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Bulletin N° 197 | Août 2001

 

 

tags: N° 196-197 | juillet-août 2001

VERDICT DE LA COUR EUROPÉENNE : LEYLA ZANA ET SES COLLÈGUES N’ONT PAS EU UN PROCÈS ÉQUITABLE

La Cour européenne des droits de l’homme a, le 17 juillet, rendu son verdict dans l’affaire de Leyla Zana, ex-députée du Parti de la démocratie (DEP, dissous, pro-kurde), et ses collègues, Orhan Dogan, Selim Sadak et Hatip Dicle : Elle condamne à l’unanimité la Turquie pour la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et statue que les députés kurdes ont été condamnés par un tribunal qui n’était ni indépendant ni impartial à l’issue d’un procès non équitable.

Mme Zana, lauréate du prix Sakharov 1995 du Parlement européen et nominée la même année pour le prix Nobel de la paix, purge une peine de 15 ans de prison, infligée en 1994 par la Cour de sûreté d'Ankara pour “ appartenance à une bande armée ” et activité “ séparatiste intense sous la bannière du PKK ” (Parti des travailleurs du Kurdistan, interdit). La députée et les trois autres parlementaires avaient été arrêtés en mars 1994 après la levée de leur immunité parlementaire. Ces quatre anciens parlementaires se sont plaints devant la Cour européenne de Strasbourg de l'iniquité de leur procès devant la Cour de sûreté d'Ankara, où un juge militaire siégeait encore à l'époque (avant une modification de la loi durant le procès du chef kurde Abdullah Ocalan). En 1999, Mme Zana avait déjà obtenu une condamnation de la Turquie à Strasbourg, après une requête présentée en même temps que cinq autres députés du DEP qui se plaignaient de la durée excessive de leur garde-à-vue (12 à 14 jours) en 1994, sans contrôle de l'autorité judiciaire.

La Cour européenne conclut à l’unanimité que la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara n’était pas un tribunal indépendant et impartial au sens de l'article 6 de la Convention européenne. La Cour a estimé qu’ “ il est compréhensible (…) que les requérants, qui répondaient devant une cour de sûreté de l'Etat de l'accusation de tentative de nuire à l’indépendance et à l'unité de l’Etat, aient redouté de comparaître devant des juges au nombre desquels figurait un officier de carrière appartenant à la magistrature militaire. De ce fait, ils pouvaient légitimement craindre que la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara se laissât indûment guider par des considérations étrangères à la nature de leur cause. Bref, on peut considérer qu’étaient objectivement justifiés les doutes nourris par les requérants quant à l'indépendance et à l'impartialité de cette juridiction. ”

La Cour européenne juge également à l’unanimité qu’une atteinte a été portée au droit des requérants à être informés d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre eux, ainsi qu’à leur droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense. La qualification des accusations portées contre les députés du DEP avaient été modifiée lors de la dernière audience de leur procès. L’accusation leur reprochait à l’origine d’avoir prôné le “ séparatisme ” et d'avoir porté “ atteinte à l'intégrité de l'Etat ”. Or, le jour de l’arrêt, le 8 décembre 1994, la cour de sûreté de l’Etat les a invités à élaborer sur-le-champ leur défense face à une nouvelle accusation, à savoir celle d’appartenance à une organisation armée illégale. Elle a ensuite rejeté leur demande tendant à l’obtention d’un délai supplémentaire pour la préparation de leur défense contre la nouvelle accusation.

Par ailleurs, la Cour relève que pour retenir la culpabilité des anciens députés que : “ les deux juridictions saisies se sont notamment basées, en leur accordant un poids déterminant, sur les dépositions des témoins [nldr : notamment de Sedat Bucak, chef de tribu devenu député du parti de la Juste Voie (DYP), et l’unique rescapé de l’accident de voiture de Susurluk, reflétant la collusion de l’Etat et du monde politique avec la mafia turque] qui avaient affirmé devant le procureur de la République avant le procès que ces requérants avaient agi comme porte-paroles du PKK. ” La Cour retient que “ ni au stade de l'instruction ni pendant les débats, les intéressés n’ont pu interroger ou faire interroger ces témoins. Ils n’ont donc pu contrôler leur crédibilité, ni jeter un doute sur leurs dépositions ”.

La Cour européenne estime que les requérants ont subi de telles atteintes à leurs droits de la défense qu’ils n’ont pas bénéficié d'un procès équitable. Il y a donc eu violation dans leur chef du paragraphe 3 d) de l'article 6, combiné avec le paragraphe1.

Leyla Zana et ses collègues se plaignaient également d’avoir été condamné pour avoir exprimé, en leur qualité de députés, les revendications de la population d'origine kurde en Turquie et pour avoir développé, dans le cadre de leurs partis politiques, des solutions pacifiques à la question kurde en Turquie. L’Union Interparlementaire avait d’ailleurs souscrit à leur thèse et estimé qu’ils ont été condamnés, entre autres, pour avoir exprimé leurs opinions politiques. Elle relève également que les juridictions nationales, en choisissant de condamner les requérants pour “ appartenance à une organisation séparatiste ”, les ont de surcroît empêchés de bénéficier de remises de peine ou de mises en liberté conditionnelle, possibilités reconnues pour les délits d’opinion. À l’instar de la Commission, la Cour estime que “ la question juridique principale posée par les présentes requêtes consiste à savoir si les accusations portées contre les requérants ont été établies à l’issue d’un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention. Ayant déjà répondu par la négative à cette question, elle souscrit à la conclusion de la Commission selon laquelle il ne s'impose pas de statuer séparément sur les griefs relevant des articles 10, 11 et 14 de la Convention ”. La Cour européenne estime donc inutile d'examiner les autres griefs invoqués par les requérants sur des violations à la liberté d'expression, la liberté d'association et l'interdiction de discrimination puisque le caractère inéquitable du procès est établi.

En conclusion la Cour alloue 25 000 USD à chacun des quatre requérants, soit la somme de 100 000 USD pour dommage moral et la somme totale de 10 000 USD pour frais et dépens.

L'arrêt pourrait entraîner de la part du Comité des ministres du Conseil de l'Europe une demande de révision de la procédure et peut-être de libération de l'ancienne parlementaire et des autres requérants associés à sa plainte. Le Comité des ministres, exécutif du Conseil de l'Europe, est chargé de contrôler l'exécution des arrêts de la Cour dans les 43 pays membres de l'organisation.

Par ailleurs, la Turquie a été condamnée le même jour dans le cadre de neuf autres affaires. (Le texte intégral de ces arrêts est consultable sur le site : http://hudoc.echr.coe.int/hudoc).

Le 10 juillet, la Cour européenne avait condamné le gouvernement turc pour le meurtre d’un Kurde, Mehmet Serif Avsar.

Ce civil kurde avait été enlevé par sept hommes, dont cinq gardes de village (des civils), et un inconnu qui fut identifié quatre ans plus tard comme pouvant être un sergent de l'armée, actuellement en fuite à l'étranger. Le corps de la victime avait été retrouvé le 7 mai 1994 à l'extérieur de Diyarbakir. Près de six ans plus tard, les gardes ont été condamnés l'un à vingt ans de prison pour meurtre, les autres à six ans et huit mois de prison pour séquestration.

Dans son arrêt, la Cour européenne a souligné que cette affaire mettait en lumière “ les risques qu'il y a à utiliser des volontaires civils pour exécuter des fonctions quasi policières ”. La Cour souligne qu’il a été établi qu'à cette époque, des gardes de village étaient utilisés régulièrement pour toutes sortes d'opérations officielles, y compris l'arrestation de suspects. Les juges européens relèvent qu’aucun contrôle n'a été exercé sur les gardes effectuant des missions en dehors du district. Par ailleurs, les gardes de village n'étaient pas soumis à la discipline et à la formation que subissent les gendarmes et les policiers, ce qui pouvait conduire à des abus.

La Cour européenne a alloué près de 80.000 livres sterling à la famille de la victime pour dommages moral, matériel et frais.

NEW YORK : POUR EVITER LE VETO RUSSE L’ONU REPORTE LE DÉBAT SUR LES SANCTIONS «INTELLIGENTES » SUR L’IRAK

Faute d’accord entre ses cinq membres permanents sur les sanctions intelligentes, le Conseil de sécurité de l’ONU, pour éviter un veto russe a décidé, le 3 juillet, de reconduire pour cinq mois le programme « pétrole contre nourriture » et de reprendre en décembre le débat sur les sanctions « intelligentes ».

La résolution 986 dite « pétrole contre nourriture » adoptée en décembre 1996 qui permet à l’Irak de vendre, actuellement des quantités non limitées, de pétrole pour faire face aux besoins humanitaires de sa population civile fait l’objet de nombreuses critiques et polémiques dans sa mise en œuvre.

