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Turquie: Le représentant de RSF et deux intellectuels inculpés pour "propagande terroriste"


Lundi 20 juin 2016 à 19h23

Istanbul, 20 juin 2016 (AFP) — L'étau sur la presse en Turquie s'est encore resserré lundi avec l'inculpation pour "propagande terroriste" du représentant de Reporters sans frontières (RSF) dans le pays ainsi que de deux intellectuels de renom accusés de soutenir la cause kurde, tous trois placés en détention provisoire.

La justice reproche à Erol Önderoglu, qui représente RSF depuis 1996 en Turquie, ainsi qu'à Ahmet Nesin et Mme Sebnem Korur Fincanci, d'avoir participé à une campagne de solidarité avec la presse pro-kurde en mai.

Ils sont poursuivis pour trois articles qui traitaient de luttes d'influence entre diverses forces de sécurité turques et des opérations en cours contre les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le sud-est anatolien.

Une centaine de personnes venues les soutenir au palais de justice d'Istanbul ont scandé "Nous ne céderons pas aux pressions" à l'énoncé du jugement, selon les images diffusées sur les réseaux sociaux.

Les trois militants ont par la suite été menottés et conduits à une maison d'arrêt de la mégapole turque.

"Le procureur qui nous a entendus a réclamé que nous soyons inculpés et écroués pour propagande terroriste", en faveur du PKK, mouvement armé considéré comme terroriste par bon nombre de pays, a expliqué M. Önderoglu au téléphone à l'AFP juste avant son inculpation.

Ces trois inculpés l'ont été au nom de la législation antiterroriste turque, pomme de discorde avec l'Union européenne qui voudrait voir son champ d'application fortement restreint.

Ces trois militants avaient pris en mai symboliquement à tour de rôle la direction du journal pro-kurde Özgür Gündem, dans le collimateur de la justice et des autorités turques qui l'ont obligé plusieurs fois à fermer. Une procédure judiciaire avait ensuite été lancée à leur encontre.

M. Nesin est un journaliste et écrivain connu tandis que Mme Fincanci, professeur de médecine légale, préside la Fondation des Droits de l'Homme (TIHV).

- Démarche 'profondément honteuse' -

Se disant "abasourdie" par l'arrestation de son représentant, RSF a évoqué dans un communiqué "un nouveau jour noir pour la liberté de la presse en Turquie", après avoir appellé Ankara à "abandonner toutes les poursuites dans cette affaire" dans une première réaction.

"Depuis vingt ans, Erol Önderoglu se bat sans relâche pour défendre les journalistes persécutés. (...) Il est aberrant et profondément honteux de le voir accusé de terrorisme, victime des abus qu'il a toujours dénoncés (...) Qu'il soit à son tour pris pour cible en dit extrêmement long sur la dégradation de la liberté de l'information en Turquie", poursuit RSF.

L'OSCE, l'organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, a appelé à la libération immédiate des trois militants, demandant à la Turquie d'"abandonner les poursuites pesant contre (eux) et de cesser d'avoir recours à la prison pour réduire au silence les voix discordantes".

La Turquie occupe la 151è place sur 180 dans le Classement 2016 de la liberté de la presse, publié par RSF.

Le régime islamo-conservateur du président Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis 2002, est accusé de museler la presse indépendante en Turquie et d'avoir ces derniers mois multiplié les coups de butoir contre les médias.

Can Dündar, rédacteur en chef du journal d'opposition Cumhuriyet, condamné en mai à cinq ans et dix mois de prison pour "divulgation de secrets d'Etat" pour avoir révélé que le régime turc livrait des armes aux groupes jihadistes en Syrie, a aussi réagi sur Twitter.

"Il n'est pas question de céder. Nous devons à présent reprendre le flambeau et soutenir Özgür Gündem", écrit le journaliste, qui reste en liberté jusqu'à ce que la cour d'appel tranche sur son cas.

Le sud-est de la Turquie est secoué quotidiennemnt par des combats entre forces de sécurité turques et rebelles depuis la reprise l'été dernier des hostilités après deux ans de pourparlers de paix entre Ankara et le PKK en vue de mettre un terme à une rébellion qui a fait 40.000 morts depuis 1984.

Dimanche soir, M. Erdogan a affirmé devant la presse que plus de 7.000 rebelles du PKK avaient été "neutralisés" lors des combats qui ont fait plus de 600 morts parmi les forces de sécurité turques.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.