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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 140

3/8/1999

  1. POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE N°140 3 août 1999 · LE GOUVERNEMENT TURC AUTORISE LE BLANCHIMENT D'ARGENT PENDANT ENCORE TROIS ANS
  2. LA JUSTICE TURQUE : UN PROJET D'AMNISTIE EN FAVEUR DE 40 000 PRISONNIERS DE DROIT COMMUN NON APPLICABLE AUX PRISONNIERS D'OPINION
  3. LE CHANTEUR AHMET KAYA, MENACÉ DE 10,5 ANS DE PRISON, FAIT L'OBJET DE CAMPAGNE DE LYNCHAGE MÉDIATIQUE EN TURQUIE
  4. ANKARA DÉLIVRE UN MANDAT D'ARRET INTERNATIONAL CONTRE 32 MEMBRES DU PARLEMENT KURDE EN EXIL
  5. LE SOUS-SECRÉTAIRE D'ETAT AMÉRICAIN POUR LES DROITS DE L'HOMME DÉNONCE LE MANQUE DE DROIT D'EXPRESSION DES KURDES
  6. AFFAIRE SOYSAL : JOSCHKA FISHER DEMANDE UNE ENQUÊTE SUR LES ACCUSATIONS DE TORTURE


POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE N°140 3 août 1999 · LE GOUVERNEMENT TURC AUTORISE LE BLANCHIMENT D'ARGENT PENDANT ENCORE TROIS ANS


Le Premier ministre turc Bülent Ecevit et ses partenaires de la coalition gouvernementale ont révélé au cours d'une conférence de presse le 22 juillet 1999 " le paquet économique " sensé relancer l'économie turque en crise. Une des premières décisions du gouvernement turc est de proroger de trois ans la grâce accordée aux détenteurs de l'argent sale dans le pays. Un projet antérieur appelé par la presse turque " où est-ce que tu as trouvé cela ? " destiné à mettre le système bancaire turc en conformité avec les exigences de l'OCDE en matière de lutte contre le blanchiment d'argent douteux, aurait dû enfin entrer en vigueur cette année. L'Etat s'était effectivement engagé à ne demander aucun compte aux détenteurs d'argent aux origines douteuses si les personnes concernées faisaient leur déclaration au Fisc avant le 30 septembre 1998.

Ce délai de grâce avait été prolongé de facto depuis. Pour ranimer son économie exsangue en raison notamment du coût de la guerre du Kurdistan et de la baisse des revenus du tourisme, Ankara compte sur les ressources colossales de l'économie parallèle ($ 100 milliards par an selon Le Figaro du 13-11-98 ) et pour cela, au mépris de la légalité internationale, prolonge de trois ans sa gigantesque opération de blanchiment de l'argent sale. Par cette nouvelle décision, nul ne sera inquiété pendant trois ans sur l'origine de sa fortune. La carte blanche est ainsi donnée à la puissante mafia uvrant sous la protection de certains services de l'Etat. En 1996, le trafic de drogue avait rapporté $ 37,5 milliards à l'économie turque. La mafia russe pourrait également utiliser le système bancaire turc pour blanchir une partie de son argent. Les gouvernements occidentaux qui infligent des peines sévères à des petits dealers de banlieue restent silencieux sur l'organisation par le gouvernement turc de cette gigantesque opération de blanchiment.

LA JUSTICE TURQUE : UN PROJET D'AMNISTIE EN FAVEUR DE 40 000 PRISONNIERS DE DROIT COMMUN NON APPLICABLE AUX PRISONNIERS D'OPINION


M. Hikmet Sami Türk, ministre turc de la Justice a déposé devant la Grande Assemblée turque un projet d'amnistie au bénéfice d'environ 40 000 prisonniers. Le gouvernement turc a donc décidé de passer l'éponge sur toutes les escroqueries de plusieurs centaines de millions de francs dont trop souvent étaient impliqués des hommes politiques. L'amnistie concernera les criminels de droit commun et les délinquants financiers laissant derrière les barreaux les prisonniers politiques et d'opinion dont Leyla Zana et ses collègues, le sociologue I. Besikçi, le président de l'IHD (Association turque des droits de l'homme) Akin Birdal et d'autres intellectuels condamnés pour des " crimes contre l'Etat ".

