L’armée turque marque le pas à Afrine

mis à jour le Mardi 6 février 2018 à 15h06

Le Figaro⎜Minoui Delphine⎜mardi 6 février 2018

L’offensive lancée le 20 janvier dernier contre les Kurdes du nord de la Syrie apparaît de plus en plus risquée.

MOYEN-ORIENT Faut-il y voir le premier signe d’un éventuel enlisement de l’armée turque en Syrie ? Ce samedi 3 février, sept soldats turcs ont été tués dans la région d’Afrine, soit l’équivalent des pertes endurées pendant les quinze premiers jours de l’opération « Rameau d’olivier ». Cette journée, la plus meurtrière depuis le début de cette offensive menée contre les forces ­kurdes YPG sur le territoire syrien, a aussitôt suscité une riposte militaire turque : refuges et caches d’armes ont été visés par des frappes aériennes, précise Ankara.

Malgré les pertes occasionnées, les autorités turques continuent d’afficher une confiance à toute épreuve. Dans un discours télévisé, retransmis samedi sur le petit écran, le président Recep Tayyip Erdogan s’est montré déterminé à poursuivre la guerre contre les « terroristes ». « Il reste peu (à avancer) », a-t-il martelé, en déclarant que l’armée turque et les rebelles syriens (qui combattent à ses côtés) avaient repris certaines localités en montagne et approchaient d’Afrine elle-même. Mais la réalité est largement plus complexe : à ce jour, la Turquie n’a repris le contrôle que de quelques parcelles de territoire autour de la frontière, sans approcher de la ville d’Afrine, selon les analystes et observateurs présents sur le terrain.

Quant aux conséquences de cette « guerre dans la guerre », qui complique encore un peu plus la recherche d’une solution au conflit syrien, sept  ans après le début du soulèvement anti-Assad, elles pourraient s’avérer fatales pour la Turquie d’Erdogan. Ces derniers jours, plusieurs roquettes lancées depuis la Syrie se sont abattues sur la ville frontalière de Kilis et ses environs, augurant un risque de débordement du conflit syrien sur le territoire turc. À ce jour, ces ripostes attribuées aux milices kurdes ont fait sept morts et une centaine de blessés. Les opérations militaires menées contre Afrine sont également lourdes pour les populations civiles de cette enclave du nord de la Syrie : quelque 15 000 personnes fuyant les combats ont été déplacées dans la région, tandis qu’un millier ont trouvé refuge dans la province voisine d’Alep, d’après Ursula Mueller, la secrétaire générale adjointe de l’ONU en charge des Affaires humanitaires.

Quand, le 20 janvier dernier, Erdogan annonce le début des opérations contre Afrine, ses ambitions sont à la fois régionales et politiques. Il entend empêcher la création, sous l’égide de Washington, d’une force frontalière dans le nord de la Syrie constituée, en partie, des Forces démocratiques syriennes, une alliance de combattants kurdes et arabes dominés par les YPG (considérés comme une émanation des rebelles du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan). Sa hantise est la jonction, à moyen et long terme, des trois cantons kurdes du nord de la Syrie, Jazira, Kobané et Afrine, aux portes de son pays, et l’effet domino qu’elle pourrait avoir sur les velléités indépendantistes des Kurdes de Turquie.

Terrain glissant 

D’un point de vue interne et politique, cette offensive militaire lui donne également l’occasion de prolonger l’état d’urgence (sans cesse renouvelé depuis le putsch raté de juillet 2016), de redorer son blason en faisant oublier les scandales financiers et la dérive autoritaire qui nuisent à sa réputation, et de s’imposer en leader politico-militaire à un an du double scrutin législatif et présidentiel. Un pari partiellement réussi, puisque sa posture belliqueuse, qui titille la fibre nationaliste de la population turque, lui vaut actuellement le soutien de ses opposants du CHP, le Parti républicain du peuple, tandis que les voix critiques sont sciemment étouffées (voir ci-dessous).

Mais le terrain n’en est pas moins glissant. Et la guerre jalonnée d’imprévus. Observateur avisé du conflit syrien, l’analyste Aron Lund énumère au moins trois scénarios possibles : la victoire de l’armée turque à Afrine -  mais au prix d’une opération longue et coûteuse  - ; l’embourbement des forces militaires turques, déjà fragilisées par les purges de l’après-coup d’État, face à des combattants kurdes particulièrement disciplinés et qui ont l’avantage du terrain (montagneux) ; le soutien discret du régime de Damas aux milices YPG afin d’écarter la Turquie et de replacer les zones kurdes dans son giron. « À ce stade, tout est encore possible », précise ce chercheur associé à la Century Foundation, dans un article publié dans la World Politics Review. Car l’issue de ce conflit est sans nul doute indissociable des tractations parallèles entre Damas, Moscou, Téhéran et Istanbul sur l’avenir de la Syrie.