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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 116

16/11/1998

  1. ARRETÉ À ROME, ABDULLAH OCALAN NE SERA PAS EXTRADÉ VERS LA TURQUIE
  2. CRISE GOUVERNEMENTALE SUR FOND "D'ABUS DE POUVOIR ET LIENS AVEC LA MAFIA"
  3. DÉCLARATION COMMUNE DE LA TURQUIE, DE LA GRANDE-BRETAGNE ET DES ETATS-UNIS: POUR LA SAUVEGARDE DE L'INTÉGRITÉ TERRITORIALE DE L'IRAK
  4. LES MAIRES ISLAMISTES D'ISTANBUL ET D'ANKARA FACE À LA JUSTICE TURQUE
  5. AKIN BIRDAL INTERDIT DE VOYAGER
  6. LONDRES: CONDAMNATION RECORD À 40 ANS DE PRISON CONTRE DEUX TRAFIQUANTS DE DROGUE TURCS
  7. NOUVELLE INCURSION MILITAIRE TURQUE AU KURDISTAN IRAKIEN
  8. PAS DROIT DE REPENTANCE POUR SAKIK


ARRETÉ À ROME, ABDULLAH OCALAN NE SERA PAS EXTRADÉ VERS LA TURQUIE


Devant le refus du gouvernement russe de lui accorder l'asile politique, le chef du PKK a dû se réfugier en Italie le 12 novembre. Dès son arrivée à l'aéroport de Rome à bord d'un avion d'Aeroflot en provenance de Moscou, il a été arrêté par la police italienne pour usage de faux passeport et placé en détention dans un hôpital militaire. En fait les services russes avaient informé leurs homologues turcs et italiens à la fois de l'heure d'arrivée du vol emprunté par Ocalan et de la fausse identité sous laquelle il voyageait. Le Premier ministre russe avait, de son côté, prévenu son collègue turc de l'expulsion d'Ocalan pour souligner l'attachement de la Russie à entretenir des relations de bon voisinage avec la Turquie.

A. Ocalan est actuellement visé par deux mandats d'arrêt internationaux. L'un émanant de la Turquie, l'accuse de terrorisme et de la mort de plus de 30 000 personnes dont "des centaines d'enfants et d'instituteurs". L'autre mandat émane d'Allemagne et accuse Ocalan d'homicides, de création et de direction d'organisation terroriste.

L'arrestation d'Ocalan a été saluée comme "une grande victoire nationale" en Turquie. Le Premier ministre dont la coalition étant au bord de l'implosion a profité de cette occasion pour lancer une campagne nationale et internationale pour l'extradition du chef du PKK. Les ministres turcs de la défense et des Affaires étrangères arrivés à Rome le 15 novembre pour une réunion de l'Union de défense occidentale ont longuement rencontré leurs homologues italiens pour demander l'extradition d'Ocalan vers la Turquie. "Sinon il y aura des conséquences graves et durables dans les relations entre nos deux pays" menace le ministre turc des Affaires étrangères dans une interview au quotidien italien la Repubblica du 16 novembre où il qualifie Ocalan de "criminel". Les quotidiens turcs publient un texte en italien avec les numéros de fax des principaux ministres italiens et demandent à leurs lecteurs de recopier et de faxer ce texte demandant l'extradition d'Ocalan. La population est appelée à manifester devant les consulats italiens. Dans une prison d'Istanbul un groupe de prisonniers d'extrême droite (Loups Gris) a pris en otage un prisonnier, Mauro Calesibeta et menace de la garder jusqu'à l'extradition d'Ocalan.

De son côté, le PKK mobilise ses militants et ses réseaux pour que l'Italie accorde l'asile politique à son chef. La presse du PKK affirme d'ailleurs que "le leader national est arrivé en Italie avec l'accord du gouvernement de Rome" et ne fait pas état de son arrestation. Une première manifestation soutien rassemblant environ 2000 personnes a eu lieu le 15 novembre à Rome sur la place du Celio, en face de l'hôpital militaire où Ocalan est détenu.

Le chef du PKK sera présenté le 17 novembre devant un tribunal qui lui signifiera les mandats d'arrêt le visant ainsi que la demande d'extradition turque. La défense d'Ocalan sera assurée par deux députés Vert et Communiste qui vont plaider en faveur de l'octroi d'asile politique. Le tribunal doit aussi se prononcer sur le maintien ou non en détention d'Ocalan.