L’Irak, dans le cadre de cette résolution, avait en 1997, vendu 4 milliards de dollars du pétrole. En 2000 il en a vendu pour $18 milliards, somme considérable qui permet au régime irakien de pratiquer une politique clientéliste agressive récompensant ses partisans en fonction de leur ardeur et de leur poids diplomatique et punissant ses adversaires militant pour le maintien du régime des sanctions.

Membre permanent du Conseil de Sécurité, la France qui, à partir de 1975, fut la principale partenaire commerciale de Bagdad, y compris et surtout dans le domaine des ventes d’armes, demeure la première bénéficiaire des contrats irakiens. Du moins pour la période 1997-200 où elle a pu vendre pour 3 milliards de dollars de véhicules utilitaires Renault, des minibus Peugeot, du matériel de télécommunications Alcatel, etc.

Le régime irakien semblait jusqu’à il y a quelques mois apprécier les efforts déployés par la diplomatie française en faveur de la levée des sanctions qui lui permettra de disposer enfin à sa guise des revenus considérables des ventes de pétrole. Actuellement ces revenus sont reversés sur un compte séquestre de l’ONU ; 25% sont affectés aux réparations de guerre et frais des agences de l’ONU 13% aux trois provinces du Kurdistan sous administration kurde.

Les contrats commerciaux présentés par Bagdad pour être financés par ses revenus sous séquestre doivent être approuvés par le Comité des sanctions de l’ONU qui veille à ce que le régime irakien n’acquière pas par ce biais du matériel à double usage, civil et militaire, susceptible d’être utilisé dans la production des armements.

Les critiques reprochent au Comité des sanctions sa lourdeur bureaucratique et son fonctionnement tatillon. De son côté, le régime irakien refuse d’utiliser ces revenus pour les besoins alimentaires et sanitaires de la population civile, prenant celle-ci en otage et jouant délibérément la carte de « civils irakiens affamés par l’impérialisme américain ». Ainsi, alors que le 13% de revenus alloués au Kurdistan ont permis une amélioration notable des conditions de vie et d’éducation de la population kurde (voir en revue de presse « Le fragile printemps kurde », p. 133), celles de la population irakienne restent préoccupante tendis que, Bagdad conserve sur son compte séquestre ouvert à l’agence BNP de New York de l’énorme somme de $13 milliards non utilisée.

Pour combattre la propagande irakienne qui a un impact dans le monde arabe, mais aussi, grâce à des puissants lobbies, dans certains secteurs de l’opinion occidentale, un projet dit de « sanction intelligentes » a été élaboré par la diplomatie britannique après de longs mois de concertation avec les Européens et les Américains, y compris les ONG. Selon ce projet, l’Irak sera autorisé à importer tous les produits dont il a besoin hormis une liste d’articles précis à double usage civil et miliaire. Cependant les revenus de la vente du pétrole irakien seront toujours versés sur un compte-séquestre de l’ONU, avec un pourcentage (13%) affecté aux provinces kurdes et une part allouée aux réparation de guerre. De plus, l’ONU va agir pour interdire le commerce illicite du régime irakien avec les Etats frontaliers (Turquie, Jordanie, Iran et Syrie) qui rapporte de 1 à 2 milliards de dollars de revenus discrétionnaires à la dictature de Saddam Hussein.

Après d’âpres discussions, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et la Chine se sont mis d’accord sur une liste de 12 pages de produits que l’Irak n’aura pas le droit d’importer.

Cependant la Russie, à qui Bagdad doit une dette de $ 8 milliards pour des ventes d’armes dans les années 1980, continue de militer pour la levée totale des sanctions dans l’espoir de recouvrer ses créances grâce à la reprise de ses relations commerciales avec l’Irak. Le 2 juillet Moscou a brandi la menace d’opposer son veto et empêché que ce projet de résolution ne soit mis aux voix « dans l’intérêt de l’unité du Conseil ».

Washington qui a pu obtenir la coopération de la Chine en échange d’une autorisation de vente de 90 millions de produits chinois à l’Irak va d’ici décembre s’efforcer de trouver des compensations pour Moscou afin de s’assurer son adhésion.

Les pays frontaliers de l’Irak, notamment la Turquie et la Jordanie exigent également des compensations financières pour leur coopération dans la mise en œuvre de sanctions intelligentes qui devraient mettre un terme à leurs trafics fructueux mais illicites avec l’Irak.

De son côté Bagdad utilise à fond l’arme des contrats. « La politique est une affaire d’intérêts non de morale » affirme avec superbe l’ambassadeur irakien à l’ONU, Mohamed Douri,, cité par le Washington Post du 3 juillet. « Si les Français et les autres prennent une position positive au Conseil de sécurité, ils vont certainement en tirer profit. C’est la politique irakienne » ajoute-t-il.

Résultat : Paris est depuis près d’un an pénalisé en raison de son rapprochement avec Washington. Les ventes françaises à Bagdad ne représentaient plus que $ 310 millions au second semestre de 2000 contre $ 616 millions durant le premier semestre de la même année. Dans le second semestre de 2000, l’Egypte, avec des ventes de $ 740 millions est devenue le premier fournisseur de l’Irak, suivie des Emirats arabes unis ($ 703 millions).

Les relations syro-irakiennes se réchauffent grâce à la vente, à des tarifs très réduits, d’un milliard de dollars de pétrole à Damas.

Même les Néerlandais, alliés fidèles de Washington, s’activent pour que le régime des sanctions intelligentes autorise la reprise des investissements étrangers en Irak afin d’assurer le retour de sa compagnie Shell. Cette proposition est soutenue par la France d’autant plus que Total et Elf ont déjà sous signé d’importants contrats qui attendent l’autorisation de l’ONU pour se réaliser. D’ici décembre, ces marchandages risquent donc d’être ardus.

DÉBUT DE RECONCILIATION ENTRE PARIS ET ANKARA

Le chef de la diplomatie française Hubert Védrine s’est rendu le 26 juillet à Ankara pour “ une visite de réconciliation ”, après six mois de brouille consécutive à l'adoption par la France d'une loi reconnaissant le génocide arménien que la Turquie n'a toujours pas complètement digérée.

M. Védrine, invité par son homologue turc Ismail Cem, a été reçu par le Premier ministre Bulent Ecevit au cours de cette courte visite de travail, première reprise de contacts à ce niveau depuis janvier 2001. L'adoption par le Parlement français d'une loi reconnaissant comme ce génocide les massacres d'Arméniens perpétrés sous l'Empire ottoman et sa promulgation par le président Jacques Chirac avaient déchaîné les foudres de la Turquie, qui nie un génocide. Ankara avait rappelé pendant quatre mois son ambassadeur à Paris « pour consultations » et les firmes françaises avaient souffert pendant plusieurs mois des retombées, avec exclusions d'appels d'offre, annulations de contrat, et tracasseries administratives. La dure crise économique que traverse la Turquie a cependant largement contribué à raccommoder les relations, même sans grande chaleur officielle. Ankara continue de maintenir ses sanctions commerciales dans le domaine des ventes d'armes. “ Nous avons décidé de regarder vers l'avenir, sans oublier le passé ”, a résumé M. Cem lors d'une conférence de presse commune. “ Il existe une décision gouvernementale (sur les sanctions) et elle ne changera pas ”.

Selon François Rivasseau, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, M. Védrine a examiné avec M. Cem le processus de rapprochement entre la Turquie et l'Union européenne, la question épineuse de Chypre et le projet de défense européenne --auquel Ankara s'oppose car il l'exclut du processus de décision en tant que non-membre de l'UE-- et l'état des réformes économiques menées par la Turquie pour surmonter la crise. Différentes questions régionales concernant les deux pays, notamment le Caucase du Sud, l'Irak, le Proche-Orient et les Balkans, ont également été abordées. Paris, comme Ankara, plaide pour un allègement des sanctions imposées à l'Irak depuis son invasion du Koweit en 1990.

Le vote des députés français “ a eu un impact négatif sur nos relations (...), mais la France est traditionnellement un membre de l'Union européenne qui soutient la Turquie ”, a poursuivi Ismaïl Cem. Pour sa part, M. Védrine a simplement expliqué que Paris souhaite exprimer sa “ solidarité ” avec la Turquie qui connaît des difficultés économiques et a souligné que l'UE devait prendre en compte les préoccupations turques, mais a appelé Ankara à “ comprendre et faciliter ” les projets européens. Signe de la fraîcheur des relations franco-turques, le président Ahmet Necdet Sezer, a décidé d'ignorer la visite de M. Védrine, qu’il n’a pas reçu pour protester contre le vote français sur le génocide arménien, à l’en croire la presse turque.

