L'ébauche de solution politique était visée

mis à jour le Jeudi 9 janvier 2014 à 12h00

Humanite.fr

Entretien réalisé par Françoise Germain Robin

Kendal Nezan est directeur de l’Institut culturel kurde de Paris, créé en 1983.

Quel enseignement tirez-vous de l’enquête en cours sur l’assassinat des militantes kurdes ?

Kendal Nezan. Il semble clair que le principal suspect avait été infiltré par des services de renseignements turcs. Officiels ou pas ? On l’ignore. Mais on peut se demander si certains services ne voulaient pas saboter la négociation engagée entre le premier ministre turc Erdogan et le PKK (1) pour une solution politique du problème kurde.

Cette solution politique semble plutôt piétiner, non ?

Kendal Nezan. Après tant d’années de guerre, de massacres, de trêves rompues, on ne fait pas la paix en un jour. Il faut qu’un climat de paix s’instaure. Il y a eu des gestes d’apaisement comme, samedi encore, la libération de cinq députés du parti kurde BDP. Et aussi ce meeting inimaginable, le 17 novembre à Diyarbakir, du président du Kurdistan d’Irak Barzani avec Erdogan. Ils ont marié des centaines de couples kurdes dans une ambiance qui peut faire espérer que des avancées sérieuses sont possibles.

 

N’est-ce pas plutôt un calcul électoral d’Erdogan pour les municipales de mars ?

Kendal Nezan. Il y a sans doute de cela, car beaucoup de Kurdes pieux et conservateurs qui ne partagent pas l’idéologie marxiste du PKK votent pour l’AKP, proche du PDKI de Barzani qui est aussi un parti conservateur. Il y a également les intérêts communs : depuis quelques jours le pétrole kurde d’Irak arrive directement en Turquie par oléoduc au terme d’un accord signé alors. Mais je pense qu’il voulait surtout asseoir un processus de paix qui reste fragile. Le PKK dit que le gouvernement ne remplit pas ses engagements, et c’est vrai : on n’enseigne pas le kurde dans les écoles publiques et il n’y a pas eu l’amnistie promise pour le retrait de ses troupes vers l’Irak.

Partout les Kurdes, qu’ils soient d’Irak, 
de Turquie ou de Syrie, sont dans des situations très dangereuses. Et en même temps leur autonomie s’affirme, notamment en Syrie. 
Que pensez-vous de ce paradoxe ?

Kendal Nezan. Les Kurdes ont beaucoup souffert en Syrie. Ils sont 250 000 réfugiés en Irak. Mais ils sont largement restés à l’écart des combats entre les djihadistes et l’armée, sauf quand ils ont été attaqués. Il est vrai qu’ils ont acquis une certaine autonomie. Si demain la Syrie éclate, ils resteront ensemble dans des territoires largement autonomes, comme en Irak. En Turquie, cela prendra plus de temps, mais le processus est en cours et il y a déjà une autonomie municipale.

Quelle est l’influence du djihadisme 
chez les Kurdes ?

Kendal Nezan. Elle est très limitée. En Irak, les tentatives de l’Arabie saoudite ont échoué. En Turquie, au temps de la sale guerre, l’État avait encouragé l’implantation d’un parti Hezbollah. Il a encore quelques centaines d’adeptes dont certains font le djihad en Syrie. Un ami diplomate me disait : le Kurdistan est comme une rue calme dans une ville en guerre.

(1) Parti des travailleurs du Kurdistan dont le chef, Abdullah Ocalan, est en prison depuis 1999 en Turquie.