Une chose apparaît à peu près sur: l'Italie ne va pas l'extrader vers la Turquie, notamment parce que la peine de mort existe dans ce pays et la liberté démocratique ne sont pas assurées. L'article 10 de la constitution italienne, l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 27 juin 1996 ainsi que les normes de la Convention européenne d'extradition empêchent une telle extradition. Le ministère italien de la Justice a indiqué le 16 juin qu'il n'avait pas encore reçu une demande formelle d'extradition turque et que si elle était présentée, elle serait étudiée dans le cadre des normes juridiques sus-mentionnées. La décision d'Ankara de faire adopter en urgence une loi abolissant la peine de mort pour surmonter l'un des obstacles juridiques majeurs à l'extradition d'Ocalan n'a guère de chances de convaincre les Italiens. Ankara demande à "son alliée et ami de l'OTAN" si elle ne peut pas pour des raisons juridiques extrader Ocalan, de l'expulser vers un pays marginal comme la Lybie. De son côté, Rome souhaiterait que l'Allemagne lui notifie sa demande d'extradition afin de lui refiler son encombrant hôte kurde mais Bonn ne semble guère pressé de le faire. Cette affaire risque donc de durer des semaines, voire des mois, voire des années.

CRISE GOUVERNEMENTALE SUR FOND "D'ABUS DE POUVOIR ET LIENS AVEC LA MAFIA"


L'arrestation et la condamnation à six mois de prison d'Alaatin Çakici (à Nice), un des plus gros parrains du milieu turc et sujet de mandats d'arrêt internationaux, continue de faire de sérieux remous au sein de la classe politique turque. A. Çakici avait reconnu lors de son interrogatoire l'existence de liens entre lui et les services de renseignement turcs (MIT). Il est vrai qu'au moment de son arrestation, il était porteur d'un passeport diplomatique. Depuis que certaines cassettes contenant des conversations téléphoniques des hauts responsables turcs avec le parrain ont été divulguées à l'opinion publique, l'affaire continue de prendre de l'ampleur.

Le Premier Ministre Mesut Yilmaz est sur la sellette depuis les révélations d'un homme d'affaires, Korkmaz Yigit, devenu un magnat de la presse en quelques mois. Dans un premier temps, des enregistrements téléphoniques publiés par la presse turque ont révélé que M. Yigit entretenait une relation suivie avec Alaattin Çakici qui lui aurait proposé d'"écarter" les autres candidats au rachat de la banque Turkbank. Puis le magnat a accusé, mardi 10 novembre 1998, M. Yilmaz d'avoir fermé les yeux sur ses liens avec Çakici au moment où il achetait Turk Ticaret Bankasi (TTB), une banque d'État appelée à être privatisée. Arrêté, M. Yigit a expliqué, dans une cassette vidéo pré-enregistrée et diffusée sur deux chaînes de télévision lui appartenant, ses liens avec ce chêf mafieux tout en affirmant que ceux ci étaient connus de M. Yilmaz et de son ministre chargé de l'Économie, Gunes Taner, qui avait été jusqu'à lui promettre un crédit pour faciliter le paiement de 600 millions de dollars dans le cadre de l'achat du TTB en juillet 98. M. Yigit a aussi affirmé avoir été encouragé par M. Yilmaz pour l'achat du quotidien turc Milliyet, pour 310 millions de dollars.

Après la révélation de ces liens, la privatisation de la TTB a été gelée à la mi-octobre 98 et le rachat du journal Milliyet a été avorté. Le ministre d'État, Eyup Asik, bras droit de Mesut Yilmaz a été forcé de démissionner car une autre cassette contenant une conversation privée très intime avec A. Çakici a été divulguée par une télévision. Mais le soutien du premier ministre turc à son ministre d'État reste aujourd'hui sans faille.

Deniz Baykal, chef du parti assurant au gouvernement de coalition de Mesut Yilmaz une fragile majorité au parlement a annoncé jeudi 12 novembre 1998 qu'il lui retirait son soutien et allait déposer une motion de censure "contre le Premier ministre pour abus de pouvoir et liens avec la mafia". M. Baykal avait critiqué, samedi 7 novembre, les relations d'Eyup Asik avec le mafieux A. Çakici en déclarant "le bras droit du Premier ministre, son plus proche collaborateur, son confident, discute avec Çakici. Si cela se passait dans un pays européen, le ministre et le chef du gouvernement auraient immédiatement démissionné. Au Japon, le Premier ministre aurait pris un revolver, posé sur sa tempe et se serait suicidé de suite".

L'opposition a dans la foulée demandé la démission du gouvernement en déposant au parlement des motions de censure sur la base "d'abus de pouvoir et liens occultes avec les milieux mafieux". Cependant M. Yilmaz a exclu, mercredi 11 novembre, toute démission en qualifiant les révélations de M. Yigit de "complot destiné à empêcher la lutte du gouvernement contre la mafia et les organisations criminelles" en Turquie. Il a également accusé les partis politiques d'opposition "d'avoir agi trop vite". "Ils auront honte parce que notre lutte contre la mafia est soutenue par l'opinion publique. Ce qui nous incombe maintenant, c'est de nous sauver de ce piège" a-t-il ajouté.