Par ailleurs, une délégation de patrons français du Medef, reçue par le Premier ministre Bulent Ecevit et le ministre turc de l’économie, Kemal Dervis, a, le 13 juillet, plaidé la confiance pour la Turquie en crise et a appelé à investir dans ce pays. “ Notre visite est un signal d'encouragement à investir dans le long terme dans ce pays en lequel nous avons confiance ”, a souligné lors d'une conférence de presse Ernest-Antoine Seillière, président du Medef (Mouvement des Entreprises de France). “ Les pays émergents ont par le passé connu des crises violentes (...) C'est peut-être même au moment des doutes qu'on peut avancer plus vite ”, a-t-il fait valoir, en rappelant que les entreprises françaises sont déjà les premières en termes d'investissement en Turquie.

La visite de la délégation du Medef, représentant une cinquantaine de grandes entreprises françaises, est intervenue alors que la Turquie en crise connaît de forts remous liés aux doutes sur la capacité du gouvernement à appliquer un programme de réformes conclu avec le Fonds monétaire international. La délégation du Medef a eu, le 12 juillet, à Istanbul des entretiens avec des représentants de TUSIAD, l'organisation patronale turque.

LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME APROUVE À UNE PETITE MAJORITÉ L’INTERDICTION DU PARTI REFAH

La Cour européenne des droits de l'Homme a donné raison, le 31 juillet, au gouvernement d'Ankara en estimant fondée sa décision de dissoudre le parti Refah (parti islamiste de la Prospérité) au nom de la laïcité de l'Etat. Les juges européens de Strasbourg ont, par 4 voix contre 3, estimé que les valeurs prônées par les dirigeants du parti de la Prospérité Refah, comme l'instauration de la charia et la “ guerre sainte ” pour arriver à leurs fins, étaient incompatibles avec la Convention européenne des droits de l'Homme, de même que les responsables du Refah “ avaient laissé planer un doute sur leur position quant au recours à la force afin d'accéder au pouvoir et, notamment, d'y rester”.

Le Refah (Parti de la Prospérité), fondé en 1983 et dirigé par l'ex-premier ministre turc Necmettin Erbakan, était devenu le premier parti politique du pays après les élections législatives de 1995, avec plus de 4,5 millions d'électeurs. Trois ans plus tard, sous la pression de l'armée, la Cour constitutionnelle turque prononçait la dissolution du Refah en janvier 1998 au motif que ce parti s'était transformé “ en centre d'activités contraires au principe de laïcité, portant ainsi atteinte à l'ordre démocratique turc ”. M. Erbakan, 74 ans, et deux ex-vice-présidents et députés du Refah, Sevket Kazan (ancien ministre de la Justice) et Ahmet Tekdal, ont alors porté plainte devant la Cour européenne de Strasbourg, estimant violés leurs droits à la liberté de réunion et d'association (article 11), à la liberté d'expression (10), l'interdiction de la discrimination (14) la protection de la propriété et le droit à des élections libres.

Malgré l'opinion dissidente de trois juges autrichien, chypriote et britannique, quatre juges de la Cour européenne (le Français Jean-Paul Costa, la Norvégienne Hanne Sophie Greve, l'Albanais Kristaq Traja et le Turc Riza Turmen) ont en effet jugé que les sanctions appliquées par la justice turque aux trois responsables du Refah, déchus de leur qualité de députés et interdits d'exercer une fonction politique pendant cinq ans, pouvaient “ raisonnablement être considérées comme répondant à un besoin social impérieux pour la protection de la société démocratique ”. “ Même si la marge d'appréciation des Etats doit être étroite en matière de dissolution des partis politiques, le pluralisme des idées et des partis étant lui-même inhérent à la démocratie, l'Etat concerné peut raisonnablement empêcher la réalisation d'un projet politique incompatible avec les normes de la Convention européenne, avant qu'il ne soit mis en pratique par des actes concrets risquant de compromettre la paix civile et le régime démocratique dans le pays ”, insiste la Cour européenne.

Pour les juges européens, “ un parti politique dont les responsables incitent à recourir à la violence et/ou proposent un projet qui ne respecte pas une ou plusieurs règles de la démocratie ou qui vise la destruction de celle-ci ne peut se prévaloir de la protection de la Convention contre les sanctions infligées pour ces motifs ”. “ Des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l'évolution incessante des libertés publiques ” sont étrangers à la charia, selon la Cour. “ Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l'Homme et de soutenir un régime fondé sur la charia qui se démarque nettement des valeurs de la Convention européenne ”, notamment en ce qui concerne les règles en droit pénal, les supplices utilisés comme sanctions pénales, la place qu'elle réserve aux femmes dans l'ordre juridique et à son intervention dans les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses, selon l'arrêt.

Les questions du port du foulard islamique ou de l'organisation des horaires de travail en fonction de la prière ou du Ramadan ne constituent pas, prises isolément, des menaces imminentes pour le régime laïque en Turquie, estime par ailleurs la Cour européenne. Toutefois, en Turquie, les prises de position en faveur de ces deux thèmes étaient “ conformes au but inavoué du Refah d'instaurer un régime politique fondé sur la charia ”, ajoute l’arrêt. Le président du Refah, l'ancien Premier ministre Necmettin Erbakan, avait encouragé le port du foulard dans les établissements publics et scolaires, notamment en décembre 1995, en déclarant que “ les recteurs d'université (allaient) s'incliner devant le voile quand le Refah (serait) au pouvoir ”, bien que le port du foulard ait été déclaré inconstitutionnel depuis 1989.

Les juges autrichien, britannique et chypriote ont toutefois publié, à la suite de l'arrêt, une “ opinion dissidente ”, dans laquelle ils contestent l'interdiction d'un parti sur le seul fondement de déclarations de certains de ses dirigeants. “ Rien dans les statuts (du Refah) ni dans son programme n'indique que ce parti était hostile à la démocratie ”, estiment les trois juges.

“ C'est un grand soulagement pour les laïcs du pays…Il y avait ce point d'interrogation de savoir si la conception de la laïcité en Turquie était compatible avec la Convention européenne. À présent, cette discussion est terminée ”, analyse Mehmet Ali Birand, journaliste dans plusieurs quotidiens turcs.

Cependant, la décision de la Cour a été critiquée par plusieurs représentants des milieux libéraux, reflet d'un débat sur la réalité de la menace que représente l'islam politique turc pour la démocratie dès lors que les moyens employés contre lui ne sont pas forcément jugés démocratiques. Pour Yucel Sayman, bâtonnier d'Istanbul, “ c'est une décision très politique, qui trahit un sens très étriqué de la démocratie ”. “ Strasbourg condamne une intention, et non une réalisation… Car on ne peut pas dire que les actes du Refah, au gouvernement ou dans l'opposition, aient jamais confirmé la volonté de changer le régime politique de la Turquie, de contrevenir aux règles démocratiques ”, estime Ahmet Insel, professeur d'économie à l'université francophone Galatasaray d'Istanbul. “ Cet arrêt montre que l'Europe continue de percevoir le fondamentalisme comme une menace pour elle aussi ”, selon Rusen Cakir, islamologue et journaliste.

La fermeture du Refah en 1998 par la Cour constitutionnelle turque avait été précédée par une intervention de l'armée, qui se considère comme la gardienne des principes laïques en Turquie. Elle avait fait pression pendant des mois pour obtenir, en juin 1997, la démission de Necmettin Erbakan, Premier ministre depuis un an en coalition avec Mme Tansu Ciller, et chef du Refah. Ce processus est décrit par nombre de commentateurs turcs comme un “ coup d'Etat post-moderne ”, après les putschs militaires de 1960, 1971 et 1980. Le successeur du Refah, le parti de la Vertu (Fazilet), aux accents plus modérés, a été interdit, en juin 2001.

En 1998 et en 1999, la Turquie avait été condamnée à Strasbourg pour l'interdiction de trois formations politiques d'inspiration marxiste ou pro-kurde. L'arrêt de la Cour est susceptible d'appel, l'une des parties ayant la possibilité de demander, dans un délai de trois mois, le renvoi de l'affaire devant la grande chambre de 17 juges.

L’ANCIEN MAIRE D’ISTANBUL CRÉE UN PARTI DE LA JUSTICE ET DU DÉVELOPPEMENT (AK PARTI)

Une nouvelle formation, issue de l'interdiction par la justice turque du parti islamiste de la Vertu (Fazilet), a été, le 14 août, fondée par Recep Tayyip Erdogan, ancien maire islamiste d’Istanbul. Le parti de la Justice et du Développement (AK parti) voit le jour moins d'un mois après la création de celui du Bonheur (Saadet) par la branche conservatrice, sur les cendres du Fazilet, 3ème force politique du pays, fermée par la Cour constitutionnelle pour “ activités anti-laïques ”.

