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Turquie : pendant les violences, la crise politique continue


Mardi 4 août 2015 à 16h05

Istanbul, 4 août 2015 (AFP) — Parallèlement à la reprise des hostilités entre l'armée et la rébellion kurde, la Turquie est empêtrée dans une crise politique depuis les législatives de juin qui ont privé le parti islamo-conservateur de la majorité absolue au Parlement et anéanti les plans du président Recep Tayyip Erdogan.

Cette contre-performance inattendue du Parti de la justice et du Développement (AKP) permet largement d'expliquer l'engagement d'Ankara dans un nouveau cycle de violences avec la guérilla kurde, à en croire l'opposition et certains médias.

M. Erdogan, resté de facto le chef de l'AKP, aurait ainsi choisi la "stratégie du chaos" pour préparer un nouveau scrutin qui effacerait les résultats du précédent grâce à un réflexe légitimiste de l'électorat.

"En privant l'AKP de sa majorité absolue, les élections du 7 juin empêchent M. Erdogan d'être à la tête d'un régime de type présidentiel, et l'empêchent encore plus d'inscrire un tel régime dans la Constitution", notait mardi l'analyste politique Murat Yetkin dans les colonnes du journal Hurriyet.

Il s'agirait aussi d'empêcher à tout prix qu'un autre parti ne mette son nez dans les archives de certains ministères après 13 ans d'un règne sans partage de l'AKP marqué par l'affairisme.

L'AKP a entamé le 13 juillet des pourparlers avec le parti social-démocrate CHP, deuxième force du Parlement, pour former un gouvernement de coalition. Ces discussions doivent être bouclées avant le 23 août, date à laquelle M. Erdogan reprendra la main en cas d'échec.

Après trois semaines de tractations, le dirigeant du CHP, Kemal Kiliçdaroglu, a publiquement accusé M. Erdogan d'agir en coulisses pour les faire capoter.

Le chef de l'AKP, le Premier ministre en exercice Ahmet Davutoglu, "veut vraiment former un gouvernement et régler les problèmes du pays, mais la personne qui occupe le siège présidentiel ne le permet pas", a lancé dimanche à la télévision le leader social-démocrate.

- 'Gros risque' -

Si ces discussions étaient toujours dans l'impasse à la date-butoir, M. Erdogan pourrait demander au Premier ministre de former un gouvernement minoritaire en comptant sur l'abstention au Parlement des élus du Parti de l'action nationaliste (MHP, droite), qui défend une ligne intransigeante à l'égard de la rébellion kurde.

Mais l'option jusque-là privilégiée par les médias est la convocation de nouvelles législatives, qui pourraient avoir lieu dès novembre.

Considéré avec le Parti démocratique du peuple (HDP) comme le grand vainqueur du scrutin de juin, le jeune leader prokurde Selahhatin Demirtas est aussitôt devenu la bête noire du pouvoir.

Avec près de 13% des voix, sa formation a dépassé le seuil des 10% permettant d'avoir des élus au Parlement et, avec 80 députés, son succès est largement à l'origine de la contre-performance de l'AKP.

Visé depuis peu par une enquête judiciaire pour "incitation à la violence" et "troubles à l'ordre public", M. Demirtas assure que le pouvoir cherche désormais à interdire son parti afin de l'éliminer de la scène politique.

Mais il n'est pas certain que la stratégie du président turc fonctionne : plusieurs sondages, publiés par la presse d'opposition, soulignent une stabilité de l'électorat. L'un d'entre eux a même placé le HDP à 15% des intentions de votes tandis que l'AKP passait sous les 40%.

"Des élections anticipées constitueraient actuellement un gros risque pour l'AKP", confirme à l'AFP Ziya Meral, spécialiste de la Turquie et chercheur associé au Foreign Policy Centre à Londres. Il mise donc plutôt sur un gouvernement minoritaire qui permettrait à M. Erdogan de gagner du temps.

Le 7 juin, le parti au pouvoir avait obtenu 40,8% des suffrages (en baisse de 10 points par rapport à 2011) et 258 députés sur 550. Il avait été suivi du Parti républicain du peuple (CHP, 25,1% des voix et 132 élus), des nationalistes du MHP (16,4%) et du HDP (12,9%), ces deux partis ayant chacun remporté 80 sièges.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.