Le parlement devrait voter cette semaine pour ou contre l'inscription à son ordre du jour de cette motion. Le sort du gouvernement dépend évidemment de la position qu'adoptera le CHP de Deniz Baykal car sans le soutien de 55 députés du CHP, le DYP et le Fazilet ne parviendraient pas à obtenir une destitution du gouvernement, le nombre total de leur députés restant au dessous de la barre de la majorité absolue de 276 voix. L'arrestation d'Ocalan est venue profite aussi à la coalition gouvernementale dans la mesure où elle a complètement bouleversé l'agenda politique turque. Le cabinet Yilmaz espère gagner ainsi un peu de temps tandis que l'opinion publique désespère de sa classe politique et croit de plus en plus que tous les partis sont étroitement liés à la mafia, que sous le couvert de la lutte contre la mafia le Premier ministre et son clan cherchent en fait à éliminer les milieux mafieux proches du clan Çiller pour renforcer les positions de leurs propres amis et clients. Résumant ce sentiment l'éditorialiste Cengiz Çandar écrit dans le quotidien Sabah du 12 novembre. "En Turquie le gouvernement fonctionne comme un mécanisme de distribution de la rente de l'État ou comme un centre de coordination et d'organisation des marchés publics au profit des copains et des coquins Le Premier ministre et certains de ses ministres agissent comme des conseilles économiques des affairistes des plus douteux".

DÉCLARATION COMMUNE DE LA TURQUIE, DE LA GRANDE-BRETAGNE ET DES ETATS-UNIS: POUR LA SAUVEGARDE DE L'INTÉGRITÉ TERRITORIALE DE L'IRAK


La Turquie, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont réaffirmé, mardi 10 novembre 1998, leur attachement à l'intégrité territoriale de l'Irak dans une déclaration commune publiée à la suite des rencontres des deux principaux chefs kurdes d'Irak, Massoud Barzani du Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) et son rival Jalal Talabani de l'Union Patriotique du Kurdistan (UDK) à Ankara. Cette déclaration vise avant tout à apaiser les inquiétudes de la Turquie au sujet de l'accord de paix signé sous l'égide des États-Unis, le 17 septembre 1998, à Washington entre les deux leaders kurdes qui avaient accepté de résoudre leurs désaccords pendant une "période de transition" devant déboucher sur des élections, en principe en juin 1999, pour la formation d'une "assemblée régionale".

L'accord de Washington, conclu sans la participation d'Ankara avait été dénoncé par la Turquie, qui craint tout accord inter-kurde menaçant de servir d'exemple pour les 18 millions de Kurdes vivant sur son sol. M. Talabani qui, à son tour a été reçu par le Premier ministre turc Mesut Yilmaz, a d'autre part déclaré que son parti uvrerait contre toute organisation ayant pour objectif des attaques contre la Turquie, affirmant que le nord de l'Irak ne sera pas un sanctuaire pour le PKK.

Au terme de sa visite à Ankara, le leader de l'UPK, s'est rendu à Damas pour y rencontrer les dirigeants Syriens et obtenir sinon leur soutien, du moins leur neutralité pour le processus de réconciliation engagé au Kurdistan irakien. M. Barzani est retourné au Kurdistan.

Par ailleurs, dans un discours du 16 novembre sur la crise irakienne, le président américain Bill Clinton a publiquement appelé au soutien de l'opposition irakienne et a cité l'exemple de "la réconciliation des deux principales factions kurdes à Washington" comme un pas important de son administration pour la préparation d'une alternative au régime de Saddam Hussein.

LES MAIRES ISLAMISTES D'ISTANBUL ET D'ANKARA FACE À LA JUSTICE TURQUE


Recep Tayyip Erdogan, maire islamiste d'Istanbul, a été déchu de ses fonctions jeudi 5 novembre 1998 par le Conseil d'État, en raison de sa condamnation à dix mois de prison pour propos "visant à la provocation raciale et religieuse". La Cour de Sûreté de l'État de Diyarbakir avait condamné le 21 avril 1998 M. Erdogan considéré comme un grand espoir du mouvement islamiste turc. Le verdict avait été confirmé le 23 septembre dernier et le 26 octobre il avait démissionné du parti islamiste de la Vertu (Fazilet). La justice turque reproche à M. Erdogan un discours prononcé en décembre 1997 dans la province de Siirt. "Les mosquées sont nos casernes, les minarets nos baïonnettes, les coupoles nos casernes et les croyants nos soldats", vers cité d'un poème de Mehmet Akif Ersoy, auteur de l'hymne national turc!

