Injustice française envers les Kurdes

mis à jour le Mardi 10 février 2015 à 17h38

Lemonde.fr | Par Kendal Nezan, Président de l’Institut kurde de Paris

L’Institut kurde de Paris, qui depuis trente-deux ans porte dans le débat public en France et en Europe la voix de ce peuple sans Etat, victime des pires injustices du XXème siècle, qui informe et documente journalistes, chercheurs, étudiants, associations et parlementaires sur le monde kurde, est condamné à disparaître ou à s’expatrier en raison du désengagement des pouvoirs publics.

Créé en février 1983 avec le soutien du gouvernement et du président Mitterrand pour gérer l’afflux considérable des réfugiés kurdes généré notamment par la guerre Iran-Irak et le coup d’Etat militaire en Turquie et faire connaître à l’opinion publique la culture, l’histoire et la situation politique du peuple kurde, cet institut est rapidement devenu une référence en Europe et au-delà à tous ceux qui s’intéressaient à la question kurde.

Ses colloques et conférences, ses actions de défense des droits de l’homme, ses appels internationaux en faveur d’un règlement pacifique de la question kurde ont été honorés du soutien d’une vingtaine de Prix Nobel, d’éminentes figures comme E. Kennedy, B. Kreisky, N. Mandela, Danielle Mitterrand, A. Sakharov, ainsi que de nombreux ministres et parlementaires des pays européens et des Etats-Unis.

Plusieurs pays, dont la France, ont mis à sa disposition des bourses qui ont permis de former plusieurs centaines d’étudiants kurdes. Devenus avocats, médecins, ingénieurs, diplomates, ministres, universitaires, ils jouent un rôle important dans la construction d’une société démocratique au Kurdistan et aussi dans l’intégration républicaine des Kurdes en France.

Ce rayonnement international donna un supplément d’âme, une image humaniste, à une diplomatie française lourdement engagée aux côtés de la terrible dictature de Saddam Hussein en guerre contre l’Iran des ayatollahs et contre sa population kurde. Cette image fut parachevée lors de l’exode massif de près de deux millions de Kurdes irakiens qui suivit la Guerre du Golfe quand la France fit adopter par le Conseil de Sécurité une résolution créant une zone d’exclusion aérienne au nord de l’Irak pour permettre le retour sur leurs terres de ces réfugiés. Cette zone évolua vers le Kurdistan autonome actuel où notre pays jouit d’un exceptionnel capital de sympathie.

Organisme laïc indépendant et non partisan, ouvert à tous les Kurdes, l’Institut kurde fut longtemps considéré comme une ambassade officieuse facilitant le dialogue entre les leaders kurdes et les autorités françaises, un relais entre la France et le Kurdistan.

En 1993, le gouvernement de Pierre Bérégovoy lui accorda le statut de fondation reconnue d’utilité publique en raison de sa contribution à l’intégration républicaine des Kurdes en France, notamment des Kurdes irakiens accueillis à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française.

Ces rescapés des gazages de l’armée irakienne venant des villages reculés et conservateurs longeant la frontière turque paraissaient difficiles à intégrer. Or grâce à un encadrement assuré par l’Institut kurde et à l’extraordinaire hospitalité des Auvergnats, ce millier de réfugiés furent parfaitement intégrés. Leurs enfants ont fait des études. Certains sont devenus avocats, enseignants, pharmaciens d’autres, artisans pâtissiers, policiers. L’un d’eux occupe actuellement au siège du FMI un poste d’économiste.

Ce cas d’école, qui fait l’objet de thèses de doctorat, montre qu’en dépit des origines sociales et culturelles variées, l’intégration n’est pas tâche impossible si l’on s’en donne les moyens.

A cet égard, le rôle des associations oeuvrant pour l’intégration si peu évoqué dans les débats actuels peut être décisif, notamment pour les familles et les exclus du système scolaire. Le gouvernement de Lionel Jospin, conscient de ce rôle, avait mis en place un dispositif du renforcement du secteur associatif avec des conventions triennales. Dans ce cadre, et après un audit financier et d’activités approfondi, il avait accordé à l’Institut kurde, un financement public de près de 600 000 euros par an.

Ce financement, réduit année après année à partir de 2002, fut totalement supprimé sous la présidence de Nicolas Sarkozy sous prétexte qu’il appartenait désormais au gouvernement du Kurdistan de financer l’Institut. La même logique devrait conduire à demander aux pays arabes, autrement plus riches que le modeste Kurdistan, de financer l’Institut du Monde arabe. L’argument est d’autant plus absurde que l’Institut kurde qui entretient la plus importante bibliothèque d’Europe est un centre de ressources unique et un lieu de mémoire pour les quelques 250 000 Kurdes de France, citoyens intégrés et payant leurs impôts qui ont droit à l’accès à leur culture d’origine. La valorisation de celle-ci est même un facteur majeur d’une bonne intégration.

Privé de subvention, l’Institut kurde a pu survivre grâce au soutien du gouvernement du Kurdistan. Or celui-ci est depuis plus d’un an privé par Bagdad de sa dotation financière. Submergé par le poids écrasant de 1,7 millions de déplacés et réfugiés irakiens et syriens, engagé sur plus de 1 000 km de frontière dans une guerre très coûteuse, le Kurdistan traverse une crise financière grave et il peine à payer salaires et soldes avec des mois de retard. La coalition internationale qui sur le papier rassemble une soixantaine de pays et qui sur le terrain compte sur le courage des Kurdes pour vaincre les djihadistes de « l’Etat Islamique » (Daech) leur mesure chichement son aide miliaire et humanitaire et ne leur accorde aucune assistance financière.

Autant dire qu’avec une telle stratégie minimaliste, la victoire sur le Daech, qui contrôle encore la moitié du territoire syrien et le tiers de l’Irak n’est pas plus proche que la chute du régime de Damas annoncée depuis 2011.

On aurait pu espérer qu’à défaut de venir en aide aux Kurdes dans l’épreuve, le gouvernement français ferait preuve de solidarité en assurant sur son sol la pérennité de l’Institut kurde. Il n’en est malheureusement rien. Des démarches que nous avons entreprises depuis deux ans auprès de l’Elysée et de Matignon pour le rétablissement de nos subventions n’ont pas abouti. L’argument invoqué: les contraintes budgétaires. A géométrie variable, celles-ci n’empêchent pas le gouvernement de continuer de subventionner des écoles et des centres culturels d’autres communautés, d’accorder un financement de 12,8 millions d’euros à l’Institut du Monde arabe. Et c’est tant mieux. Mais il affirme avoir du mal à trouver 4% de cette somme pour l’unique institution en France des 40 millions de Kurdes du Proche-Orient.

Naguère être de gauche signifiait partager, défendre les plus démunis, les plus fragiles, les plus modestes, privilégier la culture et le tissu associatif qui crée du lien social, qui donne de l’espoir, voire un idéal de vie.

La gestion comptable court-termiste semble depuis avoir pris le dessus sur toute vision politique avec des conséquences lourdes pour notre vie collective. Le monde associatif est sinistré. Les associations d’intégration disparaissent et avec elles des dizaines de milliers d’emplois. Les réseaux islamistes richement dotés investissent le terrain socio-culturel délaissé.

Face à la position injuste et absurde du gouvernement français envers les Kurdes, en ultime recours nous appelons à nos concitoyens français qui tout au long de ces trois décennies ont, dans des moments difficiles, fait preuve d’une magnifique solidarité avec le peuple kurde.