“ C'est le moment le plus heureux de ma vie. Il s'agit de l'ouverture d'une nouvelle page pour notre peuple ”, a déclaré M. Erdogan au cours d'une conférence de presse à Ankara après que des membres fondateurs eurent déposé les statuts de la formation au ministère de l'Intérieur comme le veut la loi. Il a assuré qu'une “ transparence totale et la démocratie ” régneraient au sein du parti, critiquant l' “ oligarchie ” dans les autres formations. “ Rien ne sera comme avant en Turquie, croyez-moi ”, a-t-il ajouté.

Aucun ex-député du Fazilet ne figure parmi les 73 membres fondateurs composés pour la plupart d'universitaires, d'intellectuels et de juristes, tous inconnus de l'opinion publique sauf M. Erdogan. 51 députés ont rejoint ce nouveau parti alors que le parti du Bonheur dirigé par l'ex-chef du Fazilet Recai Kutan compte 48 députés.

Selon ses fondateurs, le parti de la Justice et du Développement (AK parti) souhaite s'adresser à un électorat plus large que le Fazilet dont la rhétorique pro-islamiste séduisait essentiellement des électeurs religieux et irritait les dirigeants de cet Etat musulman mais laïque, notamment l'armée très influente qui se considère comme la gardienne des principes laïques.

M. Erdogan a été autorisé le mois dernier à rentrer dans l'arène politique, grâce à une décision de la Cour constitutionnelle levant l'interdiction de politique à vie qui l'avait frappé il y a deux ans pour un discours considéré comme une incitation à la haine raciale ou religieuse. Il avait aussi entre temps purgé quatre mois de prison. Depuis, il affirme avoir “ changé ” dans le but de rallier les suffrages du centre-droit. Mais ses détracteurs l'accusent de cynisme et d'opportunisme, relevant qu'un homme politique ne change pas en milieu de carrière. Les modernistes ont appelé à une réforme du système politique turc, selon eux foyer de corruption, de népotisme et responsable de la grave crise économique traversée par le pays. Concernant la liberté d'expression, ce nouveau parti est pour des émissions en kurde, a indiqué Abdullah Gul, un responsable du parti. Jeu de mots qui symbolise la volonté de ce changement : AK --sigle de Justice et de Développement (Adalet et Kalkinma)-- veut dire blanc en turc, c'est-à-dire exempt de toute corruption. Le parti est symbolisé par une ampoule électrique.

La division officialisée des ailes “ traditionaliste ” et “ moderniste ” devrait toutefois affaiblir le mouvement islamiste. Et les deux formations subiront l'épreuve du feu lors des prochaines élections, en principe prévue pour 2003, car chacune devra obtenir au moins 10 % des voix pour siéger au Parlement. Le Fazilet avait recueilli 15 % des suffrages aux législatives de 1999.

LU DANS LA PRESSE TURQUE

LA SITUATION ÉCONOMQUE ET DÉMOGRAPHIQUE DES RÉGIONS KURDES SELON LES CHIFFRES OFFICIELS


Mustafa Sonmez, dans un article publié le 15 juillet sous le titre de “ L’histoire de la Turquie de l’Est et du Sud-Est ” dans le quotidien turc anglophone Turkish Daily News, passe en revue la situation officielle démographique et économique des régions kurdes. Voici des larges extraits de cet article qui abonde de chiffres officiels que les autorités turques sont peu enclines à donner et à publier.

“ Il n’y a pas d’effort officiel pour déterminer le poids en nombre [des Kurdes]. Jusqu’en 1965, les recensements contenaient une question sur la langue maternelle et la langue secondaire dont une des réponses au choix était le kurde. Dans le dernier recensement de ce genre datant de 1965, 2,2 millions de personnes ont déclaré le kurde comme leur langue maternelle et 1,15 million autres comme la seconde langue. En 1965, la population en Turquie comptait 31,4 millions d’âmes. Ces chiffres montrent qu’un peu plus de 10 % de la population était familier du kurde. De nombreux sociologues et politiciens pensent cependant que ce chiffre ne reflète pas correctement la population d’origine kurde en Turquie. Seule une chose est claire : La Turquie discute de la question kurde, qui occupe continuellement son agenda, sans donnée démographique propre, et dans l’obscurité.

D’autre part, il faudrait répondre à la question comment définir géographiquement les régions d’est et du sud-est. Quelles villes devraient être incluses dans la “ région ” et quelle autres devraient en être exclues ? Comment le pays devrait être “ divisé ” ? Selon la division administrative de 1990, 19 villes sont comprises dans les régions du Sud et Sud-est. Gaziantep, Sivas et Kahramanmaras sont les trois villes dont l’inclusion est disputée. Cependant, celles-ci sont des villes de transition...

La Turquie se situe parmi les pays ayant un sévère problème d’inégalité régionale (…) La différence entre Kocaeli (ouest), la ville enregistrant le plus grand PNB par habitant en Turquie, et Mus (est), qui enregistre le plus bas, est de 1 pour 11. Les villes les mieux loties à l’Est et au Sud-est sont Elazig, Malatya et Diyarbakir. Cependant même ces villes sont loin de la moyenne nationale quant au revenu par habitant. Les villes et régions les plus pauvres en Turquie sont Mus, Agri, Bitlis, et Bingol. Dans ces villes, le PNB par habitant est en dessous de nombreux pays d’Afrique.

(…) La région en entier se situe la dernière quant à la croissance économique et au développement. Elle prend également la plus petite part du revenu national disponible (…) Selon les données de l’Institut de statistique de l’Etat (SIS), nous avons le tableau suivant :

Dans la région où l’agriculture prévaut comme moyen de subsistance, l’inégalité des propriétés atteint des proportions monstrueuses, le climat est rude, et la région a été le théâtre d’une guerre civile ces 15 dernières années.1,947 million de familles, soit 14,5 % des familles du pays y vivent. D’autre part, la région utilise seulement 10,2 % du revenu national. Dans la région, le revenu moyen par famille est de $ 3 851, soit 30 % inférieur à la moyenne nationale.

Le revenu par famille de la région est 43 % inférieur à celui d’une famille habitant les régions de Marmara ou d’Egée, où le chiffre atteint $ 6 834, mais aussi 66 % en dessous d’Istanbul qui enregistre $ 11 637 par famille.

La province la mieux lotie de la région est Erzurum, où le revenu moyen par famille est de $ 6 067, 10% au-dessus de la moyenne nationale. Autre centre important, Malatya enregistre $ 4 600 de revenu moyen. Quant à Diyarbakir, ce chiffre est de $ 3 567. Il est intéressant de noter que Gaziantep, habituellement considérée comme la plus développée ville de la région, se situe en dessous de Diyarbakir avec $ 3 400. (…)

Dans la moitié des années 80, les investissements liés au GAP (projet de l’Anatolie du Sud-est) ont été un remède partiel aux problèmes économiques, mais n’ont pas produit d’effets positifs répartis dans toute la région. La guerre civile déclenchée au milieu de la décennie 80 a mis les vies et les propriétés en danger et a joué un rôle déterminant dans l’effondrement économique de la région. De nombreuses mesures prises par le gouvernement telles que le système de “ gardiens de village ”, ont amené une période où les conditions d’une “ économie de la guerre ” sont devenues dominantes. Cette économie non-productive principalement tributaire des dépenses du gouvernement n’a non seulement fourni rien d’autre qu’une subsistance limitée pour une part de la population, mais a également contribué à la mort de l’activité productive dans la région. Les méthodes utilisées par l’Etat pour isoler le peuple du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ont ébranlé la confiance de cette population vis-à-vis du gouvernement et découragé les activités commerciales (…) Les conséquences négatives de la fuite des forces de travail et des capitaux ont continué en augmentant au cours des décennies 80 et 90, périodes durant lesquelles la population régionale était prise dans un étau entre l’Etat et le PKK. (…)

D’après le recensement de 1990, la population régionale était de 9,396 millions. Celui-ci montre également qu’il y a environ 12 millions de personnes nées dans les villes de l’Est. Cela veut dire que 30 % de la population régionale, soit 3,607 millions de personnes, ont migré à l’Ouest et y vivent. Pour des raisons économiques et politiques, ce taux a probablement augmenté de 1 à 2 points en 1997. Par conséquent, un tiers des originaires de l’Est habitent en dehors de la région. Pour certaines villes, le taux est plus de 50 %. Prenons Tunceli comme exemple : 53 % de la population a migré. Seule la moitié des 463 000 personnes enregistrées à l’état civil d’Erzincan y habite toujours. Kars, qui a vu sa population émigrer après 1980, a 45 % de sa population qui vit ailleurs, ce chiffre est de 42 % à Siirt, 36 % à Erzurum et 35 % à Mardin.

