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PROGRAMME
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LISTE
Intervenants
INTERVENANTS
Hamid Bozarslan
Gerard CHALIAND
Fuad HUSSEIN
Najmaldin O. KARIM
Pierre Jean LUIZARD
Danielle Mitterrand
Adnan MUFTI
Kendal Nezan
Siyamend OTHMAN
PRESSE
Arabic News
Associated Press
I Herald Tribune
Jeudi 28 novembre 2002
Mouna Naim
Mouna Naim 2
Marc SEMO
IMAGES

VIDÉO
Vidéo

C O N F E R E N C E   I N T E R N A T I O N A L E
Quel avenir pour les Kurdes en Irak ?

Le vendredi 29 novembre 2002
Organisée par : l`Institut kurde de Paris


INTERVENTION

Par Gérard CHALIAND



On se souvient que l’insurrection des Kurdes, encouragée par les Etats-Unis, à la fin de la guerre du Golfe, l’hiver de 1991, fut écrasée par Saddam Hussein, provoquant l’exode de près de deux millions de réfugiés. Les télévisions occidentales ont répercuté ces images de tragédie, ce qui conduisit la France, puis la Grande-Bretagne, à demander que ces populations soient protégées. Les Nations Unies adoptèrent une résolution en ce sens et les Etats-Unis lançaient l’opération humanitaire « Provide confort ». Par ailleurs, ils garantissaient l’inviolabilité du territoire kurde, au Nord du 36e parallèle, en établissant une zone d’exclusion aérienne. Ainsi est née la situation que connaissent les Kurdes depuis plus d’une décennie, tout au moins ceux qui ont la chance de vivre dans ce Kurdistan d’Irak, disposant d’une autonomie de facto. Après trente années de répression, les populations jouissaient enfin d’un havre de paix.

Il est regrettable, qu’entre 1994 et 1996, les deux mouvements kurdes, le P.D.K de Massoud Barzani et l’U.P.K de Jallal Talabani aient cru nécessaire de s’affronter. La médiation des Etats-Unis a contraint les adversaires à mettre fin à ce conflit et grâce à la résolution 986 du Conseil de Sécurité de l’O.N.U., le Kurdistan d’Irak reçoit une aide substantielle avec le programme « Pétrole contre nourriture ». La région perçoit 13% des revenus du pétrole irakien, ce qui s’est chiffré, en six ans à 3,5 milliards de dollars perçus à travers les diverses agences des Nations Unies.

Le visiteur est frappé par ce que les deux administrations kurdes, celle du Nord, comme celle du Sud ont réussi à mettre en place en quelques années. Réseau routier, bâtiments, santé, éducation. Selon les Nations Unies, la mortalité infantile a considérablement baissé. Sur une population de 3,7 millions de personnes, on compte 800 000 enfants scolarisés, trois universités et près de

20 000 étudiants et étudiantes. Bref, malgré le nombre de réfugiés, le chômage ou le sous-emploi, les pesanteurs historiques, le Kurdistan d’Irak, de l’avis de tous les observateurs, est un remarquable exemple de réussite en matière de développement. J’ai été, comme d’autres, particulièrement sensible au traitement des minorités ethniques et religieuses. On sait à quel point celles-ci, dans maints pays de la région, sont discriminées ou opprimées. Au Kurdistan d’Irak, Turkmènes, Assyriens, Chaldéens et Yezidis disposent de droits cultuels et culturels et de surcroît, ont des représentants politiques au Parlement.

La situation du Kurdistan d’Irak était d’emblée une situation d’exception, marquée par le sceau du provisoire. Dans le cadre de la République d’Irak, dont ils se réclament, les Kurdes ont toujours su qu’il y aurait un « après Saddam ». Ce processus aurait pu intervenir après la mort naturelle du dictateur. La montée au pouvoir des Républicains semble en avoir décidé autrement.

La guerre du Golfe n’avait pas été menée à terme en 1991 parce que la disparition du régime de Saddam Hussein, essentiellement fondé sur les Sunnites (22%) faisait craindre une montée des Chiites (55%) qui inquiétait l’Arabie Saoudite, tandis que l’Iran de Khomeyni restait menaçant. Le choc du 11 septembre 2001 a contribué à modifier, pour Washington, la perception de ses intérêts géopolitiques. L’Arabie Saoudite a cessé d’être un allié sûr. L’investissement de l’Irak permettrait, grâce au pétrole de ce pays, de marginaliser l’Arabie Saoudite et isolerait l’Iran dans le même temps. Il est hautement probable que pour une majorité de la population, composée à plus de 75% de Chiites et de Kurdes, les Etats-Unis seraient accueillis en libérateurs, au moins dans un premier temps. La base sociale de Saddam Hussein, malgré son plébiscite à 100%, est fort mince et son pouvoir repose sur la terreur à un degré dépassant largement les autocraties de la région. Mais, dans le même temps où ils seraient considérés comme porteurs de liberté, les Etats-Unis seront perçus, au Moyen Orient et dans le monde arabe, comme des agresseurs, compte tenu de leur connivence de facto avec la politique de colonisation accélérée du Likoud en Cisjordanie. Telle est l’une des contradictions de la situation actuelle.

Les efforts de la France et de la Russie pour que la conception de l’intervention préventive et l’unilatéralisme ne soient pas imposés et que les règles internationales mises en place depuis la fin de la Seconde guerre mondiale soient respectées ont abouti à un répit. Le régime de Saddam Hussein dispose d’une dernière chance pour se plier à toutes les exigences d’inspection d’armes de destruction massive. Elles avaient été interrompues par l’Irak il y a quatre ans. Les préparatifs de la guerre, cependant, indiquent la volonté, mainte fois déclarée du Président George W.Bush de déboucher, dès que l’occasion s’en présentera, sur le conflit. L’enjeu de celui-ci, qui n’est rien moins qu’un remodelage du Moyen-Orient plus conforme aux intérêts des Etats-Unis et de leurs alliés, est trop important pour y renoncer. Cependant, une seconde contradiction, celle-ci en partie issue de Washington même, paraît grever, pour l’instant, l’avenir. Quel régime prendra éventuellement la place de celui de Saddam Hussein ? Démocratique nous dit-on. Mais les diverses factions des oppositions irakiennes semblent en désaccord et les Etats voisins, Iran et Turquie, intriguent pour influer sur l’avenir. D’autre part, le Pentagone et le Département d’Etat, c’est notoire, n’ont pas la même façon de voir ni les mêmes candidats à une succession. Bref, si l’opération militaire paraît quasiment inéluctable, la nature du régime, qui serait démocratique et fédéral, tel que le souhaitent les Kurdes, dans le cadre des frontières de l’Irak, ne semble pas encore assuré. Lui seul, pourtant, pourrait justifier une opération qui rendrait aux Irakiens une liberté et une prospérité dont ils ont été trop longtemps privés.