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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 137

1/7/1999

  1. L'UNION EUROPÉENNE ET LE PRÉSIDENT CHIRAC APPELLENT LA TURQUIE À NE PAS ÉXECUTER LA CONDAMNATION À MORT D'ABDULLAH OCALAN
  2. LE CONSEIL NATIONAL DE SÉCURITÉ (MGK) S'APPRÊTE À FAIRE PROMULGUER DES LOIS INTERDISANT " D'EMPLOI PUBLIC LES CITOYENS SUSPECTÉS DE SÉPARATISME "
  3. 9 979 PLAINTES CONTRE LA TURQUIE DEVANT LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
  4. MESUT YILMAZ EMET DE SÉRIEUX DOUTES SUR LE BUT DES " RÉVÉLATIONS " FAITES PAR FETHULLAH GÜLEN
  5. LE PARLEMENT TURC RECONDUIT UNE PERIODE DE SIX MOIS LE MANDAT DE LA FORCE INTERNATIONALE " NORTHERN WATCH "
  6. LU DANS LA PRESSE TURQUE : AVONS-NOUS BESOIN D'UN PARLEMENT ELU ?


L'UNION EUROPÉENNE ET LE PRÉSIDENT CHIRAC APPELLENT LA TURQUIE À NE PAS ÉXECUTER LA CONDAMNATION À MORT D'ABDULLAH OCALAN


La condamnation à mort d'Abdullah Öcalan est tombée sans surprise mardi 29 juin 1999 après seulement 9 audiences. Le président de la Cour de sûreté de l'Etat d'Ankara sur l'île-prison d'Imrali, Turgut Okyay, a déclaré le leader du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) coupable d'avoir " créé l'organisation terroriste armée du parti des travailleurs du Kurdistan et ordonné des actes ayant fait des milliers de victimes innocentes " dans le but de " séparer une partie du territoire sous la souveraineté de la Turquie afin d'y créer un soi-disant Etat kurde ". Abdullah Öcalan dans sa déclaration finale a affirmé : " je refuse d'être qualifié de traitre. Je ne me suis pas battu pour diviser le pays mais pour vivre dans un pays démocratique ".

La Cour a rendu sa décision à l'unanimité des trois juges et a refusé les circonstances atténuantes qui auraient permis de commuer la peine en prison à perpétuité. La sentence devra être confirmée par la Cour de cassation turque puis la décision passera au niveau politique puisque le dernier mot revient au Parlement turc qui doit ratifier les exécutions. Plusieurs semaines, voire des mois, seront nécessaires pour arriver au bout de la procédure. Mais les avocats d'Ocalan ont en outre annoncé qu'ils allaient faire appel auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, cependant un tel appel ne sera pas suspensif

Bien qu'aucune condamnation à mort ne soit executée depuis 1984 en Turquie, la plupart des observateurs que le cas d'Ocalan pourrait faire exception. La mise en scène par la police turque des manifestations spectaculaires et très médiatisées des " familles des victimes du PKK " cherchent à préparer les esprits à la pendaison d'Ocalan. L'ancien Président turc, le général Evren, dans une interview accordée à Hurriyet, s'est dit prêt à jouer le bourreau et passer la corde au coup d'Ocalan. Un autrs chef militaire influent, le général Fusunoglu, commandant de l'armée de terre, demande que " pour des raisons humanitaires la pendaison intervienne très rapidement ". Un grand nombre de pays européens ont demandé à la Turquie de ne pas l'executer aussitôt après la prononciation du verdict. Le Conseil de l'Europe a d'ores et déjà menacé de suspendre la Turquie de ses rangs si le chef kurde est pendu. L'Europe dans son ensemble à appeler Ankara à la clémence. L'Union européenne par la voix de l'Allemagne, qui assure sa présidence tournante de l'UE, a déclaré " nous disons simplement : si la Turquie veut entrer dans l'Europe, elle doit se rapprocher des critères qui y prévalent ". Dans une déclaration rendue publique au sommet économique de Rio, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union ont condamné le verdict et rappelé à la Turquie que la peine de mort ne fait pas partie des "valeurs communes " de l'Europe. Jacques Chirac a déclaré que " la France, comme les pays européens et bien d'autres, souhaite que la peine ne soit pas exécutée et qu'elle soit commuée en une autre peine ". Le Haut commissaire aux droits de l'homme des Nations Unies, Mary Robinson, a jugé la sentence " inquiétante " étant donné les doutes qui ont pesé sur l'équité du procès. " Certains aspects de la procédure légale ( ) ont dévié de la norme internationale " a-t-elle affirmé.

Cependant les Etats-Unis ont pris soin de ne pas critiquer Ankara. " Il y a longtemps que nous pensons qu'Ocalan est un terroriste international qui doit être traduit devant la justice " a déclaré Joe Lockhart, porte-parole de la Maison Blanche.

Dans le passé le régime turc a toujours passé outre aux protestations internationales et au risque d'une crise diplomatique temporaire a fait pendre en 1961 le Premier ministre Menderes et deux de ses ministres démocratiquement élus. La Turquie se trouve dans une situation délicate aujourd'hui. Il lui est difficile de ne pas prononcer la peine de mort à son ennemi public numéro dont l'opinion publique réclame la tête, mais un même temps une pendaison représenterait un pas décisif vers une probable montée de la tension tant vis-à-vis des Kurdes que de l'Europe.