La ville qui enregistre dans la région le taux le plus faible en ce qui concerne la migration de sa population est Diyarbakir, suivie d’Urfa, Van, Batman, Sirnak et Hakkari. 15 à 20 % de la population y ont émigré en quittant leur terre. Cependant, dans ces provinces il y a un mouvement considérable d’exode rural vers la ville. Les évacuations forcées et la crainte de la violence, ont conduit les villageois vers les villes où la majorité vit dans des conditions de pauvreté abjecte.

Où va donc toute cette population ? Bien sûr dans des grandes villes, avec Istanbul comme destination de prédilection. Encore une fois, le recensement de 1990 montre que 1,057 million de personnes nées à l’Est vivent à Istanbul, ce qui veut dire que près de 15 % de la population d’Istanbul est originaire de l’Est. La majorité est issue de la ville de Kars avec 215 000 personnes, suivie d’Erzincan avec 150 000 personnes, puis Malatya 140 000 et Erzurum avec 130 000 personnes.

Le second centre d’attraction après Istanbul est la ville d’Izmir. En 1990, 317 000 personnes originaires de l’Est habitaient à Izmir dont la moitié venue d’Erzurum (56 000), de Kars (51 000) et de Mardin (46000).

Adana est la troisième grande ville enregistrant la migration de l’Est, avec 263 000 personnes en 1990, venues majoritairement d’Urfa, de Mardin, d’Adiyaman et de Diyarbakir (…)

En 1965, les 19 villes d’Est et du Sud-Est généraient 10,6 % du PNB de la Turquie (…) En 1979, ce chiffre est tombé à 8,6 %, et en 1995 à 7,4 %. (…)

Quelques mots sur le GAP (…) La production hydroélectrique aura des effets limités dans la région (…) Les trois quarts de la production énergétique en Turquie s’utilisent pour l’industrie. Étant donné que les industries sont établies à l’Ouest, la production est générée à l’Est et consommée à l’Ouest. Selon les données de la corporation de l’électricité turque (TEAS), alors que la consommation énergétique moyenne par personne en Turquie est de 625 kWatt par heure et par an, ce chiffre est de 349 kWatt / heure à l’Est. Une portion substantielle de l’énergie produit par GAP sera donc consommée à l’Ouest, et le reste sera exporté (…) Les effets des centrales de production hydroélectrique sur le chômage seront très limités. La force de travail nécessaire pour une grande centrale est entre 100 et 200 personnes.

Les conséquences positives durables du GAP viendront des investissements relatifs à l’irrigation. GAP, qui irriguera 80 % des terres irrigables, causera des changements significatifs dans la production agricole. Cependant les habitants de la région ne bénéficieront pas pleinement des rentes engendrées par les investissements étatiques, car la région du Sud-Est est celle qui est marquée le plus par une distribution inégale des terres en Turquie.

38 % des familles paysannes de la région sont sans terre. Ce taux atteint les 48 % à Urfa, où l’on note la plus importante concentration des propriétaires terriens, et 45 % à Diyarbakir. Pendant que 5 % des familles possèdent 65 % des terres, une grande majorité, soit 70 %, ne détiennent que 10 % des terres. (…)

Le fait que le GAP ne produira ses fruits que vers le milieu du XXIe siècle, que la croissance dans la production agricole rencontrera de sérieux problèmes de marché, et même si ces questions sont résolues, GAP par lui-même n’est pas suffisant pour solutionner les problèmes de développement du Nord-Est. Nous avons besoins d’un projet d’Anatolie de l’Est pour la région. ”

« LE LIVRE ROUGE » DE L’ARMÉE TURQUE


Can Dundar, journaliste au quotidien turc Milliyet, saisit l’occasion de la polémique lancée par le vice-Premier ministre Mesut Yilmaz qui dans son discours au cours du congrès de son parti - où il a été élu, le 6 août, pour la cinquième fois, à une très forte majorité--, a mis en cause le concept de la sécurité nationale, domaine sacro-saint de l’armée turque, s’attirant ainsi les foudres de l’armée et des conservateurs, tous deux réunis dans l’Etat profond. L’armée turque n’a pas tardé à réagir en déclarant le 7 août qu’“ il est dangereux de critiquer le concept de sécurité nationale car cela peut avoir des développements négatifs dans le pays… la sécurité nationale ne devrait pas être exploitée à des fins politiques… [et que] les matières concernant l’existence, le bien être…de la nation turque devraient être discutées sur des plate-formes sérieuses ”. Par ailleurs, le quotidien turc anglophone Turkish Daily News, a, le 8 août, annoncé l’élaboration par l’Etat-major turc d’un nouveau document de politique de sécurité nationale remplaçant celui daté de 1997. Voici de larges extraits de l’article de Can Dundar publié sous le titre de “ livre rouge ” le 7 août :

“ Dans un tiroir secret de l’Etat, il y a un livre avec une couverture rouge. Peu de personnes savent ce qu’il contient, mais les initiés disent que c’est “ la Constitution secrète de la Turquie ”. Ainsi, la Turquie est régie selon les lois stipulées dans ce livre.

Parlons brièvement de l’époque du “ rédacteur ” de ce livre :

En 1949, un Haut Conseil de la Défense Nationale a été fondé à Ankara pour “ échafauder la stratégie de la défense ”. Ce conseil est composé de 17 ministres civils et du chef de l’état-major turc.

En 1961, la perte de confiance vis-à-vis des civils des militaires qui ont renversé Menderes a également eu des conséquences sur cette institution. Un conseil de sécurité nationale (MGK) a été fondé pour donner des “ recommandations ” en matière de défense. Le chef d’état-major, qui ne disposait jusque-là que d’une seule voix, a pris auprès de lui les trois autres commandants de l’armée. Le tableau était de 4 militaires pour 8 civils.

Avec la Constitution de 1982, le MGK a commencé à donner au gouvernement des “ notifications ” et non plus de “ propositions ” en matière de défense. L’équilibre dans le conseil composé de 10 membres a été modifiée au préjudice des civils : 5 militaires, 4 civils et le président de la république.

C’est probablement cette institution qui est appelée “ l’Etat profond ”, dont l’influence dans l’administration étatique n’a fait que s’accroître ces 50 dernières années.

Le cerveau du MGK est “ le secrétaire général ”. Son nom est peu connu, mais il est célébré comme étant “ le Premier ministre de l’ombre ”. 250 personnes travaillent sous ses ordres. Sa mission ; “ assurer la continuité de l’Etat ”… Si l’on compare l’Etat à un cheval, assurer que le cheval galope dans la même direction sans tenir compte du changement de cavalier…

Comment cela se passe-t-il ?…

“ Le président de la politique de la sécurité nationale ”, qui est un des quatre adjoints du secrétaire général, élabore la stratégie. Du classement des menaces contre l’Etat à la politique économique, des priorités culturelles aux préférences en matière de la politique étrangère, tout sera rédigé dans ce document et puis cuisiné au secrétariat général pour être transformé en livre rouge. Après le MGK, il est d’abord approuvé par le conseil des ministres. Le Parlement, - même en sachant rien du contenu- ne peut voter de lois contraire à ce livre.

Tout pouvoir élu est invité à un briefing au secrétariat général du MGK dans les trois mois. On y explique au nouveau cavalier “ la stratégie de la défense nationale ”.

Et s’il y avait une quelconque contradiction entre le programme du nouveau parti au pouvoir et ce livre ?…

Il y a de cela des années, j’avais interpellé l’ancien secrétaire général du MGK, le général Dogu Bayazit, sur cette question :

“ Le parti au pouvoir change de nombreux concepts de son programme lorsqu’il est mis au courant sur le fond de la politique de la sécurité nationale ”, avait-il répondu.

C’est donc de cela que Mesut Yilmaz parle lorsqu’il dit que “ l’on devrait soulever le rideau" sur le “ syndrome de la sécurité nationale ”…

“ Le livre rouge ” ouvre la voie à ceux qui portent l’uniforme d’exercer sur les gouvernements un pouvoir despotique.

Même si les militaires prétendent que “ le document de la politique de la sécurité nationale est approuvé par le conseil des ministres ”, l’on a pu ouvertement constater à l’instar du 28 février que dans la pratique “ le cheval ” se débarrasse par tout moyen du cavalier qui ne respecte pas les décisions.

Depuis des années, à maintes reprises, en polémique avec l’armée pour ses sorties, défenseur obstiné de l’adhésion à l’UE qui “ bouleversera les relations de pouvoir ”, Yilmaz a touché la corde hautement sensible avec ces propos. (…)

On peut dire ce que l’on veut, après la fin de la guerre froide, alors que les dépenses en matière de défense n’ont fait que baisser partout dans le monde, le fait est que la Turquie qui prétend avoir combattu les menaces du séparatisme et de la charia, augmente ses dépenses militaires de plus 50 % - Un géant comme les Etats-Unis consacre 3 % de son PNB au budget de la défense – et la part du budget de la défense représente 5,4 % du PNB dans une Turquie en crise, cela ne peut que nous interpeller.

