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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 135

10/6/1999

  1. LE COMITÉ DES MINISTRES DU CONSEIL DE L'EUROPE BLÂME LA TURQUIE POUR LES " VIOLATIONS RÉPÉTÉES ET GRAVES " DES DROITS DE L'HOMME
  2. AKIN BIRDAL UN NOUVEAU PRISONNIER D'OPINION À LA PRISON CENTRALE D'ANKARA
  3. DANS SON PLAIDOYER DE DÉFENSE ÖCALAN DEMANDE UNE REFONDATION DÉMOCRATIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DE TURQUIE
  4. SCANDALE SUR FOND D'ECOUTES TÉLÉPHONIQUES : LES PLUS GROS CRIMINELS TURCS SONT EN RELATION AVEC LES PLUS HAUTES INSTANCES TURQUES


LE COMITÉ DES MINISTRES DU CONSEIL DE L'EUROPE BLÂME LA TURQUIE POUR LES " VIOLATIONS RÉPÉTÉES ET GRAVES " DES DROITS DE L'HOMME


Dans une résolution adoptée, le 9 juin 1999, le comité des ministres du Conseil de l'Europe a blâmé pour la première fois la Turquie " pour des violations répétées et graves " des droits de l'homme commises par les forces de sécurité au Kurdistan. Membre du conseil depuis sa création, la Turquie a régulièrement été à l'ordre du jour du Conseil et de son instance juridique -la Cour européenne des droits de l'homme - qui l'a condamnée à plusieurs reprises alors que des dizaines d'autres plaintes kurdes contre la Turquie sont en cours d'examen devant la Cour européenne. Le comité a d'autre part fait remarquer qu'il n'y a eu "aucune amélioration significative " et a enjoint aux autorités turques de prendre des mesures de manière " pressante " pour faire cesser les actes de torture, de destruction, d'exécutions extrajudiciaires et de disparitions.

AKIN BIRDAL UN NOUVEAU PRISONNIER D'OPINION À LA PRISON CENTRALE D'ANKARA


Akin Birdal, président de l'Association turque des droits de l'homme (IHD) et vice-président de la Fédération Internationale des droits de l'homme (FIDH) a été incarcéré le 4 juin 1999 à la prison centrale d'Ankara pour purger une peine de 10 mois de prison. M. Birdal a été condamné par la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara pour le discours qu'il a prononcé à la " Journée Mondiale de la Paix " organisée le premier septembre 1996. Accompagné à la prison par sa famille et des responsables d'organisations humanitaires, il a déclaré : " on nous a demandé de jouer le rôle des trois singes ".

DANS SON PLAIDOYER DE DÉFENSE ÖCALAN DEMANDE UNE REFONDATION DÉMOCRATIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DE TURQUIE


Le procureur de la Cour de Sûreté de l'Etat, dans la conclusion de son acte d'accusation présentées à l'audience du 8 juin, a réitéré sa demande de peine capitale pour Abdullah Öcalan. La Cour a ensuite décidé une suspension de 15 jours. La prochaine audience du procès aura donc lieu le 23 juin pour entendre la défense du chef du PKK. En attendant, son principal avocat, Me Hasip Kaplan, a porté plainte devant la Cour européenne des droits de l'homme contre la Grèce, l'Italie, la Russie, l'Allemagne et le Kenya pour avoir, par leur refus d'asile, livré Öcalan à la Turquie en contribuant ainsi à mettre en danger sa vie. Ces pays sont accusés de violation du droit à la vie protégé par la Convention européenne des droits de l'homme, le procès devant la Cour européenne pourrait avoir un effet suspensif pour l'exécution de la peine de mort à laquelle le chef du PKK, selon toute vraisemblance sera condamné fin juin.

De son côté, dans un plaidoyer dont de larges extraits ont été diffusés par la presse, A. Öcalan se prononce pour " l'union et la cohabitation démocratique des peuples turc et kurde au sein de la République ". Cela nécessite une refondation de la République afin de reconnaître aux Kurdes des droits culturels et linguistiques ainsi que la possibilité d'avoir leurs propres partis politiques afin de défendre leur revendication dans le cadre de la démocratie. En échange d'une telle solution de paix, Öcalan promet faire descendre ses partisans des maquis dans un délai de 3 mois et de mettre un terme définitif à la longue période des révoltes armées kurdes. L'Etat-major des armées sans un communiqué publié le 7 juin, a catégoriquement rejeté cette offre de paix car " l'Etat ne négociera jamais avec des terroristes ". Extraits de plaidoyers d'Öcalan :