LE CONSEIL NATIONAL DE SÉCURITÉ (MGK) S'APPRÊTE À FAIRE PROMULGUER DES LOIS INTERDISANT " D'EMPLOI PUBLIC LES CITOYENS SUSPECTÉS DE SÉPARATISME "


Selon le quotidien turc Hurriyet du 25 juin 1999, le Conseil national de sécurité turc (MGK) demande des lois mettant en uvre ses décisions du 28 février 1997. Cette date marque l'offensive orchestrée par l'Armée turque contre les formations islamistes en Turquie : Par décision du MGK le Premier ministre Necmettin Erbakan avait été démis de ses fonctions et on n'avait pas manqué de qualifier cela d'un " mini coup d'Etat ". Le MGK, organe de pouvoir suprême en Turquie, appelle le nouveau gouvernement turc à faire adopter par le Parlement une série de mesures.

Le projet de loi en question vise tout d'abord la fonction publique. "Toute personne impliquée dans des activités visant la destruction et la division de l'Etat ou bien ayant porté atteinte aux valeurs de la République " seront révoquées. Ceux qui auront agi dans ce but en participant ou en provoquant des boycotts, occupation des lieux, grève, entrave ou retard dans le travail seront également chassés. Ces personnes ne pourront plus jamais occuper un emploi dans l'administration de l'Etat, les municipalités ou autres services publics dont le capital sera tenu pour plus de la moitié par l'Etat. La police et les employés du ministère de l'Intérieur sont bien évidement les premiers visés par ce texte. Les fonctionnaires suspectés seront radiés par simple rapport administratif sans jugement et sans possibilité d'appel devant la justice. Les interdictions professionnelles pour délit d'opinion supposé seront à vie.

Par ailleurs, soupçonnées de servir de paravent à des groupements religieux, les fondations pieuses seront placées sous étroite surveillance. Le Comité de contrôle et de censure de l'Etat rattaché à la présidence du Conseil sera chargé de mener toute sorte d'enquête à ce sujet et la création des fondations sera rendue plus difficile. Les autorités turques veulent également mettre des entraves à la construction de lieux de culte. Les mosquées seront désormais implantées selon les besoins avec l'autorisation de l'administration. Le MGK désire qu'une plus grande corrélation soit établie entre les lieux de culte et le ministère. Le texte prévoit également l'augmentation de la peine infligée à toute personne exerçant des missions de guides spirituels comme cheikh sunnite, baba alévi, calife, etc Cette peine passe à un an de prison majorée d'une peine d'amende. De plus toute personne " s'habillant d'une manière réactionnaire", risque 6 mois de prison. Les peines appliquées à la loi sur les vêtements se voient donc augmentées.

9 979 PLAINTES CONTRE LA TURQUIE DEVANT LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME


La Cour européenne des droits de l'homme est saisie par 9 979 requêtes mettant en cause la Turquie. Le président du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, Halldor Asgrimsson, a appelé la Turquie à prendre acte des décisions de la Cour et a rappelé que ces dernières avaient force exécutoire. " La Turquie doit également honorer sa responsabilité " a annoncé M. Asgrimsson. Contrairement aux autres pays, la quasi totalité des demandes accusant la Turquie a un fondement politique : jugement non équitable, violation de la liberté de pensée, d'association, du droit à la vie, l'insécurité des personnes et la torture. Ankara est d'ores et déjà condamné à des millions de dollars et la seule concession qu'il est fait jusqu'à présent est la démilitarisation des cours de sûreté de l'Etat qui ne change rien au fond du problème car la législation turque liberticide reste, elle, inchangée.

MESUT YILMAZ EMET DE SÉRIEUX DOUTES SUR LE BUT DES " RÉVÉLATIONS " FAITES PAR FETHULLAH GÜLEN


Réagissant aux " révélations " sur la confrérie religieuse " Nurcu " et son chef Fethullah Gülen, accusé de vouloir instaurer un régime islamiste en Turquie, l'ex-Premier ministre turc, Mesut Yilmaz a déclaré le 23 juin 1999 au quotidien Hurriyet que " le séisme du 28 février est toujours en cours ( ) Le 28 février était un tremblement de terre d'une intensité de 8 sur l'échelle de Richter en Turquie. Avec ANAP au pouvoir cette intensité est descendue à 5. Aujourd'hui encore, dans une moindre mesure, cette secousse continue d'exister. Tant que les relations entre la religion et l'Etat ne seront pas au beau fixe, cela perdurera ". Le leader du parti de la Mère partie (ANAP) qui est la troisième formation de la coalition actuelle, a déclaré au cours de la réunion de son groupe parlementaire que les enregistrements révélés au grand jour sur Fethullah Gülen ont le but de " susciter la peur ". " Si cela [les enregistrements] était fourni par un organe de l'Etat, comme la Direction de la sûreté, les services de renseignements, ou autre, et que ces personnes ou organes livraient des informations à la presse à leur guise et au moment opportun qu'ils jugent, alors on peut dire que c'est un événement grave. Cela veut dire qu'on essaye de poser des pièges aux personnes. On ne peut pas s'attendre à ce que les citoyens accordent leur confiance en un tel Etat.