Connaître le contenu du “ document de la politique de la sécurité nationale ” qui définit tout notre avenir et discuter de la proportionnalité entre les menaces encourues et l’argent qui sort de nos poches est notre droit naturel.

Si la couverture du “ livre rouge ” s’ouvre, la Turquie ne sera pas la seule bénéficiaire puisque le MGK accusé trop souvent de “ pouvoir de l’ombre ” pourra également exploiter l’occasion ”.

ANSI QUE...

NOUVELLES VICTIMES DE LA GRÈVE DE LA FAIM DES PRISONS TURQUES


Ali Koc, 30 ans, est décédé, le 8 juillet, dans un hôpital d'Ankara après avoir jeûné de façon intermittente pendant 251 jours. Détenu dans une prison d'Ankara, il était en attente de procès pour appartenance présumée au Front révolutionnaire de libération du peuple, une organisation interdite en Turquie. Il est la 28e personne à mourir en Turquie dans le cadre d'un mouvement de protestation contre le nouveau système pénitentiaire de haute sécurité qui isole les détenus.

Mahmut Gokhan Ozocak, 41 ans, membre de la même organisation, était décédé, au domicile d'un ami, le 4 juillet, à Izmir. M. G. Ozocak avait entamé son jeûne voilà plus de six mois alors qu'il purgeait une peine de 14 ans en raison de son appartenance à une organisation interdite. Il avait poursuivi sa grève de la faim après sa libération en mai 2001.

Le 3 août, Muharrem Horoz, 28 ans, est décédé dans un hôpital d'Izmit où il avait été admis dix jours auparavant en raison de la gravité de son état, après 236 jours de jeûne. Horoz, membre présumé du groupuscule maoïste clandestin Armée de libération des paysans et des ouvriers de Turquie (TIKKO), était jugé pour un attentat perpétré en mars 1999 contre le gouverneur de la province de Cankiri qui avait fait 3 morts et 10 blessés.

Le 31 août, avec le décès de Hülya Simsek, le nombre de personnes mortes des suites de la grève de la faim contre les prisons de Type-F, s’est élevé à 32.

Hülya Simsek s’est éteinte au 285e jour de la grève de la faim. Elle avait entamé une grève de la faim à Bursa à la fin de l’année 2000, alors que les autorités turques avaient commencé à transférer de force des prisonniers d’un certain nombre de prisons du pays dans les nouvelles geôles de type-F. Par la suite, elle était venue à Küçükarmutlu (Istanbul), où elle est décédée.

Plus de 200 personnes, des détenus politiques et des membres de leur famille, sont en grève de la faim depuis l'an dernier. La plupart prennent de l'eau salée et sucrée avec des vitamines pour prolonger au maximum leur mouvement. Toutes protestent contre les transferts depuis des établissements traditionnels vers de nouvelles prisons, où les cellules n'abritent qu'un seul prisonnier, trois dans le meilleur des cas. Selon les grévistes de la faim, ce nouveau système place les détenus à la merci des gardiens. Les premiers transferts en décembre ont déclenché des affrontements qui ont fait 30 morts parmi les prisonniers et deux chez les militaires.

Par ailleurs, l’intervention, appelée “ l’Opération de retour à la vie ” en décembre 2000 des militaires turcs dans les prisons, continue à soulever de nombreuses polémiques. Le rapport d’autopsie d’Alp Ata Akçayöz, un des détenus de la prison d’Umraniye, victime de l’opération, indique clairement qu’il a été tué par “ une arme de longue portée ” de deux balles tirées d’une longue distance.

Dans une lettre adressée à la famille de la victime [ndlr : reprise par le quotidien Milliyet du 10 juillet ], Mehmet Akdemir, un de ses codétenus, écrit : “ Ils ont percé huit trous dans le plafond avec des compresseurs… et y ont projeté des produits toxiques qui nous brûlaient de partout. C’était comme une chambre à gaz… Nous avons commencé à sortir par trois ou par quatre. Ata était dans le premier groupe… Et puis nous avons entendu trois ou quatre tirs ”. La famille de la victime s’insurge et dénonce le fait que le rapport d’autopsie ne puisse être dans leurs mains qu’au bout de sept mois de lutte administrative.

LE VETO TURC À LA FORCE DE RÉACTION RAPIDE EMPOISONNE LES RELATIONS AVEC L’UNION EUROPÉENNE


Le maintien du veto de la Turquie à la concrétisation de la force de réaction rapide décidée par les Quinze irrite de plus en plus l'Union européenne. Les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont, le 16 juillet, débattu du refus d'Ankara de donner son feu vert à l'utilisation des moyens de l'Otan par cette force de 60.000 hommes en cours de constitution au sein de l'UE.

“ Le sentiment général, c'est que la Turquie ne devrait pas tenter de ralentir la mise en place de la politique européenne de défense et qu'elle devrait employer des moyens plus européens pour défendre ses thèses ”, a déclaré Hubert Védrine, le chef de la diplomatie française. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, a abondé dans le même sens en estimant que la Turquie ne devait pas espérer accélérer son adhésion à l'Union européenne en utilisant l'Otan comme moyen de pression : “ On ne peut pas bloquer d'un côté et croire qu'on parviendra à obtenir quelque chose de l'autre ”.

Tous les pays de l'Otan sont d'accord pour que l'UE fasse appel aux outils de planification et aux moyens de l'Alliance lorsqu'elle utilisera cette force de 60.000 hommes qui, à partir de 2003, doit pouvoir mener des missions de maintien de la paix. Mais la Turquie, membre de l'Otan mais non de l'UE, veut être associée à la prise de décision dans l'UE, arguant du fait que la plupart des opérations européennes se dérouleraient dans son arrière-cour, affectant donc ses intérêts vitaux. Les diplomates turcs citent souvent l'exemple d'une hypothétique opération européenne à Chypre, qui se ferait avec les moyens de l'Otan sans qu'Ankara n'ait son mot à dire.

À Nice, en décembre 2000, les dirigeants européens se sont engagés à informer et à consulter Ankara, mais ne peuvent accepter l'intrusion d'un pays tiers dans leurs affaires. Un compromis avait été trouvé fin mai 2001, avant la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Otan, les Britanniques agissant comme médiateurs avec les autorités turques. Mais, selon plusieurs diplomates européens, les militaires qui détiennent un vrai pouvoir à Ankara ont refusé d'accepter le texte négocié par le ministre turc Ismail Cem.

La véritable échéance pour la levée du veto turc est fixée à la fin de l'année : si ce n'est pas fait à cette date, une véritable crise pourrait s'ensuivre.

BARRAGE D’ILISU : LE GOUVERNMENT BRITANNIQUE FAIT MACHINE ARRIÈRE PRENANT EN COMPTE L’ASPECT ENVIRONNEMENTAL ET HUMAIN DU PROJET


Le gouvernement britannique a décidé d’abandonner son soutien au très controversé projet de construction du barrage d’Ilisu, après la publication d’un rapport officiel dénonçant l’impact néfaste sur l’environnement et les droits de l’homme du projet, très loin de satisfaire les normes internationales. Le rapport ordonné en 1999 par Stephen Byers, ancien ministre du commerce et de l’industrie, indique que le projet risque de ruiner la vie des dizaines de milliers d’autochtones. Le rapport, à l’ordre du jour du gouvernement le 29 juin, dévoile que le projet causera notamment le déplacement d’au moins 70 000 Kurdes et la destruction de l’archéologique du site de Hasankeyf.

LE FMI ET LA BANQUE MONDIALE DÉBLOQENT UN CRÉDIT DE 3,2 MILLIARDS DE DOLLARS À LA TURQUIE


Le Fonds Monétaire International (FMI) a, le 12 juillet, approuvé le déblocage d'un crédit stand-by de 1,5 milliard de dollars à la Turquie. La Banque Mondiale, l'institution de développement sœur du FMI, a de son côté et comme cela était attendu, accordé le même jour une aide supplémentaire de 1,7 milliard de dollars à Ankara.

Le conseil d'administration du Fonds a finalement apporté son soutien au programme économique mis en œuvre par ce pays et qui est soutenu par un crédit relais du FMI de trois ans. Le déblocage de ces nouvelles facilités financières intervient après que le gouvernement de Turquie eut accepté certaines conditions demandées par le FMI.

L'économie turque a été secouée, fin février 2001, par une grave crise financière, la deuxième en trois mois, qui avait entraîné une dévaluation de la livre turque de près de 50 % face au billet vert. L'économie turque a connu une contraction de 4,2 % au 1er trimestre de cette année.

