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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 132

6/5/1999

  1. VERS UNE COALITION DSP-MHP-ANAP
  2. À TROIS SEMAINES DE LA COMPARUTION D'OCALAN SES AVOCATS MOLESTÉS PAR LA POLICE, MENACENT DE SE RETIRER
  3. TURQUERIES: TEMPÊTE AUTOUR D'UN FOULARD
  4. ARRESTATION DE L'UN DES PLUS GROS TRAFIQUANTS DE DROGUE EN TURQUIE
  5. DISSENSION ENTRE LES JUGES DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE TURQUE
  6. AFFAIRE GOKTEPE: 7,5 DE PRISON POUR SIX POLICIERS POUR "HOMICIDE INVOLONTAIRE"


VERS UNE COALITION DSP-MHP-ANAP


Le président turc S. Demirel, a, le 3 mai chargé le premier ministre sortant Bulent Ecevit de la formation d'un nouveau cabinet. Le leader du parti de la gauche démocratique (DSP) s'est aussitôt engagé dans une série de contacts et négociations avec des dirigeants du MHP, néo-fasciste, et du parti conservateur de la Mère-Patrie (ANAP) afin de former une coalition disposant d'une majorité stable au Parlement. Pour des raisons d'image, M. Ecevit essaiera de ne pas attribuer de portefeuilles sensibles (Affaires étrangères, Intérieur-Défense, Education nationale et Finances). Cependant ce parti insistera pour obtenir au moins l'important poste de président du Parlement ainsi que des ministères sérieux où il pourrait implanter à loisir ses militants. Le parti ANAP qui craint de se disloquer et de disparaître de la vie publique s'il reste dans l'opposition se montre coopératif et raisonnable. Le DYP de Mme Çiller connait de sérieux remous. La composition du nouveau cabinet composé, sauf surprise de dernière heure, de DSP-MHP-ANAP pourrait être annoncé d'ici quelques jours.

À TROIS SEMAINES DE LA COMPARUTION D'OCALAN SES AVOCATS MOLESTÉS PAR LA POLICE, MENACENT DE SE RETIRER


Le procès du chef du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdullah Ocalan, s'est ouvert, le 30 avril 1999, devant la Cour de sûreté de l'Etat d'Ankara. Le climat houleux créé par les familles des militaires tués à la guerre au Kurdistan, mobilisées par les Loups Gris soutenu par les autorités turques, s'annonce d'ores et déjà violent. Sept des dix-sept avocats d'Ocalan, qui ont assisté à l'audience, ont été battus par des policers à bord d'un véhicule de la police dans lequel ils ont été forcés de monter avant d'être relachés sur une place de marché. Les avocats ont vivement dénoncé les atteintes et obstacles posés à leur travail et ont menacé lors d'une conférence de presse à Istanbul d'interrompre leur défense si les conditions n'étaient pas réunies. "Des obstructions ont été mises à notre travail d'avocats de la défense depuis le premier jour () Nous nous sommes plaints auprès du Premier ministre, du Président, et de la Cour de Sûreté de l'Etat, mais nous n'avons même pas reçu de réponse à nos demandes () Une défense légitime n'est pas possible dans ces conditions () Nous voulons vraiment nous retirer de ce procès. Si rien n'est fait pour améliorer la situation avant l'audience, nous abandonnerons" a déclaré Ahmet Zeki Okçuoglu, chef de l'équipe des avocats. Les défenseurs ne peuvent toujours pas s'entretenir en privé avec leur client pour préparer sa défense sans la présence de soldats et d'agents des services secrets et leur sécurité n'est toujours pas garantie puisqu'aucun des policers qui ont battu les avocats n'a dû rendre de compte alors que la scène a été filmée par une télévision. De son côté, Wesley Gryk, avocat et responsable d'Amnesty International pour ce procès a déclaré: "Manifestement, les intimidations exercées contre les avocats les empêchent de faire leur travail proprement. C'est dans l'interêt de tout le monde, des familles des victimes, d'Ocalan et de la réputation du système juridique en Turquie, que le leader du PKK ait un procès équitable". Il a également déclaré que les avocats "n'avaient pas le droit d'avoir du papier, des stylos ou des documents" lors des rencontres avec A. Ocalan.

