Et en sortant d’ici vous vous demanderez, hébétés, que la Turquie sauvegarde encore son intégrité avec son territoire et sa nation. Nous sommes obligés de régler nos problèmes nous mêmes. La guerre est le dernier et le puissant moyens que nous devrons utiliser ".

LA TURQUIE VEUT-ELLE VRAIMENT ADHÉRER À l’UNION EUROPÉNNE ?


Alors que le sommet d’Helsinki s’annonce plutôt favorable pour la candidature turque, le Premier ministre Bülent Ecevit a tenu un véritable plaidoyer contre les Européens. Au cours d’une intervention, le 6 octobre 1999, à la cérémonie d’ouverture de l’Université de Baskent, M. Ecevit a tout bonnement déclaré que l’Europe occidentale était raciste. " L’adhésion à l’Union européenne est notre droit. Toutefois, certains Européens ne nous considèrent pas européens. Quant à nous, grâce à cette attitude, nous nous sommes rendu compte que le monde n’est pas seulement l’Europe. Il y a des raisons psychologiques empêchant l’adhésion turque à l’Union européenne. Primo, la Turquie est un pays musulman. La deuxième raison est la discrimination raciale. L’Europe occidentale est raciste ! En effet, un sondage d’opinion réalisé il y a deux ans par la Commission européenne a démontré que les deux tiers des pays membres sont ouvertement racistes ! " a-t-il déclaré. Le Parlement européen votait le même jour une résolution en se bornant à reconnaître à la Turquie le droit de demander son adhésion.