LA COUR CONSTITUTIONNELLE TURQUE REFUSE D’APPLIQUER LA LOI D’AMNISTIE AUX PRISONNIERS POLITIQUES


La Cour constitutionnelle turque a, le 18 juillet, décidé d'élargir le champ d'application d'une loi d'amnistie controversée entrée en vigueur en décembre, mais a refusé d'y inclure les “ crimes perpétrés contre l'Etat ”, imputés aux militants et aux prisonniers politiques dont Leyla Zana et ses collègues.

Hasim Kilic, vice-président de la Cour, a annoncé que l'élargissement concerne des délits comme l'extorsion d'informations sous la menace, évasion ou complicité d'évasion (de prison), incendie criminel et abus de pouvoir d'un fonctionnaire.

La Cour a en revanche rejeté toute application de l'amnistie aux membres du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) dont son chef Abdullah Ocalan, condamné à mort en juin 1999 pour trahison et séparatisme pour les 15 ans de lutte armée du PKK contre l'Etat turc.

La loi prévoit donc ainsi une réduction de peine de dix ans avec sursis pour la plupart des prisonniers, y compris les meurtriers, mais exclut ceux condamnés pour séparatisme, viol, blanchiment d'argent, détournement de fonds, constitution de bande armée ou torture.

Cette loi controversée visait au départ à vider les prisons turques surpeuplées d'une bonne partie de leurs détenus. À ce jour, quelques 23.000 des 72.000 prisonniers ont été libérés grâce à elle.

DEUX VILLAGES KURDES ÉVACUÉS DE FORCE, D’AUTRES SOUMIS À L’EMBARGO ALIMENTAIRE, DES VILLAGEOIS TORTURÉS, EXÉCUTÉS EN TOUTE IMPUNITÉ PAR LES GENDARMES TURCS


Les organisations turques de défense des droits de l’homme ont vivement dénoncé l’évacuation forcée des villages kurdes d’Asat et d’Ortali (Bêzal) du district de Beytussebap (province de Sirnak) et l’embargo alimentaire imposé aux villages d’Ilicak (Germav), Dagalti (Tivor) et de Hisarkapi, toujours du même district, après la mort d’un soldat tué par l’explosion d’une mine. Selon les témoignages recueillis par ces organisations, les villageois auraient subi divers sévices et tortures par les forces de l’ordre sur place. Yilmaz Ensaroglu, président de l’association MAZLUM-DER, comparant les deux évènements de la semaine impliquant la responsabilité de la gendarmerie [ndlr : l’intervention de la gendarmerie dans la commune d’Akkise (Konya- centre) et les faits du district kurde de Beytussebap] a dénoncé les réactions à géométrie variable de la presse et des autorités civiles et militaires turques : “ Nous avons envoyé des observateurs pour les deux évènements. Pour le premier [Konya], ils ont pu s’y rendre aussitôt et rédiger un rapport alors que pour le second le temps que les observateurs puissent se rendre sur place sains et saufs, nous étions plein d’inquiétudes. Ils sont arrêtés à tout bout de champ et leurs cassettes et documents leur sont confisqués. Cela prouve bien évidemment, les différences manifestes dans les pratiques administratives et judiciaires existantes dans le pays. Les partis et une bonne partie des media ne franchissant pas les frontières tracées par la politique de l’Etat, l’opinion publique ne connaît pas la situation. En fait, le régime d’exception (OHAL) ne veut pas dire un régime sans droit, mais seulement que certains droits sont temporairement limités. Cependant dans notre OHAL, il n’y a ni droit et ni justice ”.

Les quotidiens nationaux ont totalement ignoré les événements de Betussebap, les observateurs des organisations de défense des droits de l’homme ont été, au cours de leur enquête, bousculés et brutalisés par les autorités sur place. Les villageois, peu loquaces du fait des pressions, ont par l’intermédiaire de leur maire déclaré qu’ils avaient quitté leur terre par leur propre volonté, les seuls dont Cafer Aslan et Rasim Acar, qui se sont risqués à parler ouvertement avec les observateurs se trouvent toujours en détention, accusés d’“ incitation de la population à la colère ”. Après le témoignage de Rasim Acar, les avocats composant la délégation d’observateurs ayant peur pour sa vie l’avaient pourtant pris sous leur protection mais les gendarmes prétextant que ses papiers d’identité étaient susceptibles d’être des faux, ont réussi à l’arrêter et le placer en garde-à-vue. Ses avocats ont d’ores et déjà dénoncé les tortures (chocs électriques) subies par leur client au cours de sa détention. Contrairement à Konya, les commandants en poste à Sirnak ne semblent nullement inquiétés par les autorités judiciaires turques. Pis encore, le colonel Levent Ersoz, en poste à Sirnak, directement mis en cause pour ses brutalités par Cafer Aslan et par la population de Sirnak, a été récompensé en devenant général (effectif le 30 août) et prendra le commandement de la gendarmerie de Diyarbakir.

UNE DÉPUTÉE TURQUE POURSUIVIE POUR AVOIR DÉNONCÉ LA TORTURE


Le Parquet d’Ankara a, le 24 juillet, demandé la levée d’immunité parlementaire de Mme Sema Piskinsut, l’ancienne présidente de la Commission des droits de l’homme du Parlement turc, accusée d’avoir “ dissimulé ” les noms des victimes de tortures. Mme Piskinsut s’en défend en affirmant qu’elle préserve la sécurité de ces victimes qui se sont confiées aux parlementaires. Elle s’étonne d’autre part que les autorités turques cherchent plutôt à accuser ceux qui ont le courage de dénoncer la torture que de poursuivre et condamner les tortionnaires.

Mme Piskinsut est en disgrâce depuis qu’elle a dénoncé les violences à l’égard des détenus. Elle s’était attirée les foudres des autorités turques mais aussi de son propre parti qui lui avait refusé sa rénomination à la présidence de la commission parlementaire des droits de l’homme lorsqu’elle a apporté au Parlement des instruments de tortures retrouvés dans les commissariats turcs. Lors du congrès de son parti (le parti de la Gauche démocratique), elle s’était faîte huer et violemment bousculer pour s’être présentée contre Bulent Ecevit.

LA COUR DE SÛRETÉ DE L’ETAT D’ISTANBUL RELÂCHE DR. ZEKI BUDAK


Après six mois de détention à la prison de Bayrampasa à Istanbul, Dr. Zeki Budak, citoyen français d’origine kurde, accusé à tort d’être “ l’un des responsables du PKK à Cologne ”, a été remis en liberté provisoire le 24 juillet par la Cour de sûreté de l’Etat N°1 d’Istanbul.

Cette libération est intervenue à la veille de la visite à Ankara de M. Hubert Vedrine, ministre français des Affaires étranères. Dr. Budak sera fixé sur son sort définitif lors de l’audience du 4 octobre de son procès. D’ici là il lui est interdit de quitter la Turquie.

Chirurgien dentiste, engagé dans l’action politique pacifique (Association des droits de l’homme, Parti social démocrate d’Erdal Inönü) en faveur de la démocratie et de la reconnaissance des droits du peuple kurde, Dr. Budak avait dû quitter la Turquie en 1992 à la suite de l’assassinat de trois de ses frères, âgés respectivement de 20, 22, et 24 ans, par les forces paramilitaires turques dans le cadre de la terrible campagne de “ meurtres à auteurs non identifiés ”, qui de 1992 à 1998, fit plus de quatre mille morts dans les rangs de la société civile kurde. Menacé de mort par la police politique (MIT), condamné à 3 ans et 6 mois de prison par une cour de sûreté pour “ avoir soigné des terroristes ”, il s’était réfugié en France.

Il vivait depuis 1992 à Rouen. Marié à une enseignante française, devenu citoyen français, père de trois enfants, Dr. Budak, s’est rendu en Turquie pour rendre visite à son père âgé et malade. Sa peine ayant été amnistiée par une récente loi, il pensait qu’aucun obstacle légal ne s’opposerait à son retour en Turquie.

INTERDICTION DE LA DIFFUSION EN TURQUIE DES EMISSIONS EN TURC DE LA BBC ET DE LA DEUTSCHE WELLE


Le Haut Conseil de la Radio et de la Télévision (RTUK), l'organe turc de surveillance de l'audiovisuel a, le 9 août, décidé d'interdire en Turquie les émissions en langue turque de la BBC et de la Deutsche Welle. Les autorités craignent que soient diffusées des informations favorables aux mouvements kurdes et autres mouvements dissidents, islamistes ou extrême-gauche. En 1999, une radio locale avait été suspendue pour avoir diffusé un reportage de la BBC en langue turque sur le “ Parlement en exil des Kurdes ”, aujourd'hui dissous. Le reportage avait été jugé dangereux pour l'unité de l'Etat turc.