Conformément à la loi turque, par cette condamnation M. Erdogan perd tous ses droits civils à vie. Le conseil municipal d'Istanbul dominé par le parti de la Vertu, a élu avec 111 voix un autre maire islamiste, Ali Mufit Gurtana, jusqu'aux élections municipales prévues en avril 99.

Par ailleurs, le maire islamiste d'Ankara, Melih Gökcek, a été arrêté jeudi 12 novembre 1998 à la demande de la Cour de sûreté de l'État pour corruption. Un rapport du ministère de l'intérieur avait souligné de nombreuses irrégularités dans le cadre des attributions des marchés publics accusant M. Gökcek d'avoir favorisé des entreprises pro-islamistes. Cependant le Parlement turc a repoussé à la fin de la législature la demande de levée d'immunité parlementaire de Mehmet Agar, ex-ministre de l'Intérieur de Mme Çiller, accusé d'avoir organisé des escadrons de la mort responsables de l'assassinat de plusieurs milliers d'opposants kurdes.

AKIN BIRDAL INTERDIT DE VOYAGER


Akin Birdal, président de l'Association turque des droits de l'homme (IHD) a, lundi 9 novembre 1998, été interdit de sortie par la police turque. Le défenseur des droits de l'homme voulait se rendre à Oslo non seulement pour des soins médicaux suite aux blessures occasionnées par l'attentat perpétré contre lui en mai 1998 mais également pour faire un discours à l'Institut Nobel d'Oslo.

Le Premier ministre norvégien, Kjell Magne Bondevik a, mardi 10, appelé les autres États nordiques à protester contre ce traitement réservé au président de l'IHD qui doit bientôt être incarcérer.

LONDRES: CONDAMNATION RECORD À 40 ANS DE PRISON CONTRE DEUX TRAFIQUANTS DE DROGUE TURCS


Les tribunaux britanniques ont condamné, jeudi 5 novembre 1998, deux Turcs à des peines records de 30 et 40 ans de prison pour trafic de drogue d'une valeur de £ 30 millions. Les trafiquants habitant dans le nord de Londres ont été arrêtés le 8 août 1998 et 157 kilos d'héroïne venant de la Turquie a été saisi.

Il s'agit certainement d'une condamnation exemplaire de dissuasion car les observateurs ne cessent de dénoncer la Turquie comme la plaque tournante de la drogue en soulignant que 75% des drogues saisies en Europe passent par la Turquie.

NOUVELLE INCURSION MILITAIRE TURQUE AU KURDISTAN IRAKIEN


Selon la presse turque, quelque 20 000 hommes, appuyés par des avions et des hélicoptères de combat, participent à une nouvelle incursion turque au Kurdistan irakien. M. Yilmaz a indiqué que cette opération a été lancée contre des "centaines de membres de l'organisation séparatiste (PKK) qui on été chassés par les autorités de Damas du territoire syrien" tout en soulignant que l'offensive "est une opération limitée". Les troupes turques auraient pénétré de 20 à 30 kms à l'intérieur de l'Irak.

Dans un message adressé au secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, le chef de la diplomatie irakienne, Mohamed Saïd Al-Sahhaf, a exhorté, mardi 10 novembre, à intervenir pour obtenir le retrait des troupes turques. De plus, la Ligue Arabe a appelé le même jour Ankara à cesser ses incursions en indiquant son "indignation".

Une semaine après l'offensive lancée par Ankara, le premier bilan officiel publié le 12 novembre, fait état de "85 rebelles du PKK tués dans le nord de l'Irak". L'armée turque lance chaque année à cette période des opérations d'envergure contre les guérilleros kurdes en vue de détruire leurs préparatifs logistiques pour l'hiver.

PAS DROIT DE REPENTANCE POUR SAKIK


La Cour de Sûreté de l'État (DGM) de Diyarbakir a rejeté mercredi 11 novembre 1998 la demande de Semdin Sakik, l'ex-commandant du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) de bénéficier de la loi sur les repentis. Après sa défection en raison de désaccords avec son chef Abdullah Ocalan, S. Sakik a été capturé dans le nord de l'Irak par les troupes turques en mai dernier. Jugé pour trahison, le DGM a justifié son rejet par le fait que cette loi n'était pas en vigueur actuellement.

La loi sur les repentis, mise en vigueur par le parlement turc pour des durées limitées, prévoit une réduction de peine pour les rebelles kurdes qui se rendent aux forces de sécurité turque ou déposent les armes. Le procureur a réclamé la peine de mort pour S. Sakik.