La dépopulation carcérale permettra la mise en vigueur d'un système cellulaire vivement contesté par les prisonniers politiques. D'après les chiffres officiels du ministère turc de la justice, établis le 30 avril 1999, la population carcérale turque se chiffre à 68 764 personnes dont 10 348 prisonniers politiques ou de " terreur ". Les prisonniers de droit commun sont au nombre de 58 416. Alors que M. Turk avait indiqué que plus de 15 000 prisonniers bénéficieraient d'une amnistie générale et 20 000 autres de remises de peines allant jusqu'à 12 ans, des sources proches du ministère de la justice chiffrent à 40 000 le nombre d'amnistiés.

LE CHANTEUR AHMET KAYA, MENACÉ DE 10,5 ANS DE PRISON, FAIT L'OBJET DE CAMPAGNE DE LYNCHAGE MÉDIATIQUE EN TURQUIE


Objet d'articles injurieux et mensongers de la presse turque, Ahmet Kaya, chanteur kurde, élu musicien de l'année en 1998 en Turquie, et menacé de 10,5 ans de prison pour avoir annoncé vouloir faire aussi des chansons en kurde et défendre " la réalité culturelle kurde en Turquie ", a tenu une conférence de presse le 28 juillet 1999 à Paris. En présence de son avocat Me Osman Ergin, vice-bâtonnier du barreau d'Istanbul, Me Patrick Baudoin, président de la Fédération Internationale des Ligues des droits de l'homme (FIDH) et M. Kendal Nezan, président de l'Institut kurde de Paris, M. Kaya a déclaré qu' " un jour certains finiront bien par écrire l'histoire d'un homme parce qu'il était d'origine kurde, a voulu chanter une seule chanson en kurde et que cela ne pouvait diviser aucun pays et ceux qui liront cette histoire comprendront qu'il ne faut pas avoir peur de ceux qui chantent et de leurs chansons ".

Il a déploré par ailleurs que " la presse turque diffuse à [son] sujet des masses de nouvelles sans fondement, sans preuves, ni témoins, des commentaires partiaux " en ajoutant qu'il n'a jamais eu l'intention d'être injurieux envers son pays. " À travers ma personne, c'est une culture qui est visée " a-t-il encore souligné. La persécution de Kaya suscite de vives réactions dans les milieux artistiques en Turquie et à l'étranger.

En France, l'ancien ministre de la culture, Jack Lang, président de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, tout en déplorant la réaction des autorités turques, a transmis à Ahmet Kaya ses " profonds sentiments d'admiration pour sa détermination et pour son courage ". Cela étant, la presse turque continue de faire la sourde oreille sur les déclarations d'A. Kaya et continue de mener une " véritable de campagne de lynchage médiatique ", selon l'expression de M. Nezan au cours de la conférence de presse. La prochaine audience du procès du musicien se tiendra le 25 août à Istanbul.

ANKARA DÉLIVRE UN MANDAT D'ARRET INTERNATIONAL CONTRE 32 MEMBRES DU PARLEMENT KURDE EN EXIL


Le procureur turc, Nuh Mete Yuksel, a délivré un mandat d'arrêt international le 26 juillet 1999 contre 32 membres du Parlement kurde en exil basé à Bruxelles. Poursuivis pour " constitution de groupes armés illégaux en vue d'activités contre l'unité turque ", Ankara a ordonné l'arrestation de Yasar Kaya, le président du Parlement kurde et de ses collègues qui sont passibles d'au moins quinze ans de prison chacun. Yasar Kaya a demandé la protection de l'ONU en soulignant que les membres de son Parlement avaient le statut de réfugiés politiques et devaient être protégés par les Nations Unies.