Accusé, conformément à l'article 125 du code de pénal turc de "trahison et atteinte à l'intégrité territoriale de la Turquie", A. Ocalan comparaîtra pour la première fois devant la justice turque le 31 mai sur l'île-prison d'Imrali, dans une salle de tribunal amenagée pour une centaine de personnes dont 12 avocats d'Ocalan, 12 autres de la partie civile, ainsi que 12 journalistes. La communauté internationale avait appelé à un procès "équitable" et l'Union européenne avait réclamé en février l'envoi d'observateurs internationaux. Ankara y voyant une ingérence a refusé les "observateurs" pour ne pas "porter ombrage à la justice turque indépendante". Le succès des formations ultra-nationalistes du Parti de la Gauche Démocratique (DSP) et du Parti de l'Action nationaliste (MHP) aux éléctions du 18 avril 1999 a déjà installé le décor du procès à venir.

Par ailleurs, le procès de l'ancien commandant de l'Armée de Libération du Kurdistan (ARGK), Semdin Sakik, s'est poursuivi devant la Cour de Sûreté de l'Etat le 5 mai 1999. Ce dernier, arrêté le 13 avril 1998, aurait, selon la presse turque, déclaré au cours de son audience "je regrette je demande pardon à tout le peuple turc" tout en soulignant qu'il était tout seul sans aucune assistance d'avocat.

TURQUERIES: TEMPÊTE AUTOUR D'UN FOULARD


La scéance inaugurale, le 2 mai 1999, du Parlement turc tout fraîchement élu a été très perturbée par Mme Merve Kavakçi, députée islamiste du Parti de la Vertu qui a fait son entrée à l'Assemblée nationale turque la tête couverte d'un foulard. Conspuée par des centaines de députés, notamment du parti de la Gauche Démocratique (DSP) de M. Bulent Ecevit qui ont crié "dehors, dehors!" en tapant dans leurs mains, la députée a été obligée de quitter l'enceinte du Parlement provoquant une suspension de séance pendant laquelle chaque député fait acte d'allégeance à "la république laïque" et "aux principes et réformes de Mustafa Kemal, dit Ataturk". Hors de lui, Bulent Ecevit a demandé à l'un des présidents de séance "Je vous en prie, remettez cette femme à sa place" en ajoutant "personne ne doit s'immiscer dans la vie privée des personnes, mais ceci n'est pas un endroit privé. Nous sommes ici dans les fondations mêmes de l'EtatCe n'est pas le lieu pour défier l'Etat".

Le président turc Suleyman Demirel a, le 5 mai 1999, mis en garde indirectement contre une intervention de l'armée dans la crise provoquée. "Si elle prête serment, cela provoquera la réaction Je ne peux en dire plus" a-t-il déclaré. Nul doute qu'il s'agit de l'armée turque qui se considère comme la gardienne de la laïcité de l'Etat. Le Conseil de sécurité nationale, véritable exécutif du pays, qui avait évincé le 28 février 1997 le gouvernement islamiste de Necmettin Erbakan, avait, samedi 1 mai, mis en garde la députée contre toute tentation de se présenter avec un foulard à la séance inaugurale du Parlement. La crise divise également le parti islamiste puisque son président, Recai Kutan, ayant assuré mardi 4 mai que son parti irait "jusqu'au bout" dans cette affaire, le vice-président du parti, Aydin Menderes, a démissionné jeudi 6 mai de son parti.

La justice turque a ouvert une enquête contre la députée pour "incitation à la haine raciale et religieuse" en se fondant sur l'article 312 du code pénal. La presse turque affirme qu'elle est engagée dans le jihad en citant des propos qu'elle aurait tenus lors d'un congrès de l'Union islamique palestinienne basée aux Etats-unis en 1997 où elle aurait affirmé avoir "choisi la politique comme champ d'activité pour mon jihad". En attendant n'ayant pas prêté serment, elle est empêchée d'assurer son mandat. Une autre députée Nesrin Unal, issue du MHP, est arrivée tête nue au Parlement et a déclanché un tonnerre d'applaudissements. Malgré toute cette crise, le port du foulard n'est pas explicitement interdit au Parlement, il l'est en revanche strictement dans les écoles, les universités et la fonction publique en Turquie.

Finalement cet événement n'est pas sans précédent puisqu'il rappelle étrangement les scènes de révolte hystérique des parlementaires et autorités turcs lors du serment de Leyla Zana en 1991. Le problème du foulard islamique est une question qui est remontée de la rue au Parlement turc par l'intérmédiaire de Merve Kavakçi. De la même façon par l'intermédiaire de Leyla Zana, la question et la langue kurdes avaient fait irruption dans l'Assemblée turque. Celle-ci n'avait pas eu le courage et la lucidité de prêter l'oreille aux aspirations d'une importante fractions de la population et d'y apporter une réponse politique.