Nuri Kayis, le président du RTUK a cependant expliqué qu'il ne soutenait pas cette décision, adoptée par le comité exécutif le 8 août. Il a même déposé un recours en justice pour obtenir l'annulation de la mesure. “ L'interdiction de ces radios va mettre la Turquie dans une situation très délicate vis-à-vis de l'opinion internationale ”, a estimé M. Kayis, parlant de la BBC et de la Deutsche Welle comme de deux des plus prestigieux médias du monde. Le président du RTUK Nuri Kayis a plaidé que ces émissions ne violaient pas la législation et a estimé que cette mesure avait été prise sur la base d'une mauvaise interprétation de la réglementation. Il a cependant convenu qu'il lui était impossible de changer l'avis de ses collègues du Comité exécutif et de les faire revenir sur leur décision d'interdiction. Alors qu'Ankara, qui cherche à rejoindre l'Union européenne, doit améliorer son bilan en matière de droits de l'homme et de libertés, cette décision “ pourrait placer la Turquie dans la position d'un pays anti-démocratique, manquant de liberté de communication mais pas de censure ”, dit-il dans un communiqué.

Le comité exécutif du RTUK a fondé sa décision sur un article de la loi turque sur la télédiffusion qui empêche les médias étrangers de diffuser régulièrement ou en direct en Turquie en utilisant les moyens techniques de chaînes locales. La BBC et la Deutsche Welle avaient récemment commencé à émettre des programmes d'information en langue turque par le biais de NTV, une radio dépendant d'un puissant groupe gérant la principale chaîne de télévision spécialisée dans l'information en continu. La radio privée en continu NTV a donc cessé, le 10 août, de diffuser les programmes des deux radios étrangères, après avoir vu son appel rejeté par le Haut Conseil. Les Turcs peuvent toujours écouter BBC et Deutsche Welle en ondes courtes.

Reporters sans Frontières (RSF) a, le 10 août, dénoncé cette décision en la qualifiant d’ “ entrave au pluralisme de l'information ”, et “ un pas en arrière par rapport aux engagements internationaux pris par la Turquie, notamment au sein du Conseil de l'Europe ”.

SELON LES DONNÉES 2000, 64 % DES AFFAIRES NON ÉLUCIDÉES CONCERNENT LA COUR DE SÛRETÉ DE L’ETAT (DGM) DE DIYARBAKIR


Selon les données 2000 de la direction générale des statistiques et des casiers judiciaires du ministère turc de la Justice, 64,3 % des dossiers, soit plus de 18 247 dossiers, des 8 parquets des cours de sûreté de l’Etat (DGM) en Turquie restent “ non élucidés ”. C’est le parquet du DGM de Diyarbakir avec 81,9 % des dossiers (11 523 affaires) non élucidés qui arrivent en tête de cette liste, suivi des villes kurdes de Van avec 75 %, puis d’Erzurum avec 74,4 % et de Malatya avec 68,8 %. À Ankara, le pourcentage est de 39,9 %, à Adana de 18,2 %, à Izmir de 11,7 % et à Istanbul de 1,5 %.

L’ARMÉE TURQUE EXCLUT 15 DE SES OFFICIERS POUR “ LIEN AVEC LES MOUVEMENTS KURDE ET ISLAMISTE ”


Un communiqué de l'armée turque a, le 4 août, annoncé l’exclusion de quinze officiers de ses rangs accusés d'être “ liés à des mouvements séparatistes kurdes et à des mouvements islamistes ”.

Selon le communiqué, les quinze officiers “ ont été renvoyés en raison d'une conduite incompatible avec la discipline militaire ”, expression qui désigne habituellement l'implication dans une activité favorable “ aux groupes séparatistes kurdes ou aux mouvements islamistes ”. La décision, entérinée par le Premier ministre Bulent Ecevit, a été prise lors d'une réunion du Haut conseil militaire qui a tenu sa réunion annuelle du 1er au 3 août. Les décisions du Conseil sont sans appel et ne peuvent pas être contestées par une cour civile.

Un nombre record d'officiers - 232 - avaient été mis à la retraite au cours du mandat du premier Premier ministre pro-islamiste turc, Necmettin Erbakan, de 1996 à 1997. L'armée avait mené une campagne anti-islamiste qui a forcé M. Erbakan à démissionner en juin 1997.La Cour constitutionnelle a par la suite interdit son parti, le Parti de la Prospérité (Refah), accusé “ d'activités anti-laïques ”.

SELON LE RAPPORT 2001 DE DÉVELOPPEMENT HUMAIN DES NATIONS-UNIES, SUR 162 PAYS ÉTUDIÉS LA TURQUIE SE SITUE AU 82ÈME RANG


Le rapport 2001 du développement humain des Nations-Unies, rendu public le 10 juillet, sous le titre de “ Faire travailler les nouvelles technologies pour le développement humain ” [Making New Technologies Work for Human Development], place la Turquie au 82ème rang sur 162 pays étudiés au regard de l’index de développement humain 2001. Située au 85ème rang l’année précédente, la Turquie enregistre une faible amélioration mais échoue une nouvelle fois à améliorer la qualité de vie de ses 65 millions d’habitants, tout en consacrant la plus importante part des dépenses publiques aux dépenses militaires avec 5 % du PNB [ndlr : 3,5 % du PNB en 1990]. Le taux des dépenses publiques en matière d’éducation est en faible augmentation mais le secteur du développement et de la recherche ne représente que 0,5 % du PNB.

Alfredo Witschi-Cestari, le coordinateur des Nations-Unies et le représentant du Programme de Développement des Nations-Unies (PNUD) en Turquie a déclaré au quotidien anglophone Turkish Daily News du 10 juillet que : “ Ce qui est important ce n’est pas d’avoir la technologie mais la façon dont vous l’utilisez… Par exemple, en matière de santé, vous pouvez avoir les meilleurs traitements médicaux à Istanbul mais un niveau extrêmement bas à Harran, Agri ou Mardin (régions kurdes)… La Turquie a un niveau important en termes de revenu et de croissance, mais non en termes d’accès à l’éducation et à la santé, ni d’accès des femmes à l’économie ”.

LA TURQUIE SIGNE UN CONTRAT D’UN MILLIARD DE DOLLARS AVEC LA CORÉE DU SUD POUR LA COPRODUCTION D’OBUSIERS


La Turquie et la Corée du Sud ont, le 20 juillet, signé, un contrat record d’armement d’un montant d’un milliard de dollars pour la coproduction d’obusiers. Le quotidien Korea Herald, dans son édition du 21 juillet, rapportant les propos du ministre coréen de la défense, affirme que c’est la compagnie sud-coréenne Samsung Techwin qui fournira des composantes d’obusiers à la Turquie, dont une vingtaine d’obusiers autopropulsés 155 mm d’un montant de 60 million de dollars au cours des deux prochaines années. L’accord est la première partie d’un contrat de 10 années au cours de laquelle la firme coréenne fournira des composantes pour plus de 300 obusiers.

La Turquie qui traverse une grave crise économique, n’a pas donné d’explication sur le financement de ce contrat d’un milliard de dollars. Les observateurs notent cependant la volonté d’Ankara de diversifier ses fournisseurs d’armes en réaction aux restrictions imposées par certains de ses alliés du fait de son médiocre bilan des droits de l’homme. Ainsi, l’Allemagne avait au préalable refusé le transfert de technologie requis pour ces obusiers.

LA COMMISSION EUROPÉENNE CONTRE LE RACISME ET L’INTOLÉRANCE CRITIQUE LA TURQUIE


Le Conseil de l'Europe a déploré, dans un rapport publié le 3 juillet, que les dispositions pénales permettant de lutter contre le racisme et les discriminations en Turquie soient insuffisamment appliquées et même dévoyées pour réprimer le séparatisme.

La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI), dont une délégation s'est rendue en Turquie en novembre 2000, relève que l'article 312 du code pénal turc, qui sanctionne l'incitation publique à la haine pour des motifs liés à la classe sociale, à la race, à la religion, aux convictions ou au régime politique, “ a été employé jusqu'à présent dans des cas d'incitation au séparatisme ou d'opinions fondamentalistes ”.

En revanche, cet article “ ne semble pas être utilisé ” pour sanctionner des cas de “ manifestations orales, écrites ou autres, notamment à caractère antisémite, visant des groupes minoritaires de Turquie ”, déplore le rapport, adopté par la commission en décembre 2000.

Le rapport relève en outre que “ la Turquie ne s'est pas à ce jour dotée de dispositions légales interdisant spécifiquement la discrimination raciale dans l'emploi ”.