Le Parlement kurde autoproclamé en exil à Bruxelles, créé le 12 avril 1995 à La Haye, compte 165 personnes et cherche une solution négociée au conflit kurde. Par ailleurs, une délégation de cinq personnes de ce " Parlement kurde en exil " a été reçue le 29 juillet 1999, à Vitoria par le président du Parlement autonome du Pays basque espagnol malgré les pressions turques et les protestations de Madrid. Récemment les services turcs avaient kidnappé en Moldavie un militant kurde, Cevat Soysal et l'avait ramené de force en Turquie. Sa qualité de réfugié politique en Allemagne ne lui a garanti aucune protection ni du gouvernement allemand ni de l'ONU vidant ainsi de sa substance la Convention de Genève sur la protection des réfugiés politiques. Encouragée par ce précédent impuni, la Turquie pourrait multiplier des opérations d'enlèvement à l'étranger, y compris en Europe, de ses opposants kurdes.

LE SOUS-SECRÉTAIRE D'ETAT AMÉRICAIN POUR LES DROITS DE L'HOMME DÉNONCE LE MANQUE DE DROIT D'EXPRESSION DES KURDES


En visite en Turquie en vue d'élaborer pour l'année prochaine un rapport concernant la situation des droits de l'homme en Turquie, Harold Hongju Koh, le sous-secrétaire d'Etat américain pour les droits de l'homme, la démocratie et le travail, a dénoncé le 2 août 99 " les problèmes des droits de l'homme et d'expression " des Kurdes. " Les Kurdes ne peuvent pas s'exprimer facilementLes gens qui émigrent de leur village ont des problèmes, et il y a aussi des problèmes dans les prisons " a déclaré M. Koh à Diyarbakir après avoir effectué une visite à Urfa et Mardin et plusieurs villages de la région.

Le responsable américain avait réclamé la veille une aide humanitaire pour le Kurdistan qui reste la région la moins développée avec un fort taux de chômage. Ces déclarations laissant sceptiques. L'administration américaine, tout en laissant l'un de ses membres formuler ce genre de critiques, continue d'apporter à la Turquie un soutien multiforme, y compris et surtout militaire, malgré ses violations massives des droits des Kurdes.

AFFAIRE SOYSAL : JOSCHKA FISHER DEMANDE UNE ENQUÊTE SUR LES ACCUSATIONS DE TORTURE


Le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fisher a demandé à Ankara d'enquêter sur les accusations de torture sur la personne de Cevat Soysal. Réfugié politique en Allemagne, C. Soysal a été interpellé le 13 juillet 1999 en Moldavie et remis deux heures après à des agents des services de renseignements turcs (MIT) selon un de ses avocats. Dans une lettre remise, le 28 février 99, à son homologue turc Ismail Cem, M. Fisher, a demandé que Cevat Soysal puisse être examiné par un médecin de confiance.

Le peu d'images diffusées de C. Soysal, montrent un homme incapable de se tenir debout, soutenu par deux personnes à la fois. Les avocats de l'intéressé ont déclaré qu'il avait fait l'objet de tortures multiples pendant 11 jours, après quoi les autorités turques s'étaient décidées à annoncer triomphalement son arrestation à la presse. Les avocats assurant sa défense ont déclaré le 30 juillet avoir déposé une plainte contre la Turquie auprès de la Cour européenne des droits de l'homme. D'autre part, La Cour de sûreté de l'Etat d'Ankara a envoyé le 27 juillet 99 le dossier d'Abdullah Öcalan, condamné à la peine de mort pour séparatisme et trahison le 29 juin, à la Cour de cassation. Le président Suleyman Demirel a déclaré que la Turquie était confrontée à une décision délicate. Il a indiqué le 1er août que " la décision d'exécution est politique. Bien entendu, c'est un sujet très sensible. La Turquie ne s'est pas trouvée face à un sujet si sensible depuis des années ".