" Au delà d'un exposé éclairé contre l'acte d'accusation du procureur de la république, la base de ma défense s'appuie sur la question kurde que je considère beaucoup plus importante et sur les moyens de passer de la dernière insurrection kurde conduite par le PKK à un accord historique et à la possibilité d'une solution. J'ai essayé d'exposer les chances d'une solution de paix à cette insurrection qui peut se comprendre comme une guerre d'intensité moyenne. À vrai dire j'avais essayé d'adopter cette ligne de conduite pour la première fois à la demande du président Özal. Le 15 mars 1993 j'avais déclaré ceci au cours d'une conférence de presse : Nous ne sommes pas dans une approche de séparation immédiate de la Turquie. Nous sommes réalistes sur ce point. Il ne faut pas entendre cette orientation comme une simple tactique. Elle repose sur beaucoup de points. Ceux qui comprennent la situation historique, politique et économique des deux peuples s'accorderont à dire qu'il n'y aura pas de scission (...) Comme je l'ai expliqué dans de nombreux reportages, nous voulons que les relations entre ces peuples soient réaménagées. La situation actuelle fait couler le sang des Kurdes et des Turcs et fait disparaître leurs biens "

" En répondant de cette manière à l'acte d'accusation du procureur de la république, j'ai essayé non seulement en mon nom propre mais également au nom du PKK dont je suis le responsable et au nom du peuple qui s'est révolté d'exposer les problèmes. Aussi appuyée de documents que puisse être l'accusation, j'ai présenté l'existence des problèmes et les raisons nécessitant nos efforts pour une solution. Pendant la révolte, il a pu avoir des fautes et des erreurs réciproques. Et j'ai indiqué les erreurs inutiles et la cruauté pour la plupart des opérations (..). Chez tous les peuples il y a de la cruauté et aussi de l'oppression mais notre plus grande consolation est de délivrer notre République de ces maux (...) C'est pourquoi je dis que ce procès devrait être l'occasion d'établir la paix sacrée. La dette à la République ne peut être payée que par l'union démocratique de nos peuples (...) La République ne peut se fonder sur la servitude et la négation (...) "

" L'union démocratique est la nouvelle marche historique de la République. Même si le Parquet de la République, en s'appuyant sur le premier programme de notre parti et mes divers discours, a conclu à la revendication d'un nouvel Etat et traduit mes propos " tout est pour l'indépendance et la liberté " en ce sens, je peux dire qu'en tant qu'un des plus importants responsables de cette expérience historique, j'ai essayé dans ma défense de montrer que mon but est d'avancer vers l'union démocratique. Même si je n'ai pas en ma possession les discours que j'ai prononcés, j'ai précisé au cours de mes cessez-le-feu unilatéraux et dans mes dialogues indirects que les conditions pour l'indépendance et la liberté, tant individuelle que populaire ne pouvaient se réaliser qu'en Turquie prise dans son ensemble et dans la démocratisation de la République "

" Dans une approche scientifique, plaider pour une revendication étatique ne peut être réaliste pour le peuple kurde qui est entravé de quatre côtés par des voisins hostiles, établi dans une géographie montagneuse, divisé aussi bien économiquement et socialement que culturellement et politiquement, doté de lourdes valeurs féodales, ne disposant même pas encore de son propre alphabet et dont la plus importante majorité travaille dans les grandes métropoles. De plus, l'expérience historique de ces deux derniers siècles et finalement la révolte du PKK ont prouvé que la solution armée en vue d'une division ne peut qu'aggraver la situation. Les deux parties seront par ce moyen en difficulté et feront face à une grande souffrance et à un préjudice. Cela étant, il n'y aura pas de division, mais le problème ne cessera pas d'exister pour autant. Le mal continuera en s'aggravant, il ne peut pas être soigné par l'élimination du malade et ne peut non plus faire l'objet d'un traitement partiel, séparé de son élément fondamental, c'est-à-dire de l'Etat "

" La plus importante des conséquences est qu'historiquement, c'est ou ce sera la fin des périodes de révoltes (...) Dans le système d'une république démocratique, il ne peut y avoir de place pour de la violence. La langue pour exprimer les problèmes ne peut être la révolte ou encore la révolution mais en temps de paix c'est l'évolution constitutionnelle qui s'impose. C'est cela qu'exige la fin du vingtième siècle (...) "

" Dans ce cadre, il incombe à notre peuple de l'Est de mener son aspiration profonde à la démocratisation avec l'Etat dans une nouvelle unité démocratique (...) Ceci est un chemin de réforme qui progressera petit à petit mais au bout de compte ce sera un progrès. Nous devons construire et développer notre démocratie ensemble. "

" Reconnaître comme héros tous les martyres qui ont oeuvré pour la création et la protection de la République, célébrer avec respect et gratitude son fondateur, saluer son drapeau avec fierté constitue un principe (...) Nous voulions en fait faire ceci : nous voulions dépasser l'énorme retard, la naïveté, la servitude de l'Est par l'amélioration, le progrès et la liberté. (...) Mais notez ce paradoxe qu'aujourd'hui nous sommes jugés (...) pour le plus grand crime contre la République. C'est une infortune et non l'expression de notre essence (...) "

