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Turquie: les habitants de Cizre regagnent leur ville détruite après la levée du couvre-feu


Mercredi 2 mars 2016 à 14h34

Cizre (Turquie), 2 mars 2016 (AFP) — Les habitants de Cizre, dans le sud-est à majorité kurde de la Turquie, ont commencé mercredi à regagner leur domicile après deux mois et demi d'un strict couvre-feu et de violents combats entre l'armée et les rebelles qui ont ravagé leurs rues.

Dès l'aube, des milliers de civils chargés d'effets personnels se sont pressés devant les points de contrôle tenus par les forces de sécurité aux portes de la ville et découvert avec effroi des paysages de guerre dignes de la Syrie voisine.

Dans plusieurs quartiers de Cizre, les immeubles réduits en cendres succèdent aux maisons criblées d'impacts et aux échoppes percées de trous d'obus. Poussés à l'exode par les premiers affrontements, leurs anciens occupants peinent à masquer leur désarroi.

"Nous avons fui le 14 décembre avec nos enfants, en n'emportant que les seuls habits que nous portions ce jour-là. Rien d'autre", a raconté à l'AFP un commerçant, Hadi Akyurek. "Notre maison a été détruite. Tous nos biens sont enfouis sous les décombres. Il ne nous reste plus rien...".

Le bureau du gouverneur de la province de Sirnak a annoncé mardi la levée partielle du couvre-feu total imposé sur cette ville de 120.000 habitants située à la frontière de la Syrie et de l'Irak.

La libre circulation a été rétablie tous les jours de 5h00 à 19h00 locales (3h00 à 17h00 GMT) mais y reste interdite la nuit.

Le 14 décembre, l'armée et les forces spéciales de la police turque ont bouclé tous les accès de la ville et lancé une vaste offensive pour en déloger des partisans du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit) qui y avaient érigé barricades et tranchées et défié l'Etat turc en décrétant "l'autonomie".

De très violents combats à l'arme lourde s'y sont déroulés, causant de nombreuses victimes dans les deux camps.

- Corps exhumés -

Sitôt revenus dans leurs rues, des habitants se sont mis à fouiller mercredi les ruines de leur logement, à la recherche de quelques effets personnels à sauver mais aussi d'éventuels dépouilles.

Au moins cinq corps ont été exhumés mercredi dans des caves et le jardin d'une maison, a constaté un journaliste de l'AFP.

Selon le Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde), au moins 167 personnes ont été tuées dans trois caves où elles avaient trouvé refuge, victimes des bombardements des forces de sécurité. Son chef de file Selahattin Demirtas a accusé le gouvernement islamo-conservateur turc d'avoir commis un "massacre" à Cizre.

"L'Etat fait ce qui est nécessaire pour restaurer l'ordre public", a répondu le vice-Premier ministre Yalçin Akdogan dans un entretien accordé mardi à l'AFP. Ces opérations sont exécutées "dans le cadre de la loi et avec une précaution maximale pour éviter de mettre en danger la population", a-t-il ajouté.

De son côté, la Fondation turque des droits de l'Homme (TIHV) a évoqué la semaine dernière un chiffre d'au moins 178 civils tués et de dizaines de milliers de déplacés à Cizre.

Devant le jardin où trois corps ont été retrouvés mercredi, Salih Tanriverdi a expliqué que sa maison, aujourd'hui détruite, servait d'hôpital de fortune aux combattants du PKK. Il en veut pour preuve quelques couvertures tâchées de sang posées au sol.

"Nous avons eu peur et nous avons quitté notre maison à cause des tirs et des bombardements. Nos enfants ne supportaient pas leurs bruits", a déclaré M. Tanriverdi. "Je ne sais pas ce que nous allons faire", a-t-il ajouté, "nous n'avons plus de toit".

Dans son dernier bilan de la situation publié le 26 février, l'état-major de l'armée turque a chiffré à 666 le nombre de "terroristes neutralisés" à Cizre. Des dizaines de soldats et policiers y ont également été tués.

Mercredi encore, le silence qui pèse sur la ville était encore régulièrement interrompu par des détonations, alors que les équipes de déminage continuaient à désamorcer obus et pièges abandonnés par les rebelles.

Le conflit kurde a repris l'été dernier, mettant un terme aux pourparlers de paix engagés à l'automne 2012 entre le gouvernement islamo-conservateur d'Ankara et le PKK.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.