Vendredi 28 février 2025 à 19h48
Istanbul, 28 fév 2025 (AFP) — L'appel jeudi du chef kurde Abdullah Öcalan à tourner la page de la lutte armée après 40 ans de guérilla laisse de nombreuses questions en suspens sur ses conséquences politiques en Turquie et le statut des Kurdes, qui représentent 20% environ de la population du pays.
Le message du fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), emprisonné depuis 26 ans, signe l'aboutissement du dialogue entamé en octobre par les autorités turques.
- Quel gain pour Öcalan? -
Une libération du détenu de 75 ans, emprisonné depuis 1999 sur une île au large d'Istanbul, semble peu probable au vu des menaces pesant sur lui. "En revanche, il pourrait voir son régime carcéral largement assoupli", estime Bayram Balci, du Centre de recherches internationales (CERI) à Paris.
Au plan idéologique, assure l'historien Hamit Bozarslan, de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris, M. Öcalan "a pris acte que le PKK était né dans un contexte particulier, aujourd'hui révolu. Mais il est clair que la dissolution du PKK ne signifie pas la fin de la question kurde: il a insisté sur la démocratisation de la Turquie".
En revanche, poursuit-il, "il n'a pas fait ce que la Turquie attendait de lui, à savoir dénoncer le terrorisme et annoncer la fin de la terreur", après quatre décennies de guérilla qui ont fait plus de 40.000 morts.
- Pourquoi maintenant? -
Pour Berk Esen, politiste à l'université Sabanci d'Istanbul, ce processus répond d'abord à une préoccupation domestique.
Après sa lourde défaite aux municipales de mars 2024, "il est devenu clair qu'à moins de changements significatifs", le président Recep Tayyip Erdogan et son parti islamo-conservateur AKP au pouvoir depuis 2002 risquaient de perdre les prochaines élections, dont la présidentielle en 2028, explique-t-il.
Avec l'ascension du populaire maire d'opposition d'Istanbul, Ekrem Imamoglu, redouté par M. Erdogan, "il s'est senti contraint de prendre des mesures", estime-t-il.
Par ailleurs, Ankara espère obtenir du nouveau pouvoir syrien l'expulsion des combattants turcs du PKK présents dans le nord-est de la Syrie, à sa frontière, au côté des Forces démocratiques syriennes (FDS).
- Quels gains pour le président Erdogan? -
Le chef de l'État turc a jugé vendredi que l'appel d'Abdullah Öcalan représente une "opportunité historique" afin de "détruire le mur de la terreur", promettant de "veiller de près à ce que le processus engagé soit mené à bien".
"Lorsque la pression du terrorisme et des armes sera éliminée, l'espace démocratique de la politique s'élargira naturellement", a-t-il affirmé.
Bayram Balci voit la possibilité pour M. Erdogan de rallier des députés prokurdes dans la perspective d'une réforme de la constitution qui lui permettrait de se présenter à la présidentielle de 2028.
Il pourrait envisager "une sorte de pacte de non-agression avec le parti DEM (gauche prokurde) en échange de quelques concessions sur les droits culturels et linguistiques des Kurdes", avance également Hamish Kinnear, analyste du cabinet d'intelligence économique Verisk Maplecroft.
- Et pour les Kurdes? -
En parallèle des négociations avec M. Öcalan, le gouvernement a accentué la répression: une dizaine de maires prokurdes du DEM ont été destitués et des centaines d'arrestations conduites pour "terrorisme".
"M. Erdogan a fait miroiter la perspective d'une paix tout en maintenant une campagne répressive et sécuritaire", relève Anthony Skinner, directeur de recherche de la société de conseil géopolitique Marlow Global. "Je m'attends à ce que ça continue jusqu'à ce qu'il obtienne des conditions aussi favorables que possible".
Sedat Yurtdas, du Centre de recherche sociale du Tigre (DITAM), à Diyarbakir (sud-est de la Turquie), affirme que cette campagne "visait des politiques considérés comme proches du PKK à Qandil", région du nord de l'Irak où sont repliés une partie de ses combattants.
Il estime que, désormais, elle sera probablement utilisée comme "menace envers ceux qui s'opposent à l'appel (de M. Öcalan) ou ne le soutiennent pas ouvertement".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.