L'Etat ne peut poser des piéges pour personne. On a besoin à ce propos d'un examen sérieux digne de l'Etat. S'il y a atteinte au principe laïc de la république, il est du devoir de l'Etat d'étudier cela. Personne ne pourra changer la République laïque ( ) Sous prétexte de défendre le régime, on ne peut pas mettre de côté la démocratie et les droits de l'homme. " Mesut Yilmaz a conclu en déclarant que " L'Etat est dans l'obscurité et l'obscurité est dans l'Etat. On se doit de renouveler tout le fonctionnement de l'Etat. "

LE PARLEMENT TURC RECONDUIT UNE PERIODE DE SIX MOIS LE MANDAT DE LA FORCE INTERNATIONALE " NORTHERN WATCH "


Le Parlement turc a, le 23 juin 1999, reconduit pour six mois, soit jusqu'au 31 décembre 1999, le mandat de la force internationale " Northern Watch " déployée sur la base aérienne turque d'Incirlik.

Cette force qui a été créée en décembre 1996 pour remplacer la force multinationale américano-franco-britannique " Provide Comfort ", est chargée de protéger les Kurdes d'Irak contre le régime de Saddam Hussein et de surveiller la zone d'interdiction de vol imposée au nord du 36ème parallèle depuis la fin d la guerre du Golfe. L'Assemblée turque procède à la reconduction du mandat de cette force tous les six mois.

LU DANS LA PRESSE TURQUE : AVONS-NOUS BESOIN D'UN PARLEMENT ELU ?


Ilnur Çevik, rédacteur en chef du quotidien turc anglophone Turkish Daily News, s'interroge dans un article daté du 26 juin 1999, sur l'utilité et le rôle du Parlement turc qui ne sert que de chambre d'enregistrement des décisions du Conseil national de sécurité (MGK). Voici de larges extraits de cet article :

" Il apparaît que le pouvoir suprême en Turquie est le Conseil national de sécurité et pas vraiment le Parlement qui est censé refléter la volonté du peuple.

Les leaders civils et militaires de la Turquie se rassemblent tous les mois dans le cadre d'une réunion du tout puissant Conseil national de sécurité qui prend une série de décisions présentées alors au public comme "recommandations" destinées à l'attention du gouvernement. En effet, il s'agit d'ordres directs que le MGK transmet au gouvernement et quand un Premier ministre les fait traîner en longueur pour les mettre en uvre, il s'attire des ennuis et est réprimandé par les centres du pouvoir en Turquie...

Nous en avons déjà eu l'illustration avec l'ex-Premier ministre Necmettin Erbakan, interdit de politique et encore avec son successeur Mesut Yilmaz. Nous en voyons une autre actuellement avec le Premier ministre Bülent Ecevit, mis lui aussi dans le pétrin.

Nous sommes conscients que la Turquie a traversé ces dernières années une période très sensible, voire extraordinaire, et qu'il y a de ce fait des conditions assez spéciales à satisfaire. Aussi, ne sommes-nous pas contre le MGK, ni contre aucune autre institution, car il y a un système en Turquie et ce système doit fonctionner. Ce à quoi nous sommes opposés, ce sont ces fausses images créées [pour nous faire croire] que nous sommes dans une démocratie idéale.

Le peuple a récemment élu ses représentants au Parlement. Mais, nous constatons que les décisions fondamentales ne sont pas prises au sein du Parlement, mais ailleurs, et qu'ainsi les députés sont chargés de les approuver sans discuter.

Du Président Süleyman Demirel, nous avons appris l'importance de la suprématie de la volonté du peuple [souveraineté populaire]. Il nous a suggéré de lutter pour cette suprématie et cela impliquait la revitalisation du Parlement. Reste que la tâche est loin d'être facile dans les conditions actuelles.

La situation extraordinaire en Turquie connaît les caractéristiques d'une période de post-coup d'État ( ) Certains sont accusés voire persécutés de manière arbitraire.

Les autorités sont elles-mêmes engagées dans une lutte de pouvoir tous azimuts, et de ce fait, il est difficile de dire qui contrôle quoi et où.

Que l'on nous laisse mettre un terme à toute cette confusion. Si nous devons avoir un coup d'État et une administration militaire, que nous en ayons un. Alors nous saurions les règles du jeu et nous agirions tous en conséquence. Nous espérons éventuellement que cette situation prendra fin et que nous retournerons à un régime civil.

Si nous devons avoir un système parlementaire démocratique, que nous en ayons un. Mais, arrêtez d'essayer d'imposer à la Turquie un système autoritaire alors que nous prétendons être une démocratie parlementaire. Que le MGK soit une institution de conseil mais pas la seule autorité à prendre les décisions fondamentales qui ne demande [au Parlement] que leur mise en oeuvre.

Nous ne nous en rendons pas compte peut-être, mais on rit de nous à l'étranger... "