" (...)Les hommes peuvent, au besoin, prendre des leçons sur les méprises et erreurs passées et atteindre la vérité. L'histoire et la société avancent de toute façon souvent de cette manière. Il appartient seulement à Allah d'avancer sur un chemin droit sans pécher. Les prophètes eux-mêmes ont avoué qu'ils n'étaient pas à l'abri d'erreurs et de fautes. Nous avons et j'ai commis des fautes. Cela a suscité beaucoup de souffrance. J'ai essayé avant tout d'exprimer cela au cours de ma déposition (...) "

" Si nous étions élevés et éduqués dans un cadre démocratique y aurait-il eu une telle révolte ? Il faut s'attendre à tout de la part d'un homme dont l'identité même est niée (...) Je voudrais insister sur ce point précisément : si je crains de me reconnaître moi-même comment pourrais-je reconnaître la république et tout son système législatif, comment pourrais-je être un homme de mon temps ? La réalité populaire dans laquelle je vis est celle-ci. De plus si la grande majorité ne s'est pas turquisée, on ne peut pas dire que ce soit de leurs fautes. D'autre part cela démontre également que le système n'est pas moderne et qu'il ne peut s'imposer de force. Ainsi les erreurs ont décuplé réciproquement et son cruel verdict s'est lu au cours de cette dernière révolte "

" Tous mes efforts sont concentrés pour trouver une solution à cette question sans plus jamais recourir au langage des armes (...) "

" Ce procès devrait être la plus importante audience pour la paix de toute histoire de la République (...) Nous démontrons avec force que sans paix honorable et juste la vie n'a de sens ni à l'intérieur et ni à l'extérieur du pays et ce constat a été avant tout le monde proclamé par Mustafa Kemal Atatürk : " la paix dans la patrie et la paix dans le monde ". Nous croyons que la République qu'il a fondée ne peut conduire à la paix que dans un cadre démocratique et que c'est le plus grand service qui puisse être rendu à la paix régionale et mondiale ".

SCANDALE SUR FOND D'ECOUTES TÉLÉPHONIQUES : LES PLUS GROS CRIMINELS TURCS SONT EN RELATION AVEC LES PLUS HAUTES INSTANCES TURQUES


Un nouveau scandale politico-mafieux est en train de secouer la Turquie depuis que des écoutes téléphoniques opérées par les services de sûreté turcs ont révélé que les plus hautes instances de l'Etat entretenaient des contacts réguliers avec les chefs mafieux et des criminels recherchés par la police. En s'appuyant sur ces écoutes, le quotidien turc Milliyet, dans un article publié le 7 juin 99 a publié les destinataires de quelques uns des appels passés par ces gros bonnets de la drogue impliqués aussi dans des crimes politiques.

Les écoutes ont démontré que Yesil, plus connu sous le nom de " Terminateur ", organisateur de l'assassinat de plusieurs dizaine d'intellectuels kurdes dont le député Mehmet Sincar, homme de main des services de renseignement turcs et recherché depuis le scandale de Susurluk, a passé plusieurs coups de file à la présidence de la république, au cabinet du Premier ministre, aux services de renseignements attachés à la présidence, au secrétariat général du conseil de sécurité nationale, à la Direction générale de la Gendarmerie, à la division à Ankara de la direction de la gendarmerie, à la direction de la sûreté des villes de Kocaeli et d'Izmir, à la direction de l'académie de la guerre et à la présidence du bureau de renseignement de la direction générale de la sûreté.

Toujours d'après les écoutes, Kursat Yilmaz, un des plus gros chefs mafieux qui a réussi à s'enfuire par deux fois des prisons turques, a contacté la présidence, le ministère de la défense, le ministère de la justice, la direction de la sûreté nationale, la direction des affaires agricoles et rurales.

Alors que les autorités interrogées sur la question crient au scandale en insistant sur les écoutes téléphoniques opérées sur les hautes autorités turques - allant de la présidence turque au Premier ministre - des voix s'élèvent pour poser la véritable question qui est de savoir la raison pour laquelle et comment ces criminels sont en relation avec les hautes instances turques ?

Pour le moment les seules personnes inquétées ne sont que les policiers en charge de ces écoutes : Le directeur de la sûreté nationale d'Ankara, Cevdet Saral et son adjoint Osman Ak ont, le 8 juin 1999, été limogés ainsi que le directeur de la division, le directeur du bureau du service de renseignement et de la sûreté, un directeur adjoint, trois commissaires et trois policiers. Les autorités turques ne semblent nullement enclines à faire une opération mains propres malgré l'ampleur et la gravité des scandales qui secouent le pays