ARRESTATION DE L'UN DES PLUS GROS TRAFIQUANTS DE DROGUE EN TURQUIE


L'Un des plus grands trafiquants de drogue et d'armes de ces dernières années, recherché depuis 18 ans par un mandat d'arrêt international, s'est avéré être un homme d'affaires turc multimillionnaire dénommé Ramazan Yildiz. Une opération effectuée à la demande de la police hollandaise et turque a permis son arrêstation dans sa villa d'Istanbul le 26 avril 1999. 200 trafiquants dont 89 turcs qui opéraient pour le compte de R. Yildiz au Pays-Bas, en Belgique, au Danemark, en Allemagne, en Angleterre et en Espagne ont été arrêtées avec 3,2 tonnes de drogues, 1,5 millions de florin néerlandais et 20 armes.

Ramazan Yildiz était à la tête de 15 réseaux de drogue complétement indépendants et coulait des jours heureux en Turquie sans être nullement inquiété; il participait aux marchés publics turcs et officiellement n'avait pas de casier judiciaire. Le trafiquant était pourtant compromis dans plusieurs affaires criminelles en Turquie et à l'étranger, notamment dans l'assassinat de deux ressortissants turcs le 19 novembre 1992 au Pays-Bas. Ces derniers avaient écrit le nom de Ramazan Yildiz avec leur sang avant de mourir et le criminel était recherché dès lors par Interpol. Il était également condamné à trois ans de prison en 1971 pour le meurtre de sa propre sur.

La presse turque parle déjà de ses relations avec la classe politique turque qu'il aurait financé copieusement. Cette arrêstation met une nouvelle fois en relief l'implication de la Turquie dans le trafic de drogue international. Il ya quelques mois, l'investigation de la police hollandaise avait permis d'épingler des magistrats turcs compromis également dans ce marché.

DISSENSION ENTRE LES JUGES DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE TURQUE


Les propos exhortant à plus de liberté en Turquie d'Ahmet Necdet Sezer, président de la Cour constitutionnelle turque au cours de la cérémonie du 37ème anniversaire de la haute juridiction le 26 avril 1999, n'a pas fini de susciter des remous en Turquie. Ainsi, événement sans précédent, le vice-président de cette même cour, Güven Dinçer, a vertement critiqué M. Sezer par une déclaration écrite le 29 avril 1999. "Je n'approuve pas les critiques émises par le président de la cour constitutionnelle sur la Constitution. Cette tâche devrait appartenir aux intellectuels, non aux hommes politiques et aux magistrats. Car, le défenseur originel de la Consititution est la cour constitutionnelle. Ce genre de déclaration met en cause le rôle d'arbitre de la cour et la place comme partie. Les évenements et les matières ne devront pas être considérés comme de simple question législative". Toujours selon M. Dinçer les propos du président de la cour ne sont que des opinions personnelles et n'engagent pas la cour elle-même. De plus en déclarant que les dispositions constitutionnelles relatives à la langue, soit l'article 26 alinéa 3, ne devraient pas être mises en question, le vice-président se refuse à toute discussion concernant le kurde, la langue maternelle du quart de la population du pays. Finalement il a ponctué en martelant que la protection de l'Etat forme un tout avec l'unité de la nation et du pays.

AFFAIRE GOKTEPE: 7,5 DE PRISON POUR SIX POLICIERS POUR "HOMICIDE INVOLONTAIRE"


La Cour d'Assises d'Afyon a rendu jeudi 6 mai son verdict concernant l'affaire Goktepe, journaliste de l'ex-quotidien gauche Evrensel, battu à mort par un groupe de policiers. Six policiers turcs, reconnus coupables d'"homicide involontaire" ont été condamnés à 7,5 de prison, cinq autres ont été acquittés pour "manque de preuves" alors qu'au total 48 policiers avaient été initialement inculpés dans cette affaire. En mars 1998, cinq policiers avaient été condamnés à 7,5 de prison et six autres avaient été acquittés mais la Cour de cassation avait annulé le verdict pour "vice de procédure" arguant du "manque d'enquête approfondie". Les avocats du journaliste trouvant "insuffisantes" les peines, ont indiqué qu'